En pleine guerre froide, l’Euro 1976 a tenu toutes ses promesses. Alors qu’elle n’était initialement pas citée parmi les outsiders du tournoi, la Tchécoslovaquie, grâce à une tactique bien huilée, a surpris tout son monde. Ce championnat d’Europe est resté dans l’histoire pour son suspense et son spectacle. Antonin Panenka et son célèbre tir au but décisif en finale n’y sont également pas étrangers…
Un Euro sur fond de guerre froide
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le « rideau de fer » est tombé sur l’Europe. Les blocs de l’Ouest et de l’Est se font face. Deux idéologies diamétralement opposées s’affrontent : le libéralisme face au communisme.
En 1976, la situation en Tchécoslovaquie semble se stabiliser. En effet, huit ans auparavant, l’arrivée de Alexander Dubček au pouvoir a chamboulé le paysage politique du pays en provoquant le Printemps de Prague. Sa réforme du socialisme à visage humain, et ses principes de libéralisation n’étaient pas du tout au goût de l’URSS. Le 21 août 1968, la Tchécoslovaquie est donc envahie par les troupes du Pacte de Varsovie. La normalisation se met en marche et la Tchécoslovaquie redevient un « bon vassal » du giron soviétique.
A l’aube de cet Euro 1976, les Tchécoslovaques sont vus comme étant les élèves modèles de l’URSS. Malgré la période dite de « Détente », tous les moyens sont bons pour montrer sa supériorité et le football en fait partie. Championne du monde (1974) et d’Europe (1972) en titre, l’Allemagne de l’Ouest de Franz Beckenbauer domine la planète football. Le bloc de l’Est aimerait mettre fin à cette hégémonie occidentale. Rien de tel qu’un championnat d’Europe des nations pour revenir sur le devant de la scène.
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Un style de jeu alléchant venu d’Ecosse
La guerre froide a mis dans des cases idéologiques, souvent stéréotypées, de nombreux domaines de la société. Le football n’en a pas échappé. Ainsi, les équipes nationales de pays socialistes et communistes sont vues comme étant très solides, très défensives même parfois trop. C’est grâce à ce style de jeu que l’URSS a remporté le premier Euro, en 1960.
Cependant, la Tchécoslovaquie déroge à cette théorie. En effet, au début du XXème siècle, le Slavia Prague, alors plus grand club du pays, recrute un Écossais pour prendre en main l’équipe : John William Madden. Il impose alors un style de jeu basé sur le redoublement de passes courtes et précises dans le but de déstabiliser les adversaires. La projection rapide des milieux de terrain et des latéraux permettent un surnombre offensif mais laisse des espaces en défense. Ce football de géomètre, connu pour la précision des passes, est réalisable grâce à la technique et l’agilité du vivier tchèque.
Une génération en manque de confiance
Cet héritage se retrouve dans cette sélection tchécoslovaque des années 1970, malheureusement malmenée sur la scène internationale. En effet, qualifiés pour la Coupe du Monde 1970 au Mexique, les Rouges et Blancs terminent derniers d’un groupe comprenant le Brésil, l’Angleterre et la Roumanie. Ils ne parviennent même pas à se qualifier pour les phases finales de l’Euro 1972 et de la Coupe du Monde 1974.
En place depuis août 1972, Václav Ježek, l’entraineur de cette sélection, a réussi à faire cohabiter les communautés tchèques et slovaques. Il peut s’appuyer sur des joueurs importants à l’entame de cet Euro 1976. Le gardien de but du Dukla Prague, Ivo Viktor élu footballeur tchécoslovaque de l’année en 1972 et 1973, et le milieu central Marián Masný, évoluant au Slovan Bratislava, font partie des cadres de l’équipe. Il peut également compter sur le défenseur Anton Ondruš, le milieu Antonin Panenka ou encore sur l’attaquant Zdeněk Nehoda.
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Un championnat d’Europe dans un format particulier
Il a été très difficile de maintenir une équipe type durant l’ensemble de la compétition. En effet, les éliminatoires étaient bien plus importants qu’aujourd’hui, faisant office de phase de groupe.
Ainsi, l’Euro 1976 débute en réalité le 1er septembre 1974 avec une phase d’éliminatoires. Trente-deux équipes sont inscrites. On retrouve les habitués : l’Angleterre, la Yougoslavie, l’URSS, l’Espagne, l’Allemagne de l’Ouest ou encore la France. De petites nations sont également présentes comme Chypre, Malte et l’Islande.
