Le 3 octobre 1984, le FC Metz s’apprêtait à connaître ce qui allait devenir l’un des plus grands exploits du football français. Un match de légende qui, des décennies plus tard, continue de faire rêver toute une génération. Une remontada comme on en voit peu. C’était au Camp Nou…
Fondé en 1932, le FC Metz remporte son premier titre national trois ans plus tard, avec un titre de champion de France de deuxième division. Il faudra attendre quasiment 50 ans pour revoir les Messins sur le haut de l’affiche. Et pas n’importe laquelle, puisqu’ils vont s’adjuger la Coupe de France, aux dépens de l’AS Monaco. Un premier titre qui leur ouvre alors la porte de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, ancienne C2 maintenant disparue. La compétition, qui compte 32 équipes représentant chacune un pays, commence directement en seizième de finale. Le vainqueur de la double confrontation en aller/retour accède au tour suivant, et ainsi de suite. Et pour commencer, le FC Metz tire un gros nom, le FC Barcelone.
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Piqués au vif
David contre Goliath, un géant d’Europe contre un petit ; telle est l’image de l’affiche entre ces deux équipes que tout oppose. Au niveau national, le FC Barcelone est multiple champion d’Espagne, vainqueur également à de nombreuses reprises de la Coupe d’Espagne et de la Supercoupe. Sur la plan européen, les Catalans ont déjà remporté la C2 à deux reprises, en 1979 et 1982. Ils sont également sur une série de 29 participations d’affilée à une Coupe d’