Icône de l’AC Milan pendant près de deux décennies, Gianni Rivera a tout remporté avec le club lombard. Le N°10 avait la technique aussi fine que le verbe haut. Mais à l’instar de son rival Sandro Mazzola, sa carrière internationale n’a pas été aussi aboutie. Retour sur le parcours de ce merveilleux regista.
À l’inverse de son rival interiste Sandro Mazzola, Giovanni Rivera n’a pas connu qu’un seul club pro au cours de sa carrière. Avant d’endosser le maillot rossonero pour y passer quasiment l’intégralité de son parcours professionnel, le natif de Valle San Bartolomeo, petit bourg voisin d’Alessandria dans le Piémont, donne ses premiers coups de pied dans un ballon à l’Oratoire Don Bosco. Dès 1956, son père lui présente Giuseppe Cornara alors entraîneur des jeunes de l’Unione Sportiva Alessandria Calcio et Gianni prend donc sa licence avec i Grigi (Les Gris en français dans le texte). Mais au fait, Gianni ou Giovanni ? Le principal intéressé nous explique : « Ma mère voulait m’appeler Gianni, mais quand mon père a voulu m’enregistrer à ce nom, ils lui ont dit que c’était impossible parce qu’il n’existait aucun saint avec ce nom. Pour mon père, mettre Giovanni, comme on lui avait suggéré, n’était pas un problème, d’autant plus que c’était le prénom de mon grand-père. Mais ma mère en revanche ne l’a pas accepté et a décidé de m’appeler quand même Gianni. J’ai découvert mon vrai prénom seulement le jour où j’ai fait mes premiers papiers d’identité ! » Peu importe son prénom, son talent est indéniable. À tel point qu’il impressionne même un certain Silvio Piola (champion du monde en 1938 avec la Nazionale) venu assister aux matchs d’un tournoi de jeunes. Ce dernier déclare : « À son âge, je ne rêvais même pas des choses qu’il sait faire. »
Surclassé, il fait rapidement ses grands débuts en Serie A, contre l’Inter, à seulement 15 ans, 9 mois et 15 jours. Son club a demandé une dérogation pour le faire participer à la rencontre car l’adolescent n’a pas encore seize ans. Il devient l’un des plus jeunes joueurs de Serie A, seulement devancé par Amedeo Amadei qui, lui, avait tapé le cuir en 1937 pour la Roma à l’âge de 15 ans, 9 mois et 6 jours. D’ailleurs, Amadei et Rivera sont également les deux plus jeunes buteurs du championnat, respectivement à 15 ans, 9 mois et 14 jours et 16 ans, 2 mois et 7 jours. Peu de temps après, il cesse définitivement ses études pour se consacrer exclusivement au football. Son coach à Alessandria, Franco Pedroni – un ancien joueur du Milan – détecte immédiatement l’énorme potentiel du surdoué. Il en informe l’un de ses anciens dirigeants et, en dépit de la concurrence de l’Inter dans ce dossier, le club rossonero passe très vite à l’action.
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Testé lors d’un entraînement avec l’équipe première du Milan, dont Liedholm et Schiaffino, Rivera séduit l’entraîneur Giuseppe Viani. Le technicien sollicite son président Andrea Rizzoli : « Président, on doit prendre ce gamin. Lors de son essai, la météo était très mauvaise. Et il est tellement fort que j’étais incapable de dire si c’était lui ou Schiaffino qui avait le ballon. » Signé en copropriété, Gianni reste dans son club d’origine avant de rejoindre la Lombardie en 1960.
Au Milan, une grande et longue histoire d’amour
C’est le début d’une longue et belle histoire avec le Milan, période pendant laquelle le club glane trois Scudetti (1962, 1968 et 1979), quatre Coupes d’Italie (1967, 1972, 1973 et 1977), deux Coupes des Champions (1963 et 1969), deux Coupes des coupes (1968 et 1973) et une Coupe Intercontinentale (1969). Aux côtés de Cesare Maldini, Giovanni Trapattoni, Dino Sani, Fabio Cudicini et José Altafini (auto-surnommé Mazzola en hommage au père de Sandro quand il évoluait au Brésil), Gianni gagne le N°10 et son surnom : le Golden Boy attribué par son entraîneur de l’époque Giuseppe Viani.