Huit poules de quatre équipes sont donc constituées. Une victoire rapporte deux points, un match nul un point à chaque équipe et une défaite zéro point. Ce barème explique notamment les classements très serrés de ces éliminatoires. Le premier de chaque groupe se qualifie en quarts de finales, qui se jouent match aller-retour. Les quatre vainqueurs se retrouvent ensuite pour une phase finale comparable au Final Four de la Ligue des Nations d’aujourd’hui. Cette phase finale est disputée dans un des quatre pays qualifiés.
A noter que c’est le dernier championnat d’Europe dans ce format. Dès 1980, la phase finale à quatre est abandonnée pour un tournoi à huit équipes après une phase initiale d’éliminatoires.
Une gifle puis la marche avant
La Tchécoslovaquie fait partie du groupe 1, en compagnie de l’Angleterre, de Chypre et du Portugal. Les Tchécoslovaques entament leur tournoi le 30 octobre 1974 en se déplaçant en terre anglaise. A Wembley, devant près de 84.000 spectateurs, les Three Lions dominent facilement les Rouges et Blancs. Une victoire écrasante des locaux 3-0 qui s’est notamment dessiné en fin de match avec un but de Mick Channon à la 72ème minute suivi d’un doublé de Colin Bell (80ème et 83ème minutes). Les coéquipiers du jeune Kevin Keegan montrent bien qu’ils sont les favoris dans ce groupe 1.
Sèchement battus lors du premier match, les hommes de Václav Ježek doivent se ressaisir. Les confrontations contre le Portugal et Chypre interviennent lors du mois d’avril 1975. Tout d’abord le 20 avril, les Tchécoslovaques reçoivent les Chypriotes, au Stade Letná à Prague. Devant une maigre foule de 5.000 spectateurs, Antonin Panenka, avec un triplé (10ème, 35ème et 50ème minutes), met ses coéquipiers sur la bonne voie. Marián Masný cloue le spectacle à la 78ème. Score final 4-0, la Tchécoslovaquie réagit face à Chypre après la claque reçue à Wembley.
Enfin le 30 avril, toujours au Stade Letná de Prague, les Rouges et Blancs affrontent le Portugal. Un doublé du milieu de terrain Přemysl Bičovský en début de match (11ème et 22ème minutes) puis un doublé du buteur vedette Zdeněk Nehoda (25ème et 46ème minutes) permettent aux Bohémiens de maitriser les Portugais. Ladislav Petráš parachève le succès en inscrivant un cinquième but à la 52ème minute, soignant la différence de buts.
Après cette phase aller, la Tchécoslovaquie se classe second avec 4 points. Les Anglais font la course en tête avec 5 points.
La Tchécoslovaquie impressionne
Le tournant des éliminatoires dans le groupe 1 se déroule le 30 octobre 1975. L’Angleterre vient en terres slovaques à Bratislava pour affronter l’équipe de Václav Ježek. Soutenue par tout un pays, qui prend peu à peu conscience du très bon niveau de son équipe, la sélection tchécoslovaque encaisse un premier but par l’inévitable Channon à la 26ème minute. Les Rouges et Blancs réagissent et égalise juste avant la mi-temps par Zdeněk Nehoda (45ème minute). Au retour des vestiaire, Dušan Galis marque le but qui sera décisif (47ème minute). La Tchécoslovaquie bat l’Angleterre 2-1 et prend seule la tête du groupe 1.
Le 12 novembre 1975, la Tchécoslovaquie se déplace au Portugal. Soucieux de laver l’affront du match aller, les Lusitaniens attendent de pied ferme les coéquipiers de Ivo Viktor. Anton Ondruš ouvre la marque à la 7ème minute. Quelques secondes après, le Portugal égalise par Nené. Le score en reste là : 1-1. L’Angleterre et la Tchécoslovaquie sont à égalité au classement avec sept points de part et d’autre, mais la différence de buts est à l’avantage des Rouges et Blancs.
Le 23 novembre 1975, en déplacement à Limassol pour affronter Chypre, les Tchécoslovaques sont en ballotage favorable. Quelques jours avant, les Anglais ont concédé le match nul face aux Portugais. Un match nul suffit pour se qualifier. Les coéquipiers de Nehoda ne font pas de détails. Celui-ci ouvre le score à la 7ème minute. Přemysl Bičovský puis Marián Masný aggravent le score (27ème et 33ème minutes). Les hommes de Václav Ježek s’imposent 3-0 face à Chypre.
