Le football corse fut endeuillé tout au long de ce mois de février 2023. En effet, le 30 janvier dernier, le tribunal de commerce d’Ajaccio a placé le Gazélec Ajaccio en liquidation judiciaire suite à de graves difficultés financières. Une décision qui a fait suite à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire du club le 20 décembre 2022. Une bien triste nouvelle pour le football insulaire qui a ainsi perdu l’un de ses plus prestigieux représentants…
Le Gazélec Ajaccio naît en 1960 de la fusion du Football Club Ajaccien et du Gazélec Club Corse, ce dernier ayant été fondé en 1956 par des agents EDF et GDF. Dès sa création, le club de la cité napoléonienne connaît ses premiers succès. Sous la houlette de Pierre Cahuzac, entraîneur-joueur de l’équipe première dès 1961, le club remporte le championnat de Corse et accède par la suite au Championnat de France amateur (CFA) qui correspond de nos jours à l’actuel National 2 (N2). L’entraîneur d’origine héraultaise est arrivé à Ajaccio grâce à un certain Albert Batteux.
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Le Gazélec Ajaccio, ou les premiers souvenirs des exploits du football corse
Rapidement, le Gazélec devient une référence dans le monde du football amateur en France. Le Gaz remporte quatre titre de CFA au des années 1960 (1963, 1965, 1966 et 1968). Le premier titre de champion de France 1963 reste à jamais dans les mémoires des supporters de Mezzavia. Placé dans le groupe Sud-Est, réputé pour être particulièrement compliqué, les Diables rouges survolent leur championnat et se retrouvent en poule finale avec un autre grand du football amateur en France, l’US Quevilly.
Dans cette poule finale, le club de la banlieue rouennaise parait comme le grand favori. Les observateurs de l’époque voient l’US Quevilly remporter son quatrième titre de CFA après les sacres de 1954, 1955 et 1958. Et pourtant, c’est bien le Gazélec Ajaccio qui va s’imposer sur le score de 6-1 à Versailles au stade Montbauron. Une rencontre pliée en une demi-heure avec un score de 3-0. Par la suite, Angeot Alfonsi, homme du match, marque un triplé pour sceller la victoire et le premier titre de champion de France amateur du Gazélec Ajaccio. Une victoire retentissante tant sur le plan sportif que sur le plan symbolique puisque neuf joueurs corses composaient l’équipe du Gazélec lors de cette finale.
Au-delà de ses bons résultats en CFA, le club ajaccien est aussi considéré comme l’un des premiers porte-drapeaux du football insulaire pour ses exploits en Coupe de France. Il y a tout d’abord la victoire historique contre Cannes en 1962. Le Gazélec Ajaccio devient alors le premier club corse à éliminer un club professionnel dans la plus prestigieuse des compétitions du football français. Il y aura par la suite également le grand match livré par le Gaz en 32es de finale contre Béziers. Rencontre dans laquelle, le Gaz acquiert définitivement une grande popularité dans toute l’île de Beauté.
Néanmoins, le plus grand exploit du Gazélec en Coupe survient en 1965 contre l’Olympique de Marseille. Les Corses s’imposent sur le score de 5-1 dans la cité phocéenne. En dehors du match contre Cannes, cet exploit est considéré comme l’un des actes fondateurs de la légende du football corse. De nouveaux exploits en Coupe arriveront contre l’AS Monaco et l’AC Ajaccio au cours des années 1960.
Des grandes victoires qui sont suivies par d’autres titres de champions de France amateur. En 1966, le Gazélec se débarrasse des Nordistes de l’AC Cambrai en finale avant de s’imposer de nouveau contre Bagneux/Nemours/Fontainebleau en 1968.
Le Gazélec entre monde amateur et tentation du professionnalisme
L’histoire du Gazélec Ajaccio est notamment marquée par des questionnements concernant sa propre identité. Si les Diables rouges ont été une référence en CFA, cela a été plus complexe dans le monde professionnel. Alors que le Gaz remporte plusieurs titres de championnat de France amateur, la question d’intégrer le professionnalisme se pose pour les dirigeants de l’époque.
Ainsi, les Corses refusent deux premières montées en D2 avant de franchir le pas au début des années 1970. Cette période est considérée comme trouble pour les observateurs et spécialistes du club corse. Si les premières saisons s’avèrent compliquées dans le monde pro, le Gazélec parvient tout de même à faire des choses intéressantes. Et ce, malgré le départ en novembre 1971 de l’entraîneur mythique, Pierre Cahuzac.
