Dimanche 29 septembre 2019, Stade Vélodrome : l’OM reçoit Rennes dans un stade plein à craquer. Alors que les joueurs entrent sur la pelouse, un immense tifo est déployé. Entouré d’or et de bleu azur, le portrait de Gunnar Andersson vient s’élever dans les travées du Virage Sud. Cinquante ans plus tôt, l’avant-centre disparaissait près du Vieux-Port. Devenu légende parmi les légendes de l’Olympique de Marseille, le plus français des Suédois a marqué de son empreinte les années 1950 du club. Un personnage atypique, un joueur légendaire, qui nourrissait une relation passionnelle avec la ville phocéenne.
Né à l’été 1928, le jeune Gunnar Andersson fait rapidement l’unanimité parmi les observateurs. Alors qu’il entre dans l’adolescence, il est repéré à l’IFK Amal, petit club du Sud-Ouest de la Suède, où il s’illustre déjà au poste d’avant-centre. Finalement, c’est Göteborg, club central de la région, qui prend le gamin sous son aile, et le forme au plus haut niveau.
Le jeune attaquant, alors âgé d’à peine 20 ans, a, dès son arrivée, la lourde tâche de remplacer la légende locale : Gunnar Gren, parti faire les beaux jours de l’AC Milan. Après une première saison réussie, Andersson et son équipe s’envolent pour Barcelone, où le club blaugrana organise un tournoi estival. Bien que la formation Gothembourgeoise n’y fasse que pâle figure, son avant-centre surnage et tape dans l’œil de plusieurs écuries européennes. Présent en Catalogne, c’est le président de l’OM, Louis Bernard Dancausse, qui rafle la mise et s’adjuge les services de l’espoir Suédois.
À l’hiver 1950, une crise sportive secoue l’Olympique de Marseille. Le club, souffrant de problèmes offensifs, est embourbé dans le ventre mou du classement. À mi-saison, l’effectif est rajeuni et quelque peu suédifié. En plus de Gunnar Andersson, Gunnar Johansson et Dan Ekner viennent garnir les rangs phocéens.
Le 8 décembre 1950 signe donc l’arrivée en France du jeune avant-centre. Au même moment, à Marseille, un contentieux lie les journalistes du quotidien Le Provençal au président du club olympien. Ce dernier, mécontent du traitement réservé à ces joueurs par la presse, a décidé de boycotter les médias. Deux journalistes, Raymond Gimel et Lucien D’Apo, décident alors de se venger.
LIRE AUSSI : Le mythe du « Gre-No-Li » : de l’or à la légende
Alors qu’il embarque dans un train direction Marseille, Gunnar Andersson reçoit un télégramme signé des deux rédacteurs. « Pour éviter importuns STOP Prière descendre Avignon STOP Voiture attendra pour vous conduire à Marseille. » D’abord surpris, le joueur et son agent s’exécutent. Ils sont accueillis dans le Vaucluse par les deux faux émissaires. Après avoir parcouru les quelques cent kilomètres qui séparent Avignon de Marseille, le joueur est déposé à l’hôtel où il signe son contrat. Satisfaits de leur coup, les deux journalistes se sont assurés l’exclusivité de l’annonce, devant la mine défaite du président Dancausse. Epilogue heureux du premier kidnapping avéré de l’histoire du football.
Une légende à Marseille
Passé cet incident, le Suédois ne tarde pas à montrer l’étendue de son talent. Dans la grisaille phocéenne, Gunnar Andersson fait figure d’éclaircie. Malgré un physique frêle (1m72 pour 73 kilos), celui que l’on compare allègrement à Stan Laurel finit sa première saison meilleur buteur de son club. Le jeune joueur a importé de Suède des qualités de vélocité, de placement et une agilité peu commune. Ajoutons à cela un crochet dont lui seul a le secret, et c’est tout une ville qui s’anime à chacune de ses prises de balle.
« Monsieur 50% des buts de son équipe » est à Marseille l’arbre qui cache la forêt. Alors que le club pointe à la 16ème place au classement, il termine meilleur buteur du championnat deux saisons de suite. Après seulement deux ans et demi au club, l’avant-centre a déjà inscrit 78 buts en 79 matchs. Un exploit retentissant, qui élève rapidement le natif de Säffle au rang de chouchou du Stade Vélodrome.
Au-delà de ses qualités de footballeur, les Marseillais découvrent un jeune homme attachant, drôle, et tombé éperdument amoureux du folklore de la cité phocéenne. Sur les bords de la Canebière, Gunnar apprend le français, s’accoutume de l’accent de Pagnol, et y découvre le pastis. En dehors du football, exit le bandy, c’est désormais à la pétanque et à la belote que le Suédois s’adonne. Une véritable acclimatation pour l’attaquant donc, qui sera naturalisé français dès l’année 1954.
Cette double nationalité lui donne ainsi l’opportunité d’être appelé avec l’équipe de France B, avec laquelle il ne jouera qu’un match. Car c’est chez lui, dans son stade : le Vélodrome, que le Suédois est le plus à même de briller. Entouré des Roger Scotti et autres Larbi Benbarek, Gunnar Andersson n’en finit plus de marquer. Un match en particulier a construit sa légende.
LIRE AUSSI : Larbi Benbarek, une légende à la croisée des chemins
En 1957, le champion de France Saint-Etienne se déplace au Vélodrome. La rencontre, certainement la plus attendue de la saison en première division, voit s’affronter deux joueurs d’exception. Face à Andersson, le meneur stéphanois Rachid Mekhloufi, qui mènera les Verts au titre quelques semaines plus tard. Après 35 minutes de jeu, Andersson a déjà marqué trois fois et l’OM s’envole vers une victoire nette. C’est sans compter sur le buteur algérien des Verts, qui inscrit lui aussi un triplé en l’espace de six minutes, et permet aux siens de recoller au score avant la dernière demi-heure. Dans ce choc des Titans, c’est l’attaquant suédois qui aura le dernier mot, puisqu’il inscrit le quatrième but dans la foulée, closant le suspense d’un match fou.
