Formé aux Argentinos Juniors comme Diego Armando Maradona, Fernando Redondo, avait, dès son plus jeune âge, une pression constante de réussite. Pourtant, tout au long de sa carrière il n’a eu que faire de cette pression, tout en réussissant à chaque fois. La pression extérieure est une chose, celle de l’adversaire en est une autre, mais là aussi Redondo n’a jamais sourcillé. Le ballon circulant d’un pied à l’autre, souvent en passant derrière la jambe d’appui, reste inaccessible même face au plus irrespirable des pressings. Une qualité technique ainsi qu’une nonchalante élégance l’ont fait rentrer dans l’histoire du ballon rond. Celle que les adultes nostalgiques se plaisent à conter à leurs enfants ébahis. Tout n’a pas été parfait lors de la carrière de Fernando Redondo mais tout est sujet à narration. Redondo n’était pas un simple joueur, il était un auteur de contes.
C’est à Buenos Aires avec les Argentinos Juniors qu’il débute son histoire. Sous le maillot de Los Bichitos Colorados, il est positionné en tant que milieu défensif mais se distingue de ses pairs, particulièrement par son aisance technique. Même un pays d’esthète comme l’Argentine n’avait pas pour coutume, au milieu des années 80, de voir une sentinelle qui préférait avoir le ballon dans les pieds plutôt que défendre sur le créateur adverse. Avec les rouges et blancs, c’est d’ailleurs lui le créateur. Malgré son rôle reculé, il prend l’initiative de toutes les offensives et mène à merveille la partie défensive grâce à sa science du jeu.
LIRE AUSSI : Maradona, le miracle d’Argentinos Juniors
Valdano, premier enseignant
Professionnel dès 16 ans, il reste dans son club formateur durant cinq saisons. Grâce à ses prestations de grandes classes, encore plus au vu de son âge, il tape dans l’œil de nombreux recruteurs européens. Il quitte alors son Argentine natale et ses potreros en 1990 pour rejoindre le vieux continent et le CD Tenerife. La première année difficile est vite oubliée grâce à la venue de son compatriote Jorge Valdano sur les îles Canaries. L’entraineur argentin prend vite conscience de la qualité de son joueur et lui donne directement les clés du jeu. Ensemble, ils font gravir les échelons à Tenerife en brulant toutes les étapes. La saison 1992/93 est même ponctuée d’une cinquième place historique synonyme de billet pour la Coupe de l’UEFA.
Le club insulaire est porté par son duo argentin. Valdano, sur le banc, et Redondo, devant la défense, battent deux saisons consécutives le Real Madrid lors de la dernière journée du championnat privant ainsi les Merengues du titre. De bourreau, Redondo devient un héros madrilène en rejoignant les rangs du club de la capitale, en 1994, sur les conseils de Valdano ayant également signé au Real le même été. C’est dans la position similaire de chef d’orchestre reculé que le numéro cinq distribue un nombre incalculable de caviars. A ce romantisme, il lie réalisme, en témoignent ses nombreuses interventions défensives souvent incisives et toujours réussies. Ses protections de balle suivies de relances parfaites feront de lui l’un des chouchous du Bernabéu.
Sous l’historique tunique blanche, Fernando Redondo va écrire les plus belles pages de son élégant récit. Celui qui est vite surnommé “El principe” dans les travées du stade, remporte cinq trophées avec le Real dont deux Ligas et deux Ligues des Champions où il aura été un acteur principal de chaque sacre. Santiago Bernabéu se levait à chacune de ses talonnades, Old Trafford a lui soupiré un soir d’avril 2000. Les tribunes blanches s’extasiaient sur ses interceptions défensives tandis que les gradins jaunes du Westfalenstadion en ont souffert deux ans auparavant.
Au Real, l’idylle, au Milan, le drame
Christian Karembeu, Clarence Seedorf ou Steve McManaman ont côtoyé la place devant la défense avec Fernando Redondo. Tous ont marqué l’histoire du Real Madrid mais aucun ne l’a fait comme l’Argentin, aucun ne jouait au football comme lui. Cela compte pour les trois cités mais également pour des centaines d’autres milieux défensifs contemporains ou non de l’Argentin. Malgré son poste où le risque est une partie intégrante, il ne craignait pas de réaliser des gestes hors du commun. Il révolutionne le poste de numéro 6 grâce à une palette technique impressionnante et une capacité à l’utiliser même dans les moments où la pression est la plus grande. C’est grâce à celle-ci que la grande institution du Real Madrid est tombée sous son charme durant six ans.
