Notre première escale s’était attardée sur les îles de Cuba et Haïti. Cette fois-ci, nous nous enfonçons davantage dans la mer des Caraïbes vers de nouvelles contrées. Notre voyage dans le temps nous amène 24 ans après le dernier représentant caribéen au mondial. Fini le football de nos aïeux et ses Coupes du Monde à 16 équipes. Ce sport a évolué, il s’est modernisé. Il va plus vite, il est plus technique, il est plus physique. Place aux Coupes du monde à 32 équipes pour le plus grand bonheur de tous.
La France et l’Allemagne attirent définitivement bien les équipes caribéennes. Après 1938 et 1974, les deux pays vont de nouveau organiser une Coupe du Monde. De nouveau, celles-ci vont s’inviter dans la compétition et tenter de déjouer tous les pronostics. La suite de notre périple nous mène en Jamaïque. Si Bob Marley, d’ailleurs grand amateur de foot, a largement contribué au rayonnement international de l’île, une qualification pour un événement mondialement suivi permettrait sans doute aussi de mettre en lumière le pays.
Jamaïque 1998 : quand la France se mit au reggae
Les Reggae Boyz entament les qualifications à la Coupe du Monde 1998 plus de deux ans avant l’événement, le 31 mars 1996. C’est que le chemin est long pour les équipes de la zone CONCACAF mal classées au classement FIFA. La Jamaïque débute son parcours du combattant par un premier tour en s’imposant deux fois 1-0 contre le Surinam (bien que situé géographiquement en Amérique du Sud, le Surinam est membre de la zone CONCACAF) puis en éliminant la Barbade grâce à ses victoires 1-0 et 2-0. Au deuxième tour la Jamaïque est placée dans le groupe 4 avec le Honduras, le Mexique et Saint-Vincent-et-les Grenadines qu’elle doit affronter en matches aller-retour. En terminant première avec le Mexique, les deux équipes accèdent au troisième et dernier tour qui regroupe six équipes avec les États-Unis, le Costa Rica, le Salvador et le Canada. Les trois premières s’envoleront pour la France.
Cette troisième étape commence très mal pour les Jamaïcains qui, à l’issue de la phase aller, ne comptent qu’une seule victoire contre le Salvador. L’équipe manque cruellement d’expérience et de talents pour pouvoir prétendre à une qualification. Le sélectionneur du moment, René Simões, ne se laisse pas abattre. Il se rend alors en Angleterre pour y trouver des joueurs originaires de la Jamaïque et en particulier des attaquants puisque son équipe n’a inscrit que deux buts lors des matchs aller. Il faut savoir qu’une grosse communauté jamaïcaine est présente en Angleterre, puisqu’après la Seconde Guerre mondiale, des milliers de Jamaïcains migrèrent en Grande Bretagne car le pays manquait de main d’œuvre. C’est ainsi que Frank Sinclair, Marcus Gayle, Deon Burton Paul Hall, Robbie Earle et Fitzroy Simpson complétèrent l’effectif bien qu’ils n’avaient aucun lien avec la Jamaïque à part leur origine. Ce choix s’avérera payant, puisque Burton dispute les cinq matches retour et inscrit quatre buts. Avec deux victoires et deux nuls la Jamaïque se relance totalement et n’est plus qu’à un match du bonheur. Le 17 novembre 1997 est une date inoubliable pour toute une île. Au stade national de Kingston, les Reggae Boyz reçoivent le Mexique, assuré de finir premier, pour une place au mondial. Dans le même temps, les Jamaïcains doivent compter sur une victoire des Etats-Unis qui reçoivent le Salvador. La foule est en liesse en apprenant chaque but américain. La victoire des Etats Unis et le nul contre le Mexique offrent à la Jamaïque la troisième et dernière place qualificative pour la Coupe du Monde. Il aura fallu 20 matches aux Jamaïcains pour se qualifier ; un record. Cet exploit provoque une véritable fierté nationale. Le lendemain est d’ailleurs déclaré férié par le gouvernement, le premier ministre jamaïcain Percival James Patterson déclarant que « cette qualification est sans aucun doute le plus beau jour de notre histoire sportive. »
Le tirage au sort de la phase finale est effectué et la Jamaïque hérite de l’Argentine, de la Croatie et du Japon. Le rêve jamaïcain est enfin en marche. Hélas, un événement va entacher la préparation au mondial. Juste avant son premier match contre la Croatie, la cohésion du groupe est perturbée par un reportage sur l’équipe diffusé par Channel 4. Celui-ci offrait un regard peu flatteur des Reggae Boyz et soulignait en particulier les différences entre les joueurs locaux et les éléments britanniques de l’équipe. La vie fastueuse des joueurs anglais professionnels de l’équipe juxtaposée au style de vie beaucoup plus terre à terre de leurs coéquipiers jamaïcains, qui n’étaient pour la plupart pas professionnels, crée des tensions entre les joueurs. René Simões admettra que ce documentaire a mis à mal le collectif. Une déclaration néanmoins démentie quelques temps après par Robbie Earle, milieu de terrain de l’équipe : « Pour être honnête, certains des gars qui jouaient pour la Jamaïque étaient plus professionnels que des pros avec qui j’ai joué et qui étaient payés des milliers de livres par semaines. La sélection était différente. En fait, c’était un club glorifié sous l’apparence d’une équipe nationale. » Malgré l’incident, les joueurs sont déterminés à représenter leur pays avec fierté et ne veulent pas être vus comme une équipe incapable de marquer le moindre but ou de gagner le moindre match.