La saison 1957-58 marque le début du déclin pour le joueur. Alors sur la pente descendante et en proie à de sérieux problèmes d’alcoolisme, Gunnar Andersson peine à enchainer les bonnes prestations. Suite à un traumatisme crânien subi en plein match, le joueur est victime de crises d’épilepsies à répétition. Sa dépendance à l’alcool ne faisant que s’accentuer, il décide de quitter l’OM après huit ans de bons et loyaux services. Clap de fin dans son club de cœur à l’age de 30 ans. Au total, Säffle-Gunnar aura inscrit 194 buts en 220 matchs sous la tunique olympienne. Une performance notable, pour un joueur qui a évolué au sein d’une équipe luttant pour le maintien durant toute la décennie. Ce record de buts, à ce jour inégalé dans l’histoire du club, offre au Suédois une place centrale dans l’anthologie des légendes olympiennes.
Des bruits de couloir l’annoncent au Real Madrid pour remplacer Raymond Kopa, retourné en Champagne. C’est finalement à Montpellier que le buteur va tenter de rebondir. Une expérience de courte durée, puisqu’il quitte le club seulement six mois plus tard. La machine se remet en route aux Girondins de Bordeaux, où il marque 20 buts en 31 matchs. Alors âgé de 32 ans, l’avant-centre se voit rappeler par sa Provence tant aimée. C’est à Aix, en seconde division, qu’il atterrit pour conclure sa carrière au haut niveau français.
Fin de carrière et hommages
En 1962, alors qu’il signe une dernière pige au C.A.L Oran, la France voit l’Algérie déclarer son indépendance. Naturalisé français quelques années auparavant, Gunnar se voit dans l’obligation de suivre l’exode des milliers de pieds-noirs chassés du pays. De retour en France, la population algérienne est mise en marge. « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs » annonce Gaston Deferre, maire socialiste de Marseille. Horizon bouché, l’attaquant rallie son pays d’origine, la Suède, pour travailler. Lui qui dispose d’un diplôme de plombier, obtenu avant son arrivée en France, enchaine les petits boulots, sans véritable succès.
À l’aube de l’année 1967, alors que sa dépendance à l’alcool le ronge depuis près de 10 ans, Gunnar est de retour dans son Marseille de toujours. Un choix qui va s’avérer fatal pour le Suédois. Du statut de légende à l’abandon par la société, la ligne est très fine. Peu à peu, le monde du football oublie l’avant-centre. Désormais inconnu au sein de la plèbe, l’ex-buteur olympien écume les profondeurs de la ville. Passant ses nuits dans les hôpitaux, chez des amis : la spirale négative est partie pour ne plus s’arrêter. À mesure que le temps passe, sa santé se dégrade.
Le 1er octobre 1969, alors que Gunnar Andersson est employé aux docks de Marseille, l’OM reçoit les Autrichiens du Dukla Prague en coupe d’Europe. Tôt le matin, il se rend dans les locaux du journal Le Provençal pour obtenir une place. Sésame en poche, il prend le chemin du retour. Arrivé à quelques encablures du Vieux-Port, il s’effondre au sol. Fauché à l’âge de 41 ans par une rupture d’anévrisme. Triste fin pour une légende de l’OM, tombé en plein cœur de sa ville dans le plus grand anonymat. Cette ville, avec qui il partageait une relation unique. Une ville qui l’a glorifié, avant de le voir se perdre à petit feu.
Gunnar Andersson est tombé dans l’indifférence, rongé selon ses mots par cette « petite boisson jaune distillée par le diable ». À Marseille, l’émotion règne. Alors que la dépouille du Suédois risque d’être enterrée au carré des indigents, c’est l’association des anciens joueurs de l’OM qui lui offre des obsèques décentes. Ce décès fit longtemps tâche dans l’histoire du club. Nombreux sont ceux qui accusèrent le club d’avoir laissé tomber celui qui les sauva à maintes reprises d’une relégation certaine.
Pendant une décennie entière, l’avant-centre joua les sauveurs, lorsque le club luttait pour rester en première division. Il a fallu près de cinquante ans pour que les exploits du Suédois laissent une trace indélébile dans la cité phocéenne. En 2020, près d’un demi-siècle après sa mort, une esplanade du Vélodrome fut rebaptisée en sa mémoire. Un acte symbolique, pour une ville qui demande pardon à celui qui se battit pour elle jusqu’à la mort.
Marseille, Gunnar Andersson y aura vécu près de la moitié de sa vie. Entre ses murs, le Suédois a connu 10 ans de gloire, avant de tomber dans ses bas-fonds. 194 buts inscrits en 220 matchs avec l’OM, une performance gargantuesque qui place l’avant-centre aux cotés des Josip Skoblar ou autres Jean-Pierre Papin dans le livre des grands numéros 9 de l’histoire du club olympien.
Sources :
- Benjamin Potet, documentaire : « Gunnar, Marseille à la vie, à la mort », production Comalipa
- Gilles Castagno, podcast : « Gunnar, Marseille à la vie, à la mort », SportMedTV, 13 novembre 2021
- « Gunnar Andersson, l’histoire des légendes du football », Football-The-Story, 3 novembre 2019
- François Thébaud « Gunnar Andersson, le plus grand des buteurs », OM4Ever
Crédits photos : Icon Sport