Les débuts ne sont pas simples. Lors de sa première saison en Lombardie, les critiques tombent sur ce jeune talent qui peine à enchaîner les matchs. Rivera témoigne : « Je n’avais pas encore 17 ans, j’avais joué sans relâche avec l’Alessandria, puis j’avais enchaîné avec les Olympiades. J’étais vraiment crevé, et je tombais au moindre contact. Les journalistes avaient écrit que j’étais un bluff, que j’étais seulement là pour faire beau. » En 1961, l’arrivée de Nereo Rocco laisse même planer un doute sur son avenir rossonero. Il doit batailler pour gagner sa place car son nouveau coach ne voit pas en lui un élément essentiel de l’effectif.
Des prêts à Vicenza et à la Juventus sont évoqués dans la presse. Mais finalement, titularisé à seulement 17 ans, il devient l’un des acteurs majeurs de son équipe et noue des liens très forts avec le légendaire coach adepte du catenaccio. Sous le charme, l’ancien coach de Trieste déclare plus tard : « Oui, il ne court pas beaucoup, mais si je veux du bon football, de la créativité, de l’art de renverser une situation de la première à la quatre-vingt-dixième minute, seul Rivera peut me donner tout cela avec ses flashs. Je ne voudrais pas exagérer, parce qu’en fin de compte, ce n’est que du football, mais Rivera est un génie. »
Les résultats ne vont pas tarder à lui donner raison. Champion d’Italie en 1962, Milan remporte sa première couronne continentale face au Benfica de Eusébio. Gianni n’a que dix-huit ans et s’installe sur le podium du Ballon d’Or juste derrière le lauréat Lev Yachine. Après le titre européen, Rocco quitte son banc pour rejoindre celui du Torino et Milan connaît une période creuse avec uniquement une victoire en Coupe d’Italie en 1967. Dans la foulée de ce succès, le nouveau président milanais opte pour le retour du technicien frioulan aux commandes. Ce come-back va être le détonateur d’une nouvelle période glorieuse pour le Diavolo et d’un rebond pour la carrière de Rivera. À cette époque, Gianni est un peu dans le dur comme le confirme le journaliste italien Ezio De Cesari : « Tout le monde voulait que Rivera parte. On le considérait comme un luxe, pas comme un joueur capable de guider son équipe. Mais contre l’avis de la majorité, Rocco a responsabilisé Rivera en le nommant capitaine et en construisant l’équipe autour de lui. » En effet, lors de son second séjour en Lombardie, Rocco forme donc une équipe travailleuse sublimée par la créativité de Rivera. Âgé de 23 ans, il porte le brassard pour la première fois et ne le quitte plus pendant douze saisons (sur ses dix-neuf au Milan).
Évidemment, le Milan décroche à nouveau le Scudetto et même la Coupe des Coupes à l’issue de la saison 1967/68. Le club lombard s’empare de sa seconde Coupe des Clubs Champions l’année suivante. Rivera se distingue particulièrement lors de la finale contre l’Ajax de Cruyff. Trequartista de génie, il compense son manque d’endurance par une intelligence exceptionnelle et une technique harmonieuse. En 1969, après la victoire contre l’Estudiantes en Coupe Intercontinentale, Rivera devance son compatriote et coéquipier en sélection Gigi Riva et devient le premier Ballon d’Or italien non oriundo (après Omar Sívori en 1961, dont la carrière est retracée par nos confrères de Lucarne Opposée dans leur magazine N°16).
Lors des saisons suivantes, son palmarès s’enrichit encore de plusieurs trophées mais sa carrière aurait pu s’interrompre plus tôt. En 1975, il annonce sa retraite à la suite d’un clash avec son président Albino Buticchi après le renvoi de Nereo Rocco à l’issue de la saison 1973/74. Finalement, le rachat du club par Vittorio Duina et la réintroduction sur le banc de Rocco font revenir le Golden Boy sur sa décision. Et si, vers la fin de sa carrière, son style de jeu devient plus avare en superflu, il demeure toujours aussi efficace comme en atteste ce dernier Scudetto glané en 1979, juste avant sa vraie retraite. Très engagé, Gianni s’est souvent élevé contre la presse, la fédération, les arbitres et même certains dirigeants du Milan quand il jugeait être face à une injustice. En 1968, il devient même avec Sandro Mazzola l’un des membres fondateurs de l’Associazone Italiana Calciatori pour défendre les intérêts des joueurs. Cette facette de sa personnalité lui a valu beaucoup de critiques dans les journaux et il n’a pas toujours fait l’unanimité dans son pays. Il se souvient et raconte : « Certains me trouvaient antipathique parce que s’il y avait quelque chose à dire, je le disais. Bon, maintenant, ils sont tous morts, mais c’était parfois aussi une antipathie « intéressée » car le directeur de la Gazzetta dello Sport était un ami de Angelo Moratti, président de l’Inter dans les années 60. Et, dès qu’il pouvait, il me dénigrait moi, le capitaine du Milan. »
Après sa carrière sportive, il est nommé vice-président du Milan. Un rôle qu’il occupe jusqu’en 1986 et l’arrivée au club de Berlusconi. Gianni raconte son départ : « Ce fut Berlusconi qui créa les conditions pour que je m’en aille. C’est quelqu’un qui te fait comprendre que si tu ne le considères pas comme le Roi Soleil, il ne collaborera pas avec toi. Il n’accepte pas quelqu’un qui puisse lui faire un peu d’ombre. » Ensuite, il se lance dans l’action publique et la politique en étant trois fois député en Italie et une fois au Parlement européen avant de revenir au football en 2010 comme président de la section jeunes puis de la section technique de Coverciano. Titulaire de son diplôme d’entraîneur à l’âge de… 75 ans, il passe son temps à Rome en attendant peut-être de connaître sa première expérience sur un banc.
