Helenio Herrera est l’un des entraineurs ayant révolutionné le football. Il est le maître du système tactique le plus connu de ce sport : le catenaccio. Ce plan de jeu basé sur une défense intraitable ne jouit pas de la meilleure des réputations dans le monde du ballon rond. On lui préfère des styles plus offensifs et enthousiasmant comme le « football total » de Rinus Michels ou le « petit jeu » d’Albert Batteux. Pourtant, la postérité de tacticien franco-argentin ne doit pas s’arrêter au strict cadre du catenaccio.
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Fils d’anarchistes andalous ayant quitté l’Espagne pour le faire naitre en Argentine, Helenio Herrera débute sa carrière d’entraineur en 1944 à seulement 34 ans. Durant trente-six années, celui que l’on surnomme HH ou « El Mago » (le magicien) initie l’Europe à la tactique aussi bien défensive en Italie qu’offensive en Espagne. Il est le seul à avoir conquis les amoureux de deux styles diamétralement opposés. Il est, en effet, à la tête de l’inflexible Inter Milan mais également du charmant FC Barcelone.
Herrera et son catenaccio
Si Helenio Herrera est le maître du catenaccio, il n’en est pas le père. En effet, le premier à axer son jeu autour de la défense est Karl Rappan. Même en Italie, Giuseppe Viani et Nero Rocco jouait comme le magicien, mais plus tôt. C’est d’ailleurs une défaite face au Milan de Rocco qui l’a poussé à se concentrer sur l’aspect défensif après que son adversaire ait marqué deux fois en seulement trois incursions dans la moitié de terrain interiste. L’Inter Milan d’Herrera va donc devenir la référence de la domination défensive de 1960 à 1968.
Son catenaccio repose sur une défense hyper renforcée, notamment par l’axe. Il utilise un libéro derrière une ligne de quatre défenseurs, celui-ci est plus libre que les autres. Le bloc équipe se devait d’être agressif, toujours à la limite de l’illicite. Si l’aspect défensif de son équipe est rigide, la construction offensive devait être la plus rapide possible. Il indique qu’il faut trois passes maximum pour une bonne contre-attaque. Pour que celle-ci soit parfaite, elle doit évidemment se conclure d’un but.
Le pragmatisme de l’entraineur de la « Grande Inter » passait justement par ce réalisme. Le pragmatique entraineur ne trouvait satisfaction que dans la victoire et c’est pour cela qu’il s’est résolu à changer sa philosophie. Son Barça plutôt porté vers l’offensive en Espagne a laissé place à son Inter capable de tous les excès pour l’emporter. Dans La pyramide inversée, Jonathan Wilson explique que cette équipe était « immensément talentueuse, diablement efficace et complètement impitoyable« .
La Grande Inter
L’Inter Milan d’Helenio Herrera est l’équipe référence lorsqu’on parle de ce fameux catenaccio. Plusieurs joueurs ont marqué l’histoire comme Picchi, le libéro, Facchetti, en tant que latéral gauche, Suarez ou Mazzola au milieu. Pourtant, c’est bien la force collective créée par l’entraineur qui impressionne davantage. Tous les membres de l’effectif ont compris les préceptes demandés par Herrera et cela a permis de nombreux succès. Trois Serie A (1963, 1964 et 1966) et deux Coupes d’Europe des Clubs Champions (1964 et 1965) notamment.
Dans les joueurs cités ci-dessus, le moins connu est sûrement Armando Picchi mais c’est aussi le plus important du système de l’Inter. Le commentateur anglais et auteur de The Pros, Kenneth Wolstenholme, dit d’ailleurs : « Si un joueur dépassait la ligne de quatre, soit en dribblant, soit en créant un espace avec un une-deux avec un coéquipiers, il serait confronté à Picchi. Tout joueur qui courrait pour récupérer la longue passe serait confronté à… Picchi. Tout lob haut ou centre qui flottait dans la surface de l’Inter serait enlevé par… Picchi« .
Dans le plan de jeu du coach franco-argentin, l’axe était renforcé par ce libéro tandis que les ailes permettaient de le fluidifier. Pour cela, les deux latéraux, Facchetti, à gauche, et Jair, à droite, animaient leur couloir avec leur capacité à se projeter très vite vers l’avant. Les relais étaient facilement possible aux avants postes avec Suarez, Corso ou Mazzola. Facchetti et Jair permettaient cet équilibre entre défense intraitable et attaque aussi rapide que clinique. Helenio Herrera voulait des joueurs très organisés sans ballon mais également capables d’attaquer en nombre lorsqu’ils le récupéraient.
L’Espagne avant l’Italie
S’il est connu et reconnu, c’est notamment pour son travail en Italie et ses succès avec l’Inter. Pourtant, avant d’y poser ses valises, Herrera a passé dix ans en Espagne – et deux moins marquants au Portugal. Sur la péninsule ibérique, le travail défensif est souvent délaissé. « El mago » ne faisait pas exception dans le championnat et préférait être à la tête d’équipes joueuses où les victoires se faisaient avec un but de plus, plutôt qu’un de moins, que l’adversaire. Son Atlético marquaient 2,76 buts par match tandis que son Barça 3,03 !