Pourtant, l’aventure ne dura pas plus longtemps. La faute à l’élection de Florentino Perez à la présidence du club en 2000. L’Espagnol ayant axé sa campagne sur l’achat de Luis Figo, se résout à vendre Redondo au Milan de Berlusconi. L’histoire retiendra que le fantasque argentin n’a pas évolué dans cette période galactique où aurait pu se mêler, devant lui, Zidane, Beckham ou encore Ronaldo. Son départ du Real marque quasiment la fin de sa carrière même s’il ne prendra sa retraite qu’en 2004. Si son histoire madrilène est parfaite, celle à Milan est chaotique. En effet, dès son arrivée Fernando Redondo se rompt les ligaments croisés. Il raconte son calvaire à Marca :
« Je me suis brisé les croisés du genou droit et je n’ai pas pu jouer pendant deux ans. C’est à dire que je suis arrivé à Milan mais je n’ai pu jouer mon premier match qu’après deux ans, c’était de la folie, a-t-il expliqué, avant d’enchaîner : Ils m’envoyaient chez le chirurgien, ils me mettaient les jambes vers le haut, me vidaient le sang avec un garrot et me mettaient des produits pharmaceutiques. Il y avait un risque que tout ça remonte jusqu’au cœur, et j’aurais pu avoir un problème ».
Plus de 800 jours sans jouer et seulement seize infimes matchs en quatre ans sous le maillot de l’AC Milan. Il en réalisera un qui restera à jamais gravé dans sa mémoire et dans celle des supporters madrilènes. Le 12 mars 2003, Fernando Redondo se déplace au Santiago Bernabéu qui lui réserve un accueil émouvant de l’avant match jusqu’à sa sortie, un quart d’heure avant la fin de la rencontre. Ses images sont belles et elles restent parmi les dernières de son histoire. L’histoire qu’il a écrit durant près de vingt-ans grâce à son talent. Un talent de narration propre à lui qui rende son histoire mythique. Sa relation avec l’Albiceleste ne déroge pas à cela.
Redondo, personnage mythique
Hormis Fernando Redondo, qui pourrait refuser une place dans le groupe argentin s’envolant en France pour le mondial 1998 par refus de se couper les cheveux ? Oui, c’est bien une histoire vraie ! L’autoritaire sélectionneur Passarella voulait que le “Cinco” coupe cette crinière tandis que le principal intéressé la privilégiait quitte à ne pas disputer une seconde Coupe du monde. En 1994, les Argentins échouent en huitième de finale malgré l’apport de Redondo aussi indispensable qu’un an auparavant où ils avaient, ensemble, soulevé la Copa America. Il est nécessaire de noter qu’il avait déjà refusé de participer au mondial 1990 afin d’étudier ses sciences économiques. Il revêtit le maillot bleu ciel et blanc en 1999 sous les ordres de Bielsa lors d’une prestation XXL face au Brésil. Malgré ce retour gagnant, il prend sa retraite internationale à la fin de la rencontre pour se consacrer pleinement au Real.
En dépit de cette carrière internationale en demi-teinte, Fernando Redondo a écrit un récit mythique qui le fait rentrer au panthéon du ballon rond. Un conte où le héros éponyme aura gratifié son public pages après pages de gestes incroyables. Gestes qu’il réalise avec les pieds et avec le cœur. Si bien qu’il refusa d’être payé durant sa longue période de blessure. Des valeurs qui le défendront également de se couper les cheveux. Mais, alors que plus de vingt ans ont pqssé, nous pouvons enfin le dire : ses courses cheveux au vent face à un promu argentin, espagnol ou italien valent, au moins, autant qu’une Coupe du Monde.
Les cheveux longs sont l’allégorie même de l’élégance dans le football. Le charme d’un danseur de tango pour se déjouer des défenseurs adverses. Il était l’un des virtuoses que l’on distingue directement sur un terrain de football. Pourtant, au contraire du chef d’orchestre placé devant ses musiciens, lui, était derrière le numéro 10 qualifié de véritable artiste. Fernando Redondo n’avait pas besoin d’autres créateurs tant il excellait mais ses coéquipiers ne pouvaient pas se passer de lui. Sa tête toujours levée, son buste toujours fier et ses jambes toujours en mouvement afin de donner le tournis à n’importe quel adversaire. Il ne courait pas beaucoup mais le faisait bien. Aucune de ses passes n’étaient forcées mais toutes étaient justes. Ses dribbles n’étaient pas impressionnants mais tous dévastateurs. On pourrait se demander pourquoi ce profil n’est pas aussi courant qu’on le voudrait, pourquoi tous les numéros 6 ne tentent pas les gestes que tentait leur ainé argentin. La question ne mérite pas débat car la réponse est déjà trouvée : Fernando Redondo est unique, son histoire aussi.
Crédits photos : IconSport