En ce 14 juin 1998, une marée de fans venus des Caraïbes envahit les rues de Lens. Quelques heures avant la rencontre, les abords du stade Bollaert se transforment en festival de musique reggae. Si les Croates ouvrent le score par Mario Stanić, la sensation vient bien des Jamaïcains qui parviennent à égaliser juste avant la mi-temps sur tête de Robert Earle. La réalité rattrape les Reggae Boyz en seconde période et la Croatie inscrit deux buts pour s’imposer 3-1. Pour son deuxième match, celui de sa survie si elle veut encore espérer se qualifier en 1/8 de finale, la Jamaïque rencontre l’Argentine au Parc des Princes. La mission est quasi impossible, encore plus face à une Albiceleste composée de fuoriclassi comme Veron, Simeone, Batistuta, Ortega, Zanetti ou encore Crespo. Le match tourne vite à la démonstration. A la demi-heure de jeu, Veron lance en profondeur Ortega qui part ouvrir le score sur un ballon piqué de l’extérieur du pied. La forme d’Ortega entraîne d’ailleurs l’exclusion du milieu de terrain Darryl Powell avant la mi-temps, ce qui enterre par là même tous les espoirs jamaïcains. Ces derniers encaissent un nouveau but d’el Burrito avant de couler définitivement avec le triplé de Batistuta. Avec ces deux défaites, la Jamaïque est officiellement éliminée mais le sélectionneur préfère voir le verre à moitié plein. Pour lui, « la Jamaïque ne perd pas, les Jamaïcains sont toujours gagnants parce qu’ils apprennent. » Reste alors le dernier match contre le Japon pour sauver l’honneur. A Gerland, les Jamaïcains s’imposent 2-1 grâce au doublé de leur milieu de terrain Theodore Whitmore. Cette victoire leur offre la 3ème place du groupe et la fierté de tout un pays. A son retour sur l’île, l’équipe est accueillie en héros et un défilé est organisé dans la capitale.
Leur parcours fut certes bref, mais leur qualification au mondial ouvrit de nouveaux horizons à certains joueurs jamaïcains. Juste après la compétition, Ricardo Gardner fut transféré en Premier League, à Bolton Wanderers. Certains de ses coéquipiers suivront, avec Walter Boyd qui ira à Swensea ou encore Theodore Whitmore à Hull City. Plus encore, la Jamaïque demeurera comme l’une des équipes les plus attrayantes de la compétition, notamment pour l’ambiance que ses supporters offraient en tribunes. « La sono du stade jouait du reggae et nos fans faisaient la fête dans les gradins. […] En tant que Jamaïcains on aime s’amuser, on aime le reggae, nos joueurs aiment danser. Nous avons simplement amené cette atmosphère avec nous en France » se souvient le capitaine de l’époque Warren Barrett.
