« Dans bien d’autres pays, Flórián Albert aurait été considéré comme le meilleur joueur de l’histoire du pays. Mais il est né en Hongrie, et la Hongrie avait Puskás… » Gustav Szepesi a visé juste, l’attaquant du Ferencváros fait partie des lauréats oubliés du Ballon d’Or. A l’instar de Ferenc Puskás, il a pourtant marqué au fer rouge le football Hongrois. Son élégance, sa fidélité à son club de cœur et son match d’anthologie qui élimina le Brésil de la Coupe du Monde 1966 en Angleterre dès les phases de groupes sont restés dans l’histoire. Retour sur la carrière de l’Empereur.
Médusés. Tel est l’état des joueurs Brésiliens lors de cette confrontation contre la Hongrie, un soir d’été 1966. Garrincha, Tostão et Gerson sont accablés par un Flórián Albert virevoltant. L’attaquant Hongrois détonne par son aisance sur le terrain. Chaque prise de balle est suivie d’une action dangereuse. Ses feintes de corps font tourner la tête des défenseurs. A l’aide de quelques dribbles, il parvient à se frayer un chemin au milieu de l’armada brésilienne.
Pelé, sur le banc à cause d’une blessure, est lui-même étonné par le numéro 9 aux manches longues. Habitué à donner des leçons de football aux équipes adverses, il voit en Flórián Albert une part de génie. Le public du Goodison Park acclame son nouveau héros : « Albert, Albert, Albert ! ». Il leur rend de la meilleure des manières. Son jeu direct fait lever les foules. Ses passes lumineuses donnent des frissons. Sa conduite de balle le rend insaisissable. Il prend part aux trois buts hongrois dans un match considéré comme l’un des plus beaux de la Coupe du Monde. Score final : 3-1. Le monde entier est conquis par cette symphonie dont Flórián Albert est le chef d’orchestre.
Héritier de Puskás, homme providentiel et précocité
La Hongrie sera toutefois éliminée en quart de finale par l’URSS de Lev Yachine deux buts à un. Toujours est-il qu’en l’espace de 90 minutes, l’attaquant a ressuscité la sélection magyar, appelée autrefois le « Onze d’Or ». Entre 1950 et 1954, cette dernière a écrasé le monde du football à travers trente matchs sans défaite. L’équipe de Puskás, Kocsis, et Hidegkuti réalisera même le « match du siècle » contre l’Angleterre à Wembley en 1953, une humiliation pour les Anglais (trois buts à six). A cette époque, le petit Flórián Albert a 12 ans et vient de quitter, avec ses parents, sa ville natale Hercegszántó pour Budapest. Joueur de football amateur, ses perspectives d’évolution s’élargissent lorsqu’il intègre l’équipe des jeunes du Ferencváros. Secrètement, il rêve de vêtir un jour le maillot de la sélection.
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Entre-temps, la Hongrie remporte la médaille d’or aux Jeux Olympiques 1952 en Finlande et atteint la finale de la Coupe du Monde 1954 qu’elle perd deux buts à trois contre la RFA. Mais c’est deux ans plus tard que les ennuis commencent. En 1956, la Hongrie se soulève et la répression est telle que Ferenc Puskás, Sándor Kocsis et Zoltán Czibor choisissent l’exil. La sélection magyar se voit éliminée de la Coupe du Monde 1958 sans même atteindre la phase à élimination directe. Deux ans plus tard, elle ne parvient pas à s’extirper des éliminatoires de l’Euro 1960. Le pays a besoin d’un homme providentiel pour faire renaître la sélection de ses cendres. Mais un beau jour, le sélectionneur Lajos Baróti a une idée.
A l’occasion d’un match amical contre le Suède, il convoque un jeune inconnu de 17 ans qui n’a joué que deux matchs avec l’équipe première du Ferencváros : Flórián Albert. Certains jugent cette sélection prématurée, d’autres attendent de voir la pépite budapestoise fouler le terrain pour en tirer des conclusions. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que le jeune attaquant brille dans le rectangle vert. Avec un doublé pour fêter sa première sélection, il permet aux Aigles Verts de gagner le match trois buts à deux. L’histoire ne fait que commencer.