La Tchécoslovaquie se qualifie pour les quarts de finales de cet Euro 1976 avec 9 points, devant l’Angleterre 8 points, le Portugal 7 points et Chypre avec 0 point.
Un quart de finale entre camarades
Les quarts de finales voient s’affronter la Tchécoslovaquie et l’URSS. Le hasard fait bien les choses. Les deux pays ont leurs relations au beau fixe, et sont étroitement liés. Depuis le Printemps de Prague en 1968, la diplomatie entre ces deux nations est parfaitement huilée. Certains parlent même de la Tchécoslovaquie comme étant « le vassal idéal » de l’Union Soviétique.
Mais sur un terrain de football, quand l’honneur est en jeu, il n’y a plus d’amitiés qui tiennent. C’est donc sur une double confrontation que l’URSS et la sélection tchécoslovaques vont s’affronter pour une place pour le tournoi final de cet Euro 1976.
Le 24 avril 1976, la Tchécoslovaquie reçoit l’Union Soviétique à Bratislava, devant 47.000 spectateurs. Jozef Móder ouvre la marque à la 34ème minute. Antonin Panenka fait le break au retour des vestiaires (47ème minute). Le score en reste là. Les Rouges et Blancs s’imposent 2-0 dans ce match aller.
Le 22 mai, l’équipe de Václav Ježek se rend à Kiev au Stade Central, devant près de 74.000 spectateurs. Ayant l’avantage, la Tchécoslovaquie peut procéder en contre-attaque. Jozef Móder ouvre le score juste avant la mi-temps (45ème minute). Leonid Buryak égalise et entretient l’espoir pour les Soviétiques (53ème minute). C’était sans compter sur l’inévitable Móder qui y va de son doublé (83ème minute) et enterre tous les espoirs russes de qualification. Pour l’honneur, Oleg Blokhin réduit la marque en fin de rencontre (87ème minute).
La Tchécoslovaquie bat 4-2 l’URSS sur les deux matchs (2-0 / 2-2). Elle se qualifie donc pour le tournoi final qui aura lieu en Yougoslavie elle aussi qualifiée, tout comme les Pays-Bas et l’Allemagne de l’Ouest.
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Une demi-finale âpre et disputée
Le tirage au sort désigne les Pays-Bas comme adversaires de la Tchécoslovaquie pour cette demi-finale. Vice-champions du monde 1974, et comptant dans leurs rangs la légende Johan Cruyff, les Néerlandais font figures de favoris. Le 16 juin 1976, au Stade Maksimir de Zagreb, le coup d’envoi est donné entre les Pays-Bas et la Tchécoslovaquie, sous une pluie battante.
Les hommes de Václav Ježek sont les premiers à marquer par l’intermédiaire de leur capitaine Anton Ondruš à la 19ème minute, qui place une tête sur coup franc. Mis en difficulté par une vaillante équipe tchécoslovaque et peu aidés par la pluie, les coéquipiers de Johan Cruyff ne trouvent pas la solution.
Les deux équipes vont être réduites à 10. Jaroslav Pollák écope de deux cartons jaunes en 10 minutes et se fait expulser à la 59ème minute. Johan Neeskens lui prend directement un carton rouge à la suite d’un tacle trop appuyé sur Nehoda. Dans la minute qui suit cette expulsion, les Néerlandais égalisent. C’est encore Anton Ondruš qui va marquer, cette fois-ci contre son camp à la 77ème minute. Le score est de 1-1 au bout du temps réglementaire.
Il faut attendre la seconde période des prolongations pour voir le score évoluer. Le match est toujours très tendu. Cruyff est taclé, l’arbitre ne bronche pas. Sur la contre-attaque, les Tchécoslovaques marquent. Nehoda redonne l’avantage à son équipe à la 114ème minute. Dans la foulée, Wim van Hanegem est expulsé pour contestation. František Veselý clôt la partition des Rouges et Blancs à la 119ème minute. Score final 3-1.
Contre toute attente, la Tchécoslovaquie bat les Pays-Bas de Johan Cruyff, dans un match âpre, très disputé qui s’est déroulé sous une pluie battante. Les coéquipiers de Anton Ondruš sont en finale de l’Euro 1976.