Le club va être rapidement divisé entre deux visions. Il y a les partisans du monde professionnel et qui rêvent de voir le Gazélec porter le football corse et une autre vision plus modérée qui soutient un projet amateur pour le Gazélec, plus adapté à sa taille. Un pallier qui sera franchi pour des questions de suprématie régionale et citadine. En effet, en acceptant une montée en D2 professionnelle, les Diables rouges peuvent devenir la première équipe d’Ajaccio, devant le rival honni, l’AC Ajaccio.
Malgré quelques nouveaux exploits en Coupe de France, le Gazélec ne parvient pas à obtenir d’aussi bons résultats dans le championnat de D2 professionnelle. Il redescend finalement au cours des années 1980 avant de remonter en 1986 avec une autre équipe qui va marquer l’histoire des Diables rouges. En effet, l’équipe du Gaz qui est promue en D2 est alors composée uniquement de joueurs corses. Après une nouvelle descente puis une nouvelle remontée en 1990, le Gazélec Ajaccio connait un deuxième et nouvel âge d’or en deuxième division.
Il y a tout d’abord la saison 1990-1991 durant laquelle le Gaz obtient un maintien confortable synonyme d’obtention du statut professionnel pour une certaine durée. La saison suivante sera de nouveau marquée par une nouvelle épopée en Coupe de France avec un quart de finale contre l’AS Monaco. Une épopée accompagnée d’une très belle cinquième place en deuxième division. Le Gaz traverse alors l’une des plus belles périodes de son histoire dans le monde professionnel alors que le football insulaire connaît une grave crise suite au drame de Furiani qui est survenu le 5 mai 1992.
La nouvelle réforme de la D2 ne va pas se montrer bénéfique pour le Gazélec. Après une saison délicate les Gaziers redescendent en D3 nouvellement rebaptisé National. Le club perd son statut professionnel, ce qui est synonyme de grand danger pour la pérennité et la survie du GFCA. Ainsi, entre 1997 et 2006, le Gazélec Ajaccio va connaitre une période compliquée dans les championnats nationaux amateurs.
En 1999, après une fusion avec l’Olympique Ajaccien, le Gazélec pense retrouver le deuxième division sous la houlette du président Robert Feliciaggi alors que son voisin de l’ACA l’a rejointe un peu plus tôt. Une montée en D2 acquise sur le terrain mais qui est refusée aux Diables rouges en raison de l’article 131 du règlement des instances de la ligue professionnelle de football. Cette dernière interdit à une ville de moins de 100 000 habitants de compter deux clubs professionnels dans la même division.
Le Gazélec a du mal à se remettre de cette injustice puisque le club est relégué par la DNCG deux années plus tard en CFA. Il faut attendre le début et le milieu des années 2010 pour que le club ajaccien parvienne à écrire la plus belle page de son histoire dans le monde professionnel. Période marquée par un dernier carré de Coupe de France en 2012 mais surtout par sa première montée en Ligue 1 à l’issue de la saison 2014-2015.
La rivalité avec l’AC Ajaccio, une opposition socio-politique
Pour évoquer l’histoire du Gazélec, il était essentiel de revenir sur ses relations plus que compliquées avec son voisin de l’ACA. Une rivalité sportive avec en toile de fond l’hégémonie sur la ville d’Ajaccio. Mais aussi une rivalité socio-politique symbolisé par un clivage social important entre les deux grandes institutions footballistiques de la cité napoléonienne.
En effet, le Gaz représente davantage les couches populaires de la ville ajaccienne tandis que l’AC Ajaccio est davantage supporté par la bourgeoisie locale. Un clivage présent également du côté des présidents historiques des deux clubs. Pour l’ACA, François Coty industriel et homme de droite. Pour le Gazélec, Ange Casanova responsable syndical chez EDF et encarté politiquement du côté des communistes. Ce dernier défendant avant tout l’esprit amateur du Gazélec Ajaccio.
En plus de cette rivalité sociale, les deux clubs ajacciens se sont toujours battus pour l’hégémonie sportive sur la ville d’Ajaccio malgré une coexistence relativement pacifique. Dès la création du Gazélec en 1958 puis sa fusion avec le FC Ajaccio en 1960, le Gazélec devient rapidement une référence footballistique dans le monde amateur. Tandis que son voisin de l’ACA, navigue entre la première et la deuxième division.