Trinité-et-Tobago 2006 : petit mais vaillant
Notre tour de la région se termine sur l’État insulaire de Trinité-et-Tobago. Sélection la plus titrée en Coupe caribéenne des nations avec dix titres, les Soca Warriors n’ont pourtant jamais participé à une Coupe du Monde. Comme pour la Jamaïque huit ans plus tôt, Trinité-et-Tobago doit passer par une longue phase de qualifications avant de pouvoir enfin atteindre son rêve germanique. Le schéma est le même. La sélection entraînée par Leo Beenhakker entame son parcours par un succès facile contre la République dominicaine (4-0 puis 2-0). Au tour suivant, elle finit deuxième de son groupe derrière le Mexique. Ce résultat l’envoie au troisième et dernier tour, dans le groupe final qui déterminera les trois ou quatre nations de la CONCACAF qui iront au Mondial. En effet, l’équipe qui terminera quatrième de son groupe devra disputer un match de barrage contre une sélection asiatique. Toute une expédition… Trinité-et-Tobago termine quatrième du groupe avec 13 points, derrière le Mexique, les Etats Unis et le Costa Rica. Les Trinidadiens ont donc gagné le droit d’affronter le Bahreïn en barrage intercontinental. Cette rencontre aller-retour va constituer pour les Soca Warriors le match de leur vie, tant le mondial leur tend les bras. En effet, une qualification en Coupe du Monde n’a jamais été aussi proche pour le pays, après l’avoir manquée de peu deux fois en 1974 et en 1990. La troisième sera peut-être la bonne.
A l’aller, dans son stade national du Hasely Crawford Stadium, à Port d’Espagne, les Trinidadiens ne font pas mieux qu’un match nul 1-1, grâce à un but tardif de Chris Birchall (l’unique joueur blanc de l’histoire à avoir joué pour les Soca Warriors) à la 76e minute. Un nul pas très encourageant, néanmoins l’ancienne gloire de Manchester United et capitaine de la sélection Dwight Yorke ne se laisse pas abattre : « Nous devons croire en nos chances. Nous n’avons aucune raison de douter de nos capacités ». A Manama, au retour, les Trinidadiens refusent en ce début de rencontre à se lancer dans des offensives inespérées, tout comme Bahreïn qui joue de manière plutôt défensive. Dans ces conditions, les débats restent confinés au milieu du terrain et aucune des deux formations ne parvient à se montrer véritablement dangereuse. Petit à petit, le match gagne en intensité et les Trinidadiens se réveillent. Emmenés par un Dwight Yorke des grands jours, ils exercent une pression constante sur la défense adverse, sans pour autant réussir à trouver la faille. A la demi-heure de jeu, les visiteurs passent tout près d’ouvrir la marque. Sur une déviation de la tête de Kenwyne Jones, Stern John se retrouve seul face à Hussein Ali Hassan, mais le portier du Bahreïn, sorti en catastrophe, parvient à détourner le ballon en corner. Paradoxalement, alors que les locaux ont de plus en plus de mal à franchir la ligne médiane, ils se créent la meilleure occasion de la première mi-temps. Sur une frappe en chandelle, Kelvin Jack, le gardien Trinidadien, se rate et laisse le ballon filer vers ses buts. Heureusement, son coéquipier Marvin Andrews sauve son équipe en dégageant le ballon de la tête sur la ligne. Au retour des vestiaires, le match se débloque enfin. Nous sommes à la 49ème minute, Trinité et Tobago obtient un corner. Yorke, à la manœuvre, dépose le ballon directement sur la tête de Lawrence qui vient ouvrir la marque pour la plus grande joie de tous les Caraïbes. Une minute plus tard, Stern John passe tout près de tuer le match, mais son tir est repoussé du bout des doigts par Hassan. Cette ouverture du score change tout pour le Barheïn qui n’a désormais plus d’autre choix que de marquer afin d’éviter l’élimination. Les visiteurs, quant à eux, soucieux de se mettre rapidement à l’abri, continuent à se porter aux avant-postes à la première opportunité. Le ballon passe rapidement d’un camp à l’autre et Lawrence, proche d’inscrire un but contre son camp sur un dégagement hasardeux, n’est pas loin d’entacher sa performance de libérateur. Dans les dernières minutes de la rencontre, les locaux tentent le tout pour le tout et alignent quatre attaquants dans l’espoir d’arracher l’égalisation… en vain. La bande à Beenhakker, parfaitement organisée, tient le coup et n’encaissera pas de but. C’est officiel, les Soca Warriors iront en Allemagne.
