Dans les années 90, le Nigeria sera une figure de proue du football africain. Sur le toit de l’Afrique en 1992 puis de l’Olympe en 1996, les Super Eagles et leur football offensif seront une des sensations des mondiaux 1994 et 1998. Avec des phénomènes dans ses rangs, de Rashidi Yekidi, à Nwankwo Kanu en passant par Sunday Oliseh et Jay-Jay Okocha, le Nigeria va se faire un nom à coups d’exploits et de remontada.
Pays le plus peuplé d’Afrique, situé dans le golfe de Guinée, entre le Cameroun et le Bénin, le Nigeria aura mis du temps à devenir une référence du football africain. Il faut attendre 1980 pour le voir le pays d’Obafemi Martins inscrire son nom pour la première fois au palmarès de la CAN. À l’orée des années 90, les Super Eagles vont devenir une référence du football africain. Une progression facilitée par la stabilité sur le banc nigérian avec un coach en poste de 1989 à 1994 en la personne du néerlandais Clemens Westerhof.
Un coach qui bénéficie de l’émergence d’un savant mélange de joueurs expérimentés et d’une jeune génération talentueuse. Un équilibre qui a permis aux Super Eagles de finir deuxièmes des CAN 1988 et 1990. Si la solidité défensive nigériane impressionne avec les solides centraux Uche Okechukwu et Stephen Keshi, c’est l’attaquant Rashidi Yekini qui monopolise les spotlights.
Rachid Yekini demeure encore aujourd’hui le meilleur buteur de l’histoire des Super Eagles avec 37 buts en 58 matchs.
Véritable star, l’avant-centre au physique de déménageur va impressionner son monde avec les Super Eagles. Régulier avec ces derniers, il finit deuxième meilleur buteur de l’édition 1990 qui voit les Nigérians perdre en finale face à l’Algérie. Des performances remarquées qui lui permettent de rejoindre le Vitória Setubal en division deux portugaise où, là aussi, il va cartonner. C’est le fer de lance d’une équipe nigériane qui monte en puissance avec dans son ombre, le jeune Daniel Amokachi, qui, à dix-huit ans, représente le futur de la sélection.
En 1992, le Nigeria dispose du pays hôte, le Sénégal, puis du Kenya et finit confortable premier de sa poule. En quarts, les Super Eagles battent le Zaïre puis finissent troisième de la compétition, stoppés dans leur élan par le Ghana. Encore une fois, Yekini a été impérial, finissant meilleur buteur de la compétition avec quatre buts, il demeure l’argument offensif numéro un des Super Eagles. Le « taureau de Kaduna » sera même élu meilleur joueur africain de l’année 1993.
En parallèle, l’année 93 a vu l’avènement d’une génération dorée. Les Golden Eagles, les U17 nigérians, meilleure attaque de la compétition ont remporté le mondial de la catégorie. Wilson Oruma meilleur buteur, a impressionné à l’instar de la pépite Nwankwo Kanu, Tijani Babangida et Celestine Babayaro. Des joueurs que, pour la plupart, on retrouvera aux Jeux-Olympiques 1996 et à la Coupe du monde 1998.
1994, année bénie pour les Super Eagles
En 1994, la CAN a lieu sur le sol tunisien. Pour cette édition, les Super Eagles se basent toujours sur une grosse solidité défensive avec une arrière-garde guidée par Uche Okechukwu. Devant lui, le monde va apprendre à connaître l’activité insatiable et les frappes de mule du tout jeune Sunday Oliseh, 20 ans à l’époque. Devant lui, on retrouve le flamboyant maître à jouer Augustine « Jay-Jay » Okocha, transfuge de l’Eintracht Francfort, et ses dribbles chaloupés. Sur les ailes, l’animation offensive est confiée aux jeunes Finidi et Amunike, respectivement 23 et 24 ans. Devant, Daniel Amokachi, 22 ans va épauler Yekidi sans oublier Victor Ikpeba, sur le banc, qui fera par la suite le bonheur de l’AS Monaco.
Tous ou presque vont disputer leur première grande compétition et se montrer à la hauteur. Le savant mélange entre puissance physique et technique de très haut niveau fait son effet. Les Super Eagles réalistes et appliqués, marqueront neuf buts contre trois encaissé. Yekini est encore imprenable, clôturant à nouveau la compétition en tant que meilleur buteur avec quatre buts. Pourtant, en finale, le Nigeria doit s’en remettre à un doublé de Daniel Amunike, pour battre la Zambie et s’adjuger la deuxième CAN de son histoire. Invaincus depuis juillet 1993, désormais sur le toit de l’Afrique, les Nigérians abordent le mondial en pleine confiance.
