Plus encore qu’un Pelé, auquel nous rendons hommage, Giuseppe Meazza a été la première star de son sport. Au cours de sa carrière, Meazza s’affirme comme un homme à part dont la vie d’éclats et de frasques fait de lui la première icône du ballon rond.
Né à Milan en 1910, Giuseppe Meazza grandit dans une famille modeste à l’équilibre financier fragile depuis le décès de son père en 1917, au front. D’abord supporter de l’AC Milan, le club rossonero ne retient pas l’adolescent lorsque celui-ci passe les tests chez eux. Le motif ? À 15 ans, Giuseppe Meazza est jugé trop chétif. Une erreur que ne va pas commettre le voisin nerazzurro, même si les dirigeants intéristes comprennent rapidement qu’il ne sera jamais grand par la taille (1,69m), ils sont convaincus par l’un de leurs joueurs, Fulvio Bernardini. Fasciné par ce gamin, ce dernier le recommande immédiatement à l’entraineur de l’époque, Arpad Weisz.
L’ascension fulgurante de Giuseppe Meazza
L’Inter Milan prend alors en charge celui que l’on surnomme Peppino. Nourri, logé, blanchi par le club milanais, la mère du joueur est rassurée quant à l’avenir de son fils. Un pari rare pour l’époque, surtout pour un joueur si jeune. Pourtant, les Intéristes ont eu le nez creux. Meazza, précoce, débute en championnat à 17 ans, et, dès son premier match, fait trembler les filets à trois reprises. Le phénomène est lancé et emporte tout sur son passage. Auteur de 12 buts en 27 matchs pour sa première saison professionnelle, Peppino explose ses standards l’année suivante avec 33 buts inscrits en 31 matchs.
Des performances ahurissantes auxquelles s’ajoutent un talent formidable ; vif, intelligent et rapide, Meazza devient l’un des premiers dribbleurs de classe mondiale du football au même rang que des joueurs comme Leonidas ou Matthias Sindelar. Alors que la professionnalisation émergente du football requiert des joueurs athlétiques et performants physiquement, le joueur de l’Inter Milan prend le contrepied de ces exigences, mais personne ne pourra l’en empêcher, car Meazza fait littéralement ce qu’il veut, sur, et en dehors du terrain.
Les nerazzurri n’ont pas d’autres choix que de satisfaire leur joyau. À la fin des années 1920, le football italien est dominé par le Genoa, Bologne et les deux clubs turinois. L’Inter, renommé Ambrosiana par le régime fasciste en 1928, peine à se faire une place de premier plan sur la scène nationale. Ce sera chose faite à l’occasion de la première saison de la Serie A (1929-1930). L’Ambrosiana s’adjuge le titre en inscrivant 85 buts (un total exceptionnel pour l’époque) dont 31 pour le seul Giuseppe Meazza. Les temps de passage sont irréels pour celui qui n’a même pas encore 20 ans. À l’issue de la saison suivante, il compte déjà plus de 100 buts (bien aidé par des quintuplés ou même des sextuplés) inscrits sous les couleurs de l’Inter Milan, un parcours totalement extraordinaire qui fait rapidement de lui l’icône de toute une ville.
Le roi de Milan
Avec des débuts aussi fous et en glanant le Scudetto, Peppino accède naturellement à un nouveau statut. En plus, l’Italien enchaîne les saisons de haute facture, reste fidèle au club et manifeste un fort attachement à la ville de Milan et à la Lombardie de manière générale. Au fur à mesure que le temps passe (il reste 13 saisons à l’Inter), le jeune adolescent chétif devient une icône milanaise. Son jeu de jambes est aussi efficace sur le terrain que sur les dancefloor de Milan où il est – très – régulièrement de sortie. Au stade ou en boîte de nuit, Meazza fait tourner toutes les têtes.
Le Milanais mène une vie de rockstar, plus proche de celle d’un acteur hollywoodien que de celle d’un footballeur de l’époque. Un mode de vie cohérent quand on sait qu’il idolâtre l’acteur Rudolf Valentino, dont il copie d’ailleurs le style capillaire (cheveux gominés en arrière et raie au milieu). Son talent ouvre les portes de tous ses désirs, il est le seul joueur auquel le club accorde le droit de fumer, son salaire lui permet de collectionner les voitures de sport et surtout, de s’attarder dans les bordels milanais.
Meazza affectionne tellement les maisons closes qu’il y passe plusieurs veilles de match. En novembre 1937, quelques heures avant le coup d’envoi entre la Juve et l’Inter (les deux leaders du championnat), Peppino est introuvable. Son masseur, duquel Meazza est très proche, sait pertinemment ou trouver la star lombarde. Une heure avant le coup d’envoi, Meazza dort tranquillement dans une maison close milanaise. Réveillé in extremis par son masseur, l’attaquant rejoint ses coéquipiers à peine un quart d’heure avant le coup d’envoi, le temps de préparation nécessaire pour planter un doublé et offrir une victoire décisive à son équipe (2-1). Mieux, au terme de la saison, les nerazzurri sont de nouveau champions d’Italie et mettent fin à la domination de la Juventus puis de Bologne sur la scène nationale. Une fois de plus, Meazza s’adjuge le titre honorifique de capocannoniere.
Après un dernier championnat remporté en 1940, Peppino s’engage pour l’AC Milan. À 30 ans, sa carrière est déjà déclinante et, handicapé par une hygiène de vie discutable, il ne retrouvera jamais, dans ses autres clubs (Juventus, Varèse, Atalanta), le niveau atteint sous les couleurs nerazzurri.