Avec la Nazionale, un goût d’inachevé
Sa relation avec la sélection nationale italienne débute en 1962 par un amical contre la Belgique, remportée 1-3 par la Nazionale. Ses premiers buts interviennent quelques mois plus tard avec un doublé face à la Turquie et une large victoire 6-0. Néanmoins, l’Italie ne parvient pas à se qualifier pour l’Euro 64. Deux ans plus tard, c’est le fiasco anglais avec une piteuse élimination au premier tour de la compétition à la suite d’une humiliante défaite contre la Corée du Nord. En 1968, la Nazionale se console en remportant l’Euro dont la phase finale est disputée à domicile. Si Rivera joue la demi-finale contre l’URSS et dont le vainqueur a été désigné à pile ou face, il ne participe pas à la finale face à la Yougoslavie de Dragan Džajić à cause d’une blessure.
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Qualifié pour le Mondial 70, Gianni est la victime collatérale (avec Sandro Mazzola) de la décision du sélectionneur transalpin Ferruccio Valcareggi de ne pas aligner les deux meneurs de jeu ensemble sur le terrain. C’est la légendaire « staffeta« . Quand Mazzola débute le match, Rivera lui succède dès le début de la seconde période. Cette tactique fonctionne jusqu’en finale, notamment lors d’un match resté dans la légende : la demi-finale contre la RFA. Cette rencontre est considérée par beaucoup comme le match du siècle.
Une plaque commémorative est même apposée au stade Aztèque. Et Rivera signe le but victorieux à la 111ème minute de jeu. Juste après l’égalisation allemande de l’inévitable Gerd Müller, sur le coup d’envoi, le ballon arrive côté gauche sur Boninsegna. Il déborde Willi Schulz et centre au point de penalty pour Gianni qui reprend le ballon et crucifie Sepp Maier pour le 4-3. Mais face au Brésil de Carlos Alberto, Gérson, Jairzinho, Pelé, Rivelino ou Tostão, Valcareggi retarde l’entrée en jeu du N°10 milanais. Il s’en explique en 2005 : « J’avais repoussé l’entrée de Rivera de minute de minute parce que non seulement Mario Bertini avait un léger problème à l’aine, mais aussi parce que Pierluigi Cera ne se sentait pas bien. Je croyais aussi qu’il restait plus de temps quand j’avais fait entrer Rivera. »
Quoiqu’il en soit, l’Italie est balayée 4-1 par les Auriverde. Pas qualifiés pour l’Euro 72, l’Italie et Rivera font un dernier tour de piste en 1974 pour le Mondial allemand. Incapable de rééditer la performance du Mexique, la Nazionale sort dès le premier tour de la compétition. Gianni clôt son chapitre international avec un ultime but azzurro, contre Haïti. Son bilan est de soixante capes pour quatorze buts. En 2013, il est intronisé au Hall of fame du football italien en qualité de vétéran italien comme Gigi Riva ou Dino Zoff. Il rejoint des grands noms du football italien, tels Sandro Mazzola, Marco Tardelli, Paolo Rossi, Bruno Conti, Giancarlo Antognoni et Gabriele Oriali.
Reconnu comme l’un des meilleurs joueurs transalpins mais également l’un des meilleurs N°10 de l’histoire du football, son glorieux parcours, qui s’étale sur près de deux décennies, est le synonyme d’une longévité rare, en une telle époque.
Sources :
Eric Marinelli, « Les 30 choses que vous ne savez peut-être pas sur Gianni Rivera », So Foot, 4 février 2016
Ricorrenze Azzurre, « Buon compleanno a Gianni Rivera! », Vivo Azzurri (FIGC), 18 août 2021
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