Ce mondial américain voit la première participation des Super Eagles dans la peau d’un outsider. Trois buts plus tard dans le buffet de Bulgares tombeurs de la France en éliminatoires, tout le monde prend aux sérieux les Nigérians. La suite ? Une défaite face à l’Argentine d’un Maradona en bout de course et une victoire face à la Grèce, le Nigeria atteint les huitièmes. Face à elle, la Squadra Azzura de Maldini et Costacurta, future finaliste.
Le Nigeria réalise une prestation sérieuse en menant au score grâce à Amunike. Voyant Gianfranco Zola se faire expulser à un quart d’heure du terme, les Super Eagles pensent alors que le quart de finale leur tend les bras. C’était sans compter sur le Ballon d’Or 1993, Roberto Baggio, qui va sauver tout un peuple en égalisant à la 88ème. Dans un match âpre et disputé, la décision se fera en prolongations grâce à un penalty du même Roberto Baggio. La défaite est amère pour des Nigérians méritants qui savent qu’ils sont passés à côté d’une plus grande performance dans ce premier mondial de leur histoire.
Ces belles performances masquent mal des dissensions au sein du vestiaire. Yekini et ses excès d’individualisme notamment, s’est mis ses coéquipiers à dos. Après cinq ans à la tête de l’équipe, Clemens Westerhof en fin de contrat, ne rempile pas. Au sortir de ce mondial historique mais contrasté, le Nigeria est cinquième mondial au classement FIFA, une place qui n’a jamais plus été occupée par une équipe africaine. Pourtant, ce qui pourrait apparaître comme une fin de cycle va connaître un second souffle les années suivantes.
Et Mario Zagallo rencontra les Super Eagles
1996 commence mal pour le Nigeria, le pays ne pourra défendre sa couronne continentale en Afrique du Sud. L’écrivain et activiste opposant au pouvoir, Saro-Wiwa est pendu après un procès expéditif. Le procédé choque la communauté internationale et Mandela pèse de tout son poids pour que le Nigeria soit suspendu du Commonwealth. En réaction, ulcéré, l’autoritaire Sani Abacha, retire la sélection de la compétition pour des raisons politiques. Une décision qui surprend, pour une CAN qui semblait promise au Nigeria. Yekini ne le sait pas encore mais il ne pourra jamais battre le record de l’Ivoirien Laurent Pokou, auteur de 14 buts en phase finale de CAN.
Le Nigeria n’a alors plus que les Jeux Olympiques à appréhender. Mais le manque de moyens complique les choses. Désabusé, non payé depuis plusieurs mois, fatigué d’avoir à gérer l’extra-sportif, le coach Jo Bonfrère menace de démissionner. Il restera, devant l’insistance des joueurs. Lors du stage de préparation, les conditions de travail demeurent chaotiques et l’équipe n’a carrément plus de fonds pour les dépenses communes. « La plupart d’entre nous utilisaient nos propres cartes de crédit pour louer des autobus qui nous amenaient aux séances d’entraînement » expliquera même par la suite l’attaquant Victor Ipekba.
Atlanta. Taribo West, Kanu, Amokachi, Okocha et leurs tenues très nineties ornée d’un aigle massif qui s’étend sur le plexus, se présentent sur le sol américain déterminés à assumer leur statut. Celui d’un outsider sérieux qui peut jouer les troubles fêtes. Les Super Eagles portés par le soyeux Kanu vainqueur de la Ligue des Champions 1995, le rapide Babangida, l’extravagant Jay-Jay Okocha et le solide Sunday Oliseh vont éclabousser la compétition de leur classe. Malgré des tensions dans l’équipe et un contexte extra-sportif pesant, ils disposent sans trop souffrir de la Hongrie et du Japon au premier tour. Ils finissent deuxième de leur poule derrière le Brésil qui les fait plier sur un but de Ronaldo.
En quart, grâce notamment à un but d’Okocha, les Super Eagles battent le Mexique et se retrouvent de nouveau confrontés au Brésil de Mario Zagallo, auréolé d’un titre de champion du monde. Avec, côté auriverde : Ronaldo, qui signera au FC Barcelone cet été-là, Roberto Carlos, qui signera à l’Inter et le vétéran Bebeto, 32 ans au compteur et artificier du Deportivo la Corogne, le Brésil se présente sûr de sa force. De fait, les observateurs ne donnent pas cher de la peau des Super Eagles, aussi prometteurs soient-ils.