Entre les deux titres de champion d’Espagne avec l’Atlético de Madrid et les deux avec le FC Barcelone, il a réalisé un voyage à travers le pays en entrainant trois clubs espagnols différents. C’est néanmoins avec ses deux équipes qu’il marquera le football ibérique. Sur le banc blaugrana, il détrône le Real de Di Stefano pourtant jugé imbattable. Pour ce faire, il place ses joueurs au centre d’un projet collectif. Qu’importe le statut de ceux-ci, qu’importe s’ils se nomment Kocsis ou Kubala. Cette demande d’effort ne sera pas appréciée par l’ensemble de l’effectif comme elle a pu l’être du côté de Milan.
Laszlo Kubala est le principal joueur en désaccord avec le coaching de son nouvel entraineur. Il est alors, avec Di Stefano, la vedette du football européen. Rien ne lui résiste sur le terrain et il attend à ce qu’il se passe de même en dehors. Seulement, Helenio Herrera est plutôt connu pour ses méthodes autoritaires que pour de quelconques passe-droits. La conception du jeu de Kubala différait également de celle de l’entraineur. Le premier voulait controler et temporiser quand le second voulait à tout prix de la verticalité.
Une grande demande d’effort
Helenio Herrera avait l’intime conviction que les victoires ne sont possibles qu’après un grand travail en amont. Celui-ci est physique avant tout mais également psychologique. En effet, il est le premier entraineur à placer l’aspect psychologie au centre de la performance. Dans les vestiaires, il n’était pas rare de voir afficher des pancartes où il était écrit « Celui qui joue pour lui même joue pour l’adversaire. Celui qui joue pour les autres joue pour lui-même« . Il est également l’un des premiers à s’appuyer sur un réseau d’observateurs pour améliorer ses méthodes.
La plus grande demande d’effort était sur la discipline demandée aux joueurs. C’est également celle qui a fracturé la relation avec Kubala. Le Hongrois avait une certaine tendance à l’alcool tandis que l’entraineur interdisait ce breuvage, tout comme la cigarette, les drogues et bon nombre d’aliments. Alfonso Aparicio, défenseur de l’Atlético, disait d’Herrera que « c’était un phénomène. Il nous imposait des entrainements quotidiens de trois heures. Mais, le dimanche, on dévorait tout le monde« .
Tacticien, psychologue et chef de file. Voici les trois professions qui ont mené Helenio Herrera au Panthéon du football. Pourtant considéré comme un entraineur à la tactique trop rustre et au vil management, son héritage est plus grand que cela. Ramon Cobo balaie d’un revers de la main les critiques à son encontre : « Il n’exploitait pas les joueurs, ce n’est pas vrai. Mais il exigeait un niveau de préparation très élevé et un style de vie en adéquation avec le sport« . Herrera a consacré sa vie au football et attendait à ce que ses joueurs fassent de même.
Que pense Herrera du catenaccio ?
Aussi étrange que cela puisse paraitre, Helenio Herrera ne supporte pas le terme qui lui a collé à la peau toute sa carrière et qui continue après son décès. A l’instar de Pep Guardiola n’aimant pas qu’on qualifie son jeu de « tiki-taka« , HH ne veut pas qu’on parle de « catenaccio« . Il a toujours trouvé son jeu plus offensif que celui de beaucoup d’équipes car la sienne jouait plus vite que les autres vers l’avant. La vitesse est ce qui différencie son style à celui de beaucoup de ses prétendus disciples.
Le jeu sur les ailes et les transitions verticales se distingue du verrou suisse de Rappon ou du WM de Chapman. Il se distingue d’ailleurs de toutes les formes du catenaccio car seul son Inter Milan semble en être l’allégorie parfaite. Plus que le terme, c’est l’utilisation de son héritage qui le dérange. Ses succès en Espagne l’approuvent : quelque soit le chemin emprunté, celui du football protagoniste ou celui plutôt défensif, la destination finale est toujours la victoire.
Helenio Herrera avait des années d’avance sur le coaching de son époque. Il savait allier tactique, psychologie, communication ou encore management. S’il est aujourd’hui considéré à juste titre comme le maître de ce systèmeil ne faut pas restreindre son héritage. Jugé trop mesquin, trop rigide ou encore trop sûr de lui, il n’en reste pas moins un révolutionnaire du football mondial qui s’inscrit au-delà du catenaccio.
Sources :
- Benjamin Bruchet, « Loin du catenaccio : Helenio Herrera en Espagne, l’autre visage du mythe – Partie 1 : l’Atletico« , Furia Liga.
- Benjamin Bruchet, « Loin du catenaccio : Helenio Herrera en Espagne, l’autre visage du mythe – Partie 2 – le Barça« , Furia Liga.
- Markus Kaufmann, « Helenio Herrera, et le football fut« , So foot.
Crédits photos : Icon Sport