Ainsi il existe facilement deux places à Ajaccio pour que chaque club puisse vivre selon sa taille : l’ACA dans le monde prof et le Gazélec dans le monde amateur. Une chose qui est encore vérifiée de nos jours comme l’a déclaré Rodéric Filippi, ancien joueur formé à l’ACA et passé par le Gazélec dans un article sorti sur So Foot en 2016 :
« Pour moi qui ai joué pour les deux clubs, je peux dire que l’on ressent les différences dans la façon de travailler. Il y a un côté un peu plus bourgeois à l’ACA, où l’on va moins mettre d’impact, mais avec des infrastructures et un professionnalisme plus poussés. Au Gazélec, c’est le côté populaire, les entraînements à droite à gauche quand on peut, parce qu’on n’a pas trop d’infrastructures. Après sur le terrain c’est charbon, c’est au cœur. L’identité du Gaz, c’est ça. En dehors de ça, j’avais déjà la mentalité du Gaz. ».
La rivalité refait surface à la fin de la décennie 1990 lorsque le Gazélec se voit refuser sa montée acquise sportivement en D2… en raison de la présence de l’ACA dans la deuxième division et de la mise en place du fameux article 131. Une rivalité qui réapparait de nouveau en 2014 lorsque les deux clubs se retrouvent en Ligue 2. Un derby historique dans le football français puisque Ajaccio est la seule ville en France à avoir connu un derby digne de ce nom (un match entre deux clubs d’une même ville) dans un championnat professionnel. Pour retrouver trace d’un tel évènement, il fallait remonter à la fin des années 1970 et la présence du Paris Saint-Germain et du Paris FC en D1.
Une chute inéluctable et prévisible depuis quelques années
Après ces retrouvailles en Ligue 2 avec son voisin de l’ACA, le Gazélec connait une montée historique en Ligue 1 sous la houlette de Thierry Laurey. Un exploit retentissant puisque le GFCA est alors le plus petit budget de Ligue 2 avec 4,5 millions d’euros. Une saison dans l’élite puis un nouveau retour en Ligue 2 en 2016. Si le Gazélec parvient à se maintenir durant trois saisons en Ligue 2, l’année 2019 marque le début d’un descente en enfer pour les Diables rouges.
Après un barrage perdu dans des circonstances folles contre Le Mans en mai 2019, le Gazélec retrouve le National. L’année d’après, qui est celle du Covid, sera de nouveau fatale pour les Gaziers qui sont relégués administrativement en National 3 à l’issue de la saison 2019-2020. Une chute qui n’en finit pas et qui sera fatale à ce grand club historique du football insulaire quatre années plus tard…
Le lundi 30 janvier 2023, le tribunal de commerce d’Ajaccio place le Gazélec Ajaccio en liquidation judiciaire en raison de graves difficultés financières. Alors qu’un mois auparavant, ce même tribunal avait ouvert une procédure de redressement judiciaire après avoir constaté l’état de cessation de paiements du GFCA. Une situation mettant fin définitivement aux activités du club. Tandis que dans le même temps, le président Johann Carta est mis en examen en novembre 2022 pour escroquerie en bande organisée dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille.
Trois mois plus tard, en février dernier, une autre enquête de la JIRS a visé le club ajaccien et a donné lieu à la convocation de trois de ses présidents successifs. Une accusation de dissimulation et abus de biens sociaux prenant source dans l’affaire mettant en cause les responsables présumés de la bande criminelle corse du Petit Bar. Ainsi depuis janvier 2023, les entraînements ont été suspendus et les deux équipes séniors du Gazélec évoluant en N3 et R2 ont dû déclarer forfait pour la fin de la saison.
Club historique du football corse, le Gazélec Ajaccio a disparu en ce début d’année 2023. Si certaines questions se posent pour son avenir proche dont notamment le maintien des équipes de jeunes, c’est un géant du football insulaire qui vient de disparaitre. De ses nombreux succès en CFA, à ses exploits en Coupe de France en passant par son éphémère passage en Ligue 1, le Gaz aura su obtenir le respect et l’admiration des suiveurs de football sur l’Île de Beauté.
Sources
- Carrolaggi Jean-Philippe, « Rétrospective : la chute du GFCA, club pionnier du football corse », Corse Matin, janvier 2023.
- Gadegbeku Romuald, « Gazélec-AC Ajaccio, histoire d’une rivalité oubliée », So Foot, décembre 2016.
- Martin R., « Le Gazélec Ajaccio se dirige vers “un dépôt de bilan inéluctable”), après la démission de son président et d’actionnaires », L’Équipe, octobre 2021.
- Rossignol Julien, « Clap de fin pour le Gazélec Ajaccio, placé en liquidation judiciaire », Le Monde, janvier 2023.
- Sereni Julia, Mattei Jean-Philippe, « Retour sur l’histoire tourmentée du GFCA », France 3 Via Stella, janvier 2023.
Photos : Icon Sport