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Une finale de haute voltige
Vainqueure de la Yougoslavie, 4-2, c’est l’Allemagne de l’Ouest qui se dresse maintenant devant la Tchécoslovaquie. Championne du monde en titre, la RFA de Franz Beckenbauer impressionne de sérénité durant cet Euro. Au-delà d’un match de football, ce sont deux idéologies qui s’affrontent. Les maillots Rouges de la Tchécoslovaquie face aux maillots Blancs de l’Allemagne de l’Ouest. Le libéralisme face au communisme.
Cette finale de l’Euro 1976 a lieu le 20 juin au Stade de l’Etoile Rouge à Belgrade. Pris très haut sur le terrain, les Allemands reculent et doivent concéder le premier but de la partie. Sur une frappe repoussée par Maier, Ján Švehlík hérite le ballon et ouvre le score (9ème minute). Le break est fait quelques minutes plus tard. Karol Dobiaš récupère le cuir à l’entrée de la surface et décoche un tir croisé qui finit sa course dans les filets (26ème minute).
La Tchécoslovaquie voit son avance se réduire deux minutes après son second but. Dieter Müller reprend un centre venant de la droite d’une demie volée dans la surface (28ème minute). Le match est de très haut niveau. L’Allemagne de l’Ouest va se casser les dents pendant le reste du match sur une bonne défense des coéquipiers d’Antonin Panenka. Jusqu’à la 90ème minute. L’avant-centre allemand Bernd Hölzenbein reprend un corner de la tête devançant Ivo Viktor. 2-2 tout est à refaire pour la Tchécoslovaquie. La prolongation ne donne rien. Les deux équipes vont se départager aux tirs au but.
Au bout du suspense
Pour l’anecdote, la Fédération allemande a demandé à l’UEFA de ne pas rejouer le match en cas d’égalité, ce qui était prévu par le règlement, pour des raisons de santé. C’est pourquoi la séance de pénaltys a eu lieu.
Les joueurs allemands semblent tendus, peut-être pas assez préparer pour affronter cet exercice. La tension est à son comble au Stade de l’Etoile Rouge. Ivo Viktor face à Sepp Maier : deux gardiens de grande classe vont s’affronter à distance durant cette séance de tirs au but. Les trois premiers tireurs des deux équipes marquent leurs pénaltys respectifs : Marián Masný, Zdeněk Nehoda, Anton Ondruš côté Rouges et Blancs ; et Rainer Bonhof, Heinz Flohe et Hannes Bongartz côté RFA.
Ladislav Jurkemik s’élance le quatrième pour la Tchécoslovaquie et transforme son tir au but. Uli Hoeneß se présente face à Ivo Viktor mais manque sa tentative, frappant au-dessus du cadre. Si l’équipe de Václav Ježek marque le cinquième pénalty, alors la Tchécoslovaquie sera championne d’Europe 1976.
Antonin Panenka pour l’histoire
C’est Antonin Panenka qui se présente face à l’imposant Sepp Maier. Il s’élance et, d’un amour de ballon en feuille morte, vient tromper plein axe le portier allemand. La pichenette est subtile, le gardien était parti sur la gauche. Quelle audace, quelle tranquillité dans le geste ! Le temps semblait s’être arrêté dans le stade entre la caresse de Panenka et le tremblement des filets. Tous les préjugés sur le football communiste, sur la rigueur et le manque de fantaisie des pays de l’Est semblent s’être évaporés.
Il révèle après coup, aux médias, et lors d’une interview accordée à l’UEFA, les explications de son geste de génie. Les séances de tirs au but de fin d’entrainement ne lui réussissaient pas. A force de payer des bières à ses coéquipiers des Bohemians de Prague, il a décidé de se creuser la tête.
« J’ai eu l’idée de retarder ma frappe, et de simplement soulever le ballon plutôt que de frapper en force, raconte-t-il. Je me suis dit qu’un gardien qui plonge d’un côté n’aurait pas le temps de changer de trajectoire en plein vol. »
Grâce à ce geste aussi mythique que splendide, Antonin Panenka donne la victoire à la Tchécoslovaquie face à l’Allemagne de l’Ouest. Son geste est rentré dans l’histoire du football et est encore aujourd’hui réalisé par les plus grands joueurs de la planète. Antonin Panenka a donné son nom au geste qu’il a créé, et qui a permis à la Tchécoslovaquie de devenir championne d’Europe 1976.
Sources :
- Le Point : « Football : une histoire d’Euro #1976 »
- Le Taurillon : « Euro Rétro 1976 : L’épopée du football Tchécoslovaque »
- Site de l’UEFA
- EU Football
Crédits photos : Icon Sport