L’aventure mondiale de Trinité et Tobago se poursuit dans le groupe B avec l’Angleterre, la Suède et le Paraguay. Un rêve fou qui se réalise enfin pour le plus petit pays du tournoi avec ses 1,3 millions d’habitants et dont les joueurs évoluent pour la plupart dans des clubs de seconde zone. Un pays petit par la taille certes, mais dont le soutien sera gigantesque. Toute la région des Caraïbes est derrière son représentant. Les Trinidadiens entrent en scène le 10 juin à Dortmund contre la Suède. Beenhakker aligne une formation très regroupée derrière, dans l’espoir de contenir au mieux le duo offensif d’Ibrahimovic-Larsson. Ce dernier lance les hostilités à la 5e minute en frappant un coup franc juste au-dessus des cages d’Hislop, avant qu’Ibrahimovic ne tente également sa chance… sans plus de réussite. Les Suédois ont beau être les plus entreprenants, le score reste intact, et les joueurs des Caraïbes montrent de belles qualités défensives. Leur premier tir survient juste après la demi-heure de jeu, par l’intermédiaire de l’ailier Edwards. Le gardien Shaka Hislop, dans une forme olympique ce soir, est une muraille. Il ne laisse passer aucune offensive nordique. La Suède domine, monopolise le ballon, mais ne parvient pas à faire sauter le verrou lors de cette première période. L’entame de la seconde période est marquée par l’exclusion de John. Déjà averti en première période, le défenseur des Soca Warriors laisse ses coéquipiers à 10 contre 11. En supériorité numérique, les Blågult cherchent à mettre le coup de grâce. Ljungberg est contré in extremis par le capitaine Dwight Yorke, exemplaire de combativité. Mais la plus belle occasion du match arrive à la 58e minute, et elle est à mettre au crédit… de l’attaquant trinidadien Glen. D’une frappe limpide à l’entrée de la surface, il fait trembler la barre transversale de Shaaban. Le hold up n’est pas passé loin. Tout juste entré en jeu, Allback fait parler sa fraîcheur en inquiétant Hislop à plusieurs reprises. Mais le bloc rouge et noir est remarquablement organisé et soudé, et ce malgré l’infériorité numérique. A dix minutes de la fin, Hislop sauve de nouveau les siens en remportant son face à face avec Allback. La pression nordique est terrible mais rien n’y fait. 0-0 score finale. La surprenante formation de Trinité-et-Tobago arrache un match nul historique. Grâce à leur volonté et leur courage, les Soca Warriors rapporte le premier point de leur histoire en Coupe du Monde. Pour couronner le tout, Dwight Yorke est récompensé par le trophée d’homme du match.
Mais le plus dur arrive, et les espoirs vont s’estomper lors du deuxième match contre l’Angleterre. Malgré une longue résistance, les Trinidadiens finissent par craquer à la 82ème minute. Ils encaissent deux buts dans les derniers instants par Peter Crouch et Steven Gerrard. C’est dans un dernier match sans enjeux que les Soca Warriors closent leur Mondial contre le Paraguay. Les Sud-Américains, déjà éliminés ont à cœur de sortir sur une victoire. La petite équipe des Caraïbes se bat bien mais finit par craquer très tôt. Juste avant la demi-heure de jeu, le Paraguay prend les devants sur un coup-franc excentré d’Acuna. Dos Santos coupe la trajectoire de la tête dans la surface et le ballon file sur celle du défenseur Sancho qui trompe son propre gardien. Bousculés les Soca Warriors sont sur-motivés. Yorke est tout près de marquer pour les siens en ratant la reprise au second poteau pour quelques centimètres. Trinité-et-Tobago accélère et ne cesse de construire tandis que le Paraguay tient bon. A la suite de multiples occasions entre la 70ème et la 80ème, le Paraguay reprend alors l’offensive. Cuevas, rentré en seconde période, entame avec Santa Cruz un une-deux exemplaire, perce et trompe le portier caribéen d’une frappe croisée. 2-0 score final, l’équipe des Caraïbes peut toutefois sortir d’Allemagne la tête haute. Si on peut au final regretter l’absence de ce fameux premier but qui aurait été historique, Trinité-et-Tobago aura néanmoins, pour sa première participation en Coupe du Monde, marqué les esprits par sa vaillance.
Ainsi s’achève notre tour de l’archipel. Trinité-et-Tobago est, à cette date, le dernier pays caribéen à s’être présenté pour une phase finale de Coupe du Monde. Quatorze ans plus tard, la région espère toujours voir émerger une équipe capable de lui succéder ou de se qualifier de nouveau. Une absence récurrente qui s’explique par un format difficile de qualifications pour ces petites nations, mais aussi parce que dans les Caraïbes, les pays ont été majoritairement américanisés et jouent donc au baseball, voire au football américain. Mais même si l’attente d’un Mondial se fait désormais longue une chose est sûre, les Caraïbes n’abdiqueront jamais.
Sources :
BBC Caribbean : The World Cup’s smallest team
Les Echos : Foot, France et Jamaïque : les liens remontent à 1998
These Football Times : THE UNLIKELY JOURNEY OF JAMAICA TO FRANCE 98
Crédit photo : Iconsport