Buts en cascade, pige à Flamengo et Ballon d’Or
Peu à peu, Flórián Albert confirme et impressionne. Lajos Baróti est sous le charme :
« Il était aussi bon en 10 qu’en 9. C’est rare de voir un joueur aussi exceptionnel à la finition qu’à la création. Albert savait tout faire et il le faisait avec une classe immense. »
Le sélectionneur magyar vient de dénicher la perle rare qui manquait à son effectif. L’année suivante, la Hongrie décroche la médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Rome grâce à un Flórián Albert étincelant qui terminera meilleur buteur de la compétition. En 1962, pour sa première Coupe du Monde, le jeune attaquant hisse son équipe jusqu’en quart de finale contre la Tchécoslovaquie de Josef Masopust et devient co-meilleur buteur de l’édition.
C’est également en club qu’il excelle. Au Ferencváros, il est la pièce inamovible d’une équipe qui remporte le championnat en 1963 et 1964. Vient ensuite la Coupe des Villes de Foires en 1965, ancêtre de la Coupe de l’UEFA. Après avoir écarté l’AS Rome, l’Athletic Bilbao et Manchester United, Flórián Albert et ses coéquipiers s’offrent le luxe de battre la Juventus Turin 1 à 0. En l’espace de quelques années, l’attaquant hongrois s’est aguerri et débarque à la Coupe du Monde 1966 entouré d’une aura certaine. Subjugué par la prestation de l’attaquant face à la Seleção, le club de Flamengo invitera même Albert à prendre part à un match sous la tunique rouge et noire. L’occasion pour lui de participer au derby de Rio contre Vasco de Gama. L’Empereur se serait bien vu rester un peu plus en Amérique du Sud :
« C’est un souvenir inoubliable. Le Brésil, c’était le royaume du football ! […] Dommage que cette expérience n’ait duré que quinze jours. Flamengo m’avait proposé un contrat mais, à cette époque, on ne pouvait pas quitter la Hongrie car un transfert à l’étranger n’était pas compatible avec la morale sportive socialiste. »
Flórián Albert rentrera chez son club de toujours avec de beaux souvenirs en tête. Un an plus tard, c’est l’apothéose. Il remporte la Ballon d’Or devant Bobby Charlton, Jimmy Johnstone, Franz Beckenbauer et Eusebio. Excusez du peu. Il reste à ce jour le seul joueur hongrois à avoir remporté ce trophée parfois remis en question mais significatif d’une prédominance hégémonique.
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La fin de sa carrière est, en revanche, une toute autre histoire. En 1969, lors d’un match contre le Danemark en éliminatoires de la Coupe du Monde, il heurte le gardien Svend Engedal et se fracture la jambe. Une blessure qui le tiendra éloigné des terrains pendant longtemps et qui ne lui permettra pas de retrouver son niveau d’antan.
Flórián Albert tirera sa révérence en 1974 avec 277 buts en 537 matchs toutes compétitions confondues. Mais les statistiques importent peu. Ce que tout le monde retiendra sera son élégance, son altruisme sur le terrain mais surtout ses qualités hors normes. Cherchant à prolonger l’aventure footballistique, il tentera une expérience en tant qu’entraîneur à Benghazi et retournera un peu plus tard au Ferencváros pour encadrer les jeunes. L’histoire se termine le 30 octobre 2011, où Flórián Albert décède suite à un pontage coronarien. Il restera comme une des légendes de ce sport.
Sources :
- Raphaël Brosse, « Flórián Albert, l’empereur devenu roi », Footballski
- Steven Rousseau, « Le bonjour d’Albert », Les Cahiers du Football
- Léna Bernard, « Le Onze d’Or : entre drames et succès », Caviar
- Robert Vergne, « 1967, Florian Albert », France Football
- Bernard Moser, « Florian Albert, the future of Hungary », In bed with Maradona
- «Albert, l’élégance pour l’éternité», Fifa.com
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