Giuseppe Meazza, un sportif du fascisme
Avec ses 338 buts, la notoriété de Meazza dépasse les frontières de l’Italie. En plus de ses prouesses avec l’Inter, le Milanais devient dès 1930 un élément clé de la Nazionale. Une équipe d’Italie qui dispute le Mondial 1934 à domicile et dont le régime fasciste compte bien tirer le plus parti possible. Si l’Italie dispose de l’une des meilleures équipes, s’appuie sur un sélectionneur révolutionnaire en la personne de Vittorio Pozzo, la Coupe du monde 1934 n’est pas vraiment celle de l’esprit sportif. Au point que le président de la fédération italienne déclare avant la compétition : « Le but ultime de la manifestation sera de montrer à l’univers ce qu’est l’idéal fasciste du sport dont l’unique inspirateur est le Duce .»
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Le déroulement de la compétition est à l’image du régime de Mussolini. Les arbitres sont évidemment soudoyés, les stades sont entourés par les chemises noires et l’ambiance est macabre. Vraisemblablement menacés de mort, les arbitres ouvrent la voie de la finale aux Italiens. À l’approche de la finale, le message est clair, ce sera la victoire ou la mort, en particulier pour les “oriundi” (joueurs naturalisés pour leur ascendance italienne, ils sont la plupart du temps originaires d’Argentine) comme Luis Monti ou Raimundo Orsi.
Non sans peine, les Italiens remportent leur première Coupe du monde, contre la Tchécoslovaquie, après les prolongations. Une Coupe du monde au cours de laquelle Meazza s’affirme comme le leader de la Nazionale, mais également comme le visage du sportif fasciste. Pas vraiment opposé au fascisme, sa starification doit beaucoup à ses liens avec le régime de Mussolini.
Au-delà de ses accointances avec le fascisme, Meazza réalise des prouesses exceptionnelles sous le maillot italien. Dès 1930, il contribue au succès de l’Italie en Coupe internationale européenne en inscrivant un triplé contre la Hongrie. Il inscrit en tout 33 buts en 55 matchs et reste longtemps le meilleur buteur de l’histoire de la Squadra azzurra.
Meazza, capitaine d’une Italie sur le toit du monde
Vittorio Pozzo, sélectionneur de l’Italie et tacticien majeur de son temps, cherche à mettre sa star dans les meilleures conditions. Pozzo fait évoluer le 2-5-3 classique de l’époque en donnant à deux de ses attaquants des rôles de n°10, dont Giuseppe Meazza derrière le prolifique Silvio Piola. Vittorio Pozzo ne manque pas de propos élogieux pour son joueur. “Avec Meazza, on commence le match à 1-0”, bien que les mœurs du Milanais soient aux antipodes des exigences militaires de Pozzo. Vétéran de la Première Guerre mondiale, Vittorio Pozzo impose une discipline de fer, et généralise la pratique des mises au vert. Pas vraiment dans les habitudes du Milanais qui arrivera tout de même à gratter des soirées libres, notamment en 1938 après la victoire contre la Norvège au premier tour de la Coupe du monde.
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Organisée en France, la Coupe du monde 1938 débute, quelques jours après la chute du gouvernement dirigé par le Front populaire, dans un contexte politique tendu. Le spectre de la guerre plane déjà, et la Wunderteam autrichienne est incorporée de force à l’équipe de l’Allemagne nazie. Un événement tragique qui coûte la vie à l’un des meilleurs footballeurs de son époque : Matthias Sindelar.
Durant la compétition, Meazza embrasse un rôle de passeur pour mieux faire briller ses coéquipiers comme Silvio Piola. Mais il inscrit aussi un but décisif en demi-finale contre le Brésil. La légende veut même que l’élastique de son short se serait défait pendant sa course. Trop forte, l’Italie écarte successivement la Norvège, la France et le Brésil avant de surpasser la Hongrie (4-2) en finale. Double vainqueur de la Coupe du monde à 28 ans, Giuseppe Meazza est au sommet, une star internationalement connue. Au moment de recevoir la coupe, il adresse un salut fasciste à un Albert Lebrun (président français de l’époque) désemparé. Il remplit alors le rôle du sportif ambassadeur du fascisme contrairement à d’autres grands sportifs italiens de l’époque comme Gino Bartali.
Giuseppe Meazza a su se construire un statut d’icône tout au long de sa carrière notamment grâce à sa précocité, faisant de lui l’une des premières véritables stars du football. Sur le terrain Giuseppe Meazza a fasciné les foules et tout remporté sur son passage, faisant de lui l’un des plus grands joueurs italiens. Un statut amplifié par le régime fasciste prompt à faire de ses meilleurs athlètes des “vitirines” du modèle de société fasciste.
Sources :
- Giuseppe Bagnati, « Meazza, il riccordo di un mito,nasceva Milano 100 anni fa », gazzetta.it.
- Maxime Dupuis, « 1934, la Coupe du monde en otage », eurosport.fr, 15 décembre 2020.
- Étienne Labrunie, « Italie-Tchécoslovaquie 1934, quand Mussolini décidait de l’issue des rencontres », lemonde.fr, 15 juin 2018.
- Éric Maggiori, « Giuseppe Meazza et les filles de joie », sofoot.com, 31 juillet 2015.
- Edd Norval, « Etched in stone : the genius of Giuseppe Meazza », thesefootballtimes.com, 1er octobre 2018.
Crédits photos : Icon Sport et Wikimedia Commons