L’histoire du football français est aussi riche que magique, en témoignent les deux titres de la sélection tricolore à l’Euro et les deux titres de champions du monde. Bien au-delà des médailles et des trophées, l’Equipe de France a apporté aux amoureux du football la plus précieuse des récompenses : des souvenirs. Forcément, il y en a eu des bons comme des mauvais : la Coupe du Monde 2006 et l’Euro 2016 n’ont pas de place particulièrement au chaud dans le cœur des Français, qui mettent probablement ces deux « drames » au sommet de la pyramide des mauvais souvenirs. Pourtant, notamment pour les plus jeunes d’entre nous, l’une des pires soirées de l’histoire de la sélection française a été oubliée. Celle du 17 septembre 1993, au Parc des Princes, face à la Bulgarie.
Bien avant cette soirée funeste, le parcours des Bleus semble tout tracé et la qualification à la Coupe du Monde ne paraît pas être un problème. Après huit matchs, l’Equipe de France est en tête de son groupe, un petit au-dessus la Suède et trois points devant la Bulgarie. Le bilan : six victoires, un nul et une défaite (à cette époque, une victoire ne rapporte que deux points). Deux matchs restent alors à jouer : la réception d’Israël et de la Bulgarie au Parc des Princes, à Paris. Le premier match se solde par une défaite, un but dans les arrêts de jeu étant venu mettre en danger les espoirs de qualifications de l’Equipe de France. De son côté, la Bulgarie remporte son match, revenant à un point de la France. Quant à la Suède, elle fait seule la course en tête, deux points devant la France. Nous sommes à la veille du dernier match de ce groupe 6, opposant la France et la Bulgarie, respectivement deuxième et troisième du groupe, et les Bleus doivent au moins faire match nul pour décrocher son ticket pour le mondial, aux Etats-Unis.
Un match aux conditions peu communes
Cette confrontation, au-delà de son scénario absolument fou qui sera décrit plus bas, s’est déroulée dans un mélange de conditions étonnantes, et ce dès la veille du match. En effet, alors que la plupart des Bulgares se rendent dans la ville lumière en avion, deux joueurs doivent trouver un moyen alternatif pour rejoindre la capitale française : Kostadinov et Penev n’ont pas de visa, et passent donc la frontière grâce à un ami alsacien. A Mulhouse, un douanier les arrête : « si je ne vous laisse pas passer, je pourrais devenir un héros national » aurait-il plaisanté. Ce ne fut pas le cas.
Vint ensuite le match. Ce terrible match au scénario tout aussi fou : quelques minutes après le coup d’envoi, Alain Roche et Laurent Blanc partent à la poursuite non pas d’un attaquant bulgare, mais d’un coq. En effet, le roi de la basse-cour et symbole de l’Equipe de France s’est invité au match, sachant probablement qu’il allait assister à un dénouement historique. Forcément, ce coq provoque le rire des spectateurs et d’autres y voient un signe du ciel : ce coq symbolise la future victoire des Bleus. Ironique quand on connaît la suite. Alors que Cantona ouvre le score à la 32ème minute, la France opte alors pour un jeu plus défensif et compte sur les exploits individuels de Cantona et Papin à plusieurs reprises.
Cinq minutes plus tard, Kostadinov, l’homme sans visa, égalise. La suite du match est compliquée : Zidane, alors très jeune, ne rentre pas sur le terrain. Roche et Deschamps font une partie difficile, tandis que Cantona ne parvient plus à trouver le chemin des filets. Après la mi-temps, les deux équipes semblent stériles et le temps est en faveur des Bleus. Chaque minute sans encaisser est à prendre. A la 90ème minute, tout semble terminé : Ginola détient le ballon à quelques mètres des buts adverses… et fait un choix fatal : celui de centrer. Le ballon est intercepté, les Bulgares partent en contre-attaque, et Kostadinov marque à nouveau.
« Dieu est Bulgare »
Côté Bulgare, c’est l’extase et la délivrance, en témoigne cette vidéo qui montre le point de vue des visiteurs sur le but de leur buteur. Le commentateur, qui semble ne pas réaliser ce qui se passe sous ses yeux, hurle dans son micro : « DIEU EST BULGARE ! »
Un match resté dans les mémoires et source de débats
Après ce match, L’Equipe qualifie l’Equipe de France de, justement « Inqualifiable. » Un nom manque alors à l’appel dans la critique du quotidien français sur le match des Bleus : David Ginola. Car si celui-ci n’est pas descendu dans la presse, il l’est par tous les Français et même Gérard Houllier, l’entraîneur de l’époque qui ne sélectionne plus jamais Ginola. Ce dernier ne participant plus jamais à un seul match des Bleus après ce drame. Pourquoi tant de haine ? Parce que Ginola est considéré comme l’homme à l’origine du second but bulgare, lui qui a donné le ballon aux visiteurs à quelques secondes de la fin de la rencontre, juste avant le miracle de Kostadinov. Gérard Houllier a même déclaré la phrase suivante, faisant de Ginola le bouc émissaire des Bleus :
« David Ginola a commis un crime contre l’Equipe de France. »
Encore plus fort : Houllier traite même Ginola de « salaud » dans son livre publié en 2011, dix-huit ans après le drame. En effet, deux jours avant le match, Ginola accusait Houllier d’avoir sélectionné Papin et Cantona, qui « ne devraient pas jouer en Equipe de France » selon l’ancien international français. « J’aurais dû l’exclure, mais Aimé Jacquet m’en a empêché. Sans ça, on se serait qualifié » a rétorqué Houllier dans Secrets de coach, son livre. En 2010, Ginola a décidé de prendre les mesures nécessaires pour cesser de se faire harceler :
« En 2010, 17 ans après, quand je vois le même personnage, qui est aujourd’hui DTN, passer à la télévision et reparler de cet évènement où on me traite de criminel pour un centre trop long, je suis désolé, je trouve cela exagéré. Ça suffit ! J’en ai tellement marre… J’ai décidé de porter plainte. »
Alain Roche, lui, avait accusé la défense des Bleus, dont il faisait partie : « Nous étions six contre deux ou trois Bulgares. Nous sommes bien plus responsables que David Ginola. » Quant au principal concerné de la soirée, Kostadinov lui-même, il a préféré accuser Houllier et ses choix tactiques, comme de nombreux Français l’ont fait.
« La défaite de la France n’est pas imputable à Ginola. Je pense que c’est la faute de l’entraîneur, qui a voulu jouer la défense. Si les Français n’avaient pas voulu jouer le nul, rien de tout cela ne serait arrivé. »
Cet évènement tragique de l’histoire du football français aura donc traversé les âges, étant source de dialogues embrasés et d’altercations venimeuses entre les protagonistes français de cette soirée.
Ce match reste, encore aujourd’hui, comme l’un des plus dramatiques de l’Equipe de France pour son scénario fou et son enjeu si important. Ce doublé de « l’homme sans visa », ce coq vu par les Français comme un signe du destin qui va finalement leur porter malheur, ce centre raté de Ginola qui mène au deuxième but bulgare et les choix douteux de l’entraîneur ne sortiront jamais de la tête des Français qui ont vécu cette histoire. Même si les plus jeunes pensent d’abord à 2006 et 2016, ils sont néanmoins bercés par leurs parents et le récit de ce match si improbable.
Sources :
- 20 minutes, Pourquoi diable David Ginola a pris pour tout le monde ?
- Eurosport : ce que vous ignorez peut-être sur le drame de France – Bulgarie de 1993
- Franceinfo : France Bulgarie 1993, le cauchemar
Crédit photos : Iconsports