Situé dans la capitale de la Transnistrie (appellation roumanophone) ou Pridniestrie (appellation russophone) ou encore République moldave du Dniestr, état non reconnu de l’est moldave, le FC Sheriff Tiraspol a su profiter de la situation économique de la petite république à la fin des années 1990. Aujourd’hui, son sponsor principal possède plusieurs monopoles économiques dans la région. Le club règne donc sans partage sur le championnat moldave.
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La République moldave du Dniestr : une république sécessionniste
Alors que l’URSS commence à se déliter au tout début des années 1990, plusieurs républiques soviétiques déclarent leur indépendance. La République socialiste soviétique moldave (RSSM), majoritairement roumanophone, englobe également la Transnistrie, région russophone. De peur d’un rattachement à la Roumanie en cas d’indépendance de la Moldavie, la Transnistrie se déclare unilatéralement indépendante le 2 septembre 1990. Cette peur se confirme le 27 août 1991. La Moldavie déclare son indépendance. En réaction, la Transnistrie d’Igor Smirnov, président de 1991 à 2011, reste fidèle à l’Union soviétique. Le tout premier président moldave Mircea Snegur propose alors de leur accorder une autonomie. Igor Smirnov refuse. Après la dislocation totale de l’URSS en décembre 1991, la Transnistrie déclare l’indépendance de la République moldave du Dniestr. Le parti communiste se maintient au pouvoir, la république autoproclamée garde le drapeau de la RSSM et frappe sa propre monnaie.
Une courte guerre
C’en est trop du côté moldave. En 1992, la guerre du Dniestr (nom du fleuve qui sépare la Transnistrie du reste de la Moldavie) éclate. Soutenue militairement par la 14ème armée russe d’Alexandre Lebed, la République moldave du Dniestr l’emporte en quatre mois (mars-juillet). Le conflit fait entre 500 et 1000 morts. Avec la signature d’un accord proposé par la Russie, la Moldavie reconnaît la République moldave du Dniestr comme une région autonome. Par la même occasion, elle lui accorde une possibilité d’autodétermination dans le cas où la Moldavie s’unirait avec la Roumanie. Depuis la fin de la guerre, la Russie garde une influence militaire sur cette région. La 14ème armée russe y est toujours stationnée et des armes stockées.
Le cœur économique de la Moldavie
Depuis son indépendance de facto, la République moldave du Dniestr est le cœur économique de la Moldavie. La partie roumanophone du pays vit principalement du secteur agricole. La Transnistrie, elle, possède une industrie lourde, une industrie textile, un secteur viticole dynamique et l’essentiel du secteur énergétique du pays hérités de l’époque soviétique. Elle produit 25% du PIB et 90% de l’électricité moldave après la chute de l’URSS. La République moldave du Dniestr peut compter sur la Russie qui l’aide à hauteur de 20 millions d’euros par an. Elle lui offre aussi le gaz et finance les retraites. La Transnistrie est également une plaque tournante du trafic d’armes en Europe nourrissant une importante économie informelle.
Sheriff : une entreprise monopolistique
Deux entreprises profitent largement ce contexte favorable : Tirotex et Sheriff. Tirotex est la deuxième plus grande entreprise textile d’Europe et principale entreprise de la région autonome. Sheriff est quant à elle une entreprise qui possède beaucoup de monopoles dans la région. Fondée par deux anciens membres du KGB, Viktor Gouchane et Ilya Kazmaly, le groupe possède une chaîne de stations-services, de supermarchés, une chaîne de télévision, une agence publicitaire, un réseau de téléphonie mobile… Le gouvernement de Transnistrie donne sa bénédiction à ce monopole économique. En échange du soutien politique de l’entreprise, l’état réduit les taxes sur les importations et les exportations de marchandises. Depuis, l’entreprise garde toujours des liens étroits et opaques avec le monde politique.
Un règne sans partage sur le football moldave
Fondé en 1996, quatre ans après la création du championnat moldave, le FC Tiras Tiraspol devient seulement un an plus tard le FC Sheriff Tiraspol et monte en première division. En effet l’entreprise sponsorise rapidement le club pour en devenir par la suite le propriétaire. Le mastodonte de l’économie transnistrienne ne perd pas de temps. En 2000, elle lance la construction du Sheriff Stadium accompagné d’un complexe sportif de quarante hectares pour la bagatelle de 200 millions de dollars. Terminé en 2002, le stade subit un dernier lifting en 2011 pour satisfaire les normes de l’UEFA et atteint les 13 000 places. Grâce à ce pouvoir économique colossale, le club roule sur le championnat moldave. Grâce à des joueurs recrutés un peu partout dans le monde, le FC Sheriff Tiraspol remporte 19 fois le championnat en 22 participations. Malgré de nombreuses participations aux tours préliminaires d’Europa League, le club ne se qualifie que quatre fois pour les phases de poules.
Un championnat peu reluisant
Le FC Sheriff Tiraspol apparaît comme un ovni. Il faut dire que le championnat moldave n’est pas très reluisant. Considéré comme l’un des pays les plus pauvres d’Europe, la Moldavie jouit d’une mauvaise réputation notamment à cause d’une corruption endémique. Le pays peine à attirer les investissements étrangers et la population émigre massivement vers le reste de l’Europe ou la Russie. Le football n’échappe pas à ce constat. Les sponsors et les médias ne se bousculent pas au portillon quand les supporters désertent peu à peu les stades. De plus, le propriétaire du club et fondateur de l’entreprise Sheriff, Viktor Gouchane, aurait été le propriétaire direct ou indirect des deux autres clubs de Tiraspol aujourd’hui disparus, alimentant les soupçons de trucages de matchs lors des derbys.
On l’aura compris, le FC Sheriff Tiraspol a su profiter des investissements d’une entreprise monopolistique sur un territoire sécessionniste qui domine l’économie moldave. Même dans les plus petits championnats on retrouve des maux inhérents au football business. En Moldavie, cela pourrait peut-être évoluer ces prochaines années. Le 24 décembre 2020, Maia Sandu est devenue la première femme présidente du pays et souhaite mener une guerre contre la corruption généralisée. Pro-européenne, elle souhaite aussi s’affranchir de l’influence russe. Elle s’attaque donc à la Transnistrie qui consomme notamment du gaz de chez Gazprom payé par le pouvoir central moldave. Mettre fin à la corruption et au « problème » transnistrien ne sera pas une chose facile. Si cela arrive, on peut espérer la fin des haricots pour le monopole de Sheriff et donc une potentielle redistribution des cartes dans le football moldave.
Sources :
– « Transnistrie : le pays qui n’existe pas », Le dessous des cartes, Arte, 2018
– « Guerre du Dniestr », Wikipédia