Et quand Flávio Conceição ouvre le score sur un magnifique coup-franc, l’affaire semble entendue. Malgré le but contre son camp de Roberto Carlos, les deux buts ajoutés par Bebeto et Conceição avant la mi-temps semblent sceller le sort des Super Eagles. Zagallo, sûr de sa victoire, sort Ronaldo et le but d’Ipekba à la 78ème minute semble anecdotique. À la 90ème, après un cafouillage dans la surface suite à une touche longue, Kanu se lève le ballon et d’une volée de près, bat Dida sorti à sa rencontre. Dans les prolongations c’est une nouvelle fois Kanu qui va faire la différence. À l’entrée de la surface, l’ajacide va effacer d’un subtil crochet un défenseur brésilien avant de conclure d’une frappe sèche du gauche qui donne au Nigeria la victoire dans un stade en fusion.
C’est la première fois qu’un pays africain se retrouve en finale des JO et encore une fois l’adversaire semble supérieur. L’Albiceleste de Daniel Passarella a elle aussi de solides arguments. Avec Ayala et Zanetti en défense, Ortega et Simeone au milieu et Crespo devant, pour ne citer qu’eux, ils ont disposé en quart de l’Espagne et du Portugal en demie sans encaisser de buts.
Pourtant, encore une fois, le Nigeria est imprenable. Sous le regard des 86 117 personnes du Sanford Stadium et de Pierluigi Collina, au sifflet cet après-midi-là, on va assister de nouveau à une remontada. Menés à deux reprises par des buts de López et Crespo, le Nigeria va revenir au score puis crucifier l’Argentine à la 90ème avec un but d’Amunike. La liesse est totale dans toute l’Afrique et à Lagos où le succès nigérian a aussi valeur d’unité dans un pays fractionné et divisé par un État répressif. Voir cette équipe où se côtoient ethnies Yoruba et Igbo, religion chrétienne et musulmane, devient porteur d’espoir. Bien sûr, le football olympique a souvent accouché d’équipes et/ou de joueurs qui ne confirmaient pas, mais le Nigeria va confirmer en se qualifiant pour le mondial 98.
Sous la houlette du serbe Bora Milutinovic, les Nigérians vont signer l’un des plus gros succès de leur histoire lors des phases de groupes. Dans une Beaujoire sous le charme, une frappe foudroyante de Sunday Oliseh, permettra aux Nigérians de battre des Espagnols archi-favoris. Malheureusement, ce succès aura la forme d’un trompe-l’œil puisque après s’être extirpé des poules, le Nigeria se fracassera une nouvelle fois contre l’écueil des huitièmes de finale. Cette fois-ci c’est le Danemark de Brian Laudrup qui les sortira sèchement de la compétition avec un quatre buts à un sans appel. Deux ans plus tard, le Nigeria clôturera cette décennie dorée par une finale de CAN perdue à domicile face au Cameroun du tout jeune Samuel Eto’o.
De fait, pour véritablement appréhender la domination des Nigérians dans les nineties il suffit de se pencher sur le palmarès du joueur africain de l’année. Entre la première édition en 1992 et celle de 2000, le trophée a été remporté cinq fois par un Super Eagle. Cette génération dorée a surtout permis aux Super Eagles de devenir une référence du football africain que l’on voit régulièrement en Coupe du monde. ISS Pro ne s’y était d’ailleurs pas trompé, en faisant du Nigeria l’une des meilleures équipes du jeu. En club, peu de joueurs confirmeront le niveau que les spectateurs avaient pu voir en équipe nationale. Kanu finira au panthéon et Yekidi dans l’oubli, mais demeure dans l’esprit des Nigérians et de beaucoup d’Africains l’image d’une des plus belles équipes que le continent ait porté.
Première nation africaine à devenir championne olympique, doté de joueurs extravagants et charismatiques, le Nigeria des nineties demeure une équipe mythique. Avec une unité de moins que le Cameroun et ses sept participations à un mondial, le Nigeria fait aujourd’hui figure de nation phare du football africain. C’est d’ailleurs le pays africain totalisant le plus de victoires en phase finale de Coupe du monde avec 6 succès et la meilleure attaque du continent en Coupe du monde avec 23 buts marqués. Champion d’Afrique 2013, régulièrement présent en phase finale de Coupe du monde, le Nigeria n’a pas la popularité qu’il a pu connaître dans les nineties mais demeure une valeur sûre du football africain, un statut qu’il doit avant-tout aux exploits de Yekidi et consorts.
Sources :
- TheseFootballTimes, Nigeria’s momentous triumph at the 1996 Olympic Games
- SoFoot, Quand les Super Eagles planaient sur l’Afrique
- SoFoot, JO 1996 : Aigles Impériaux
- . SoFoot, Rashid Yekini, le clochard céleste
- . JeuneAfrique, JO 1996 : Le Nigeria dans l’histoire du football africain
- . JeuneAfrique, Nigeria – Italie : en 1994, les coéquipiers de Okocha éliminés en fin de match par Di Baggio (1-2)
- . FIFA, Championnat du Monde U-17 de la FIFA, Japon 1993 – Le Nigeria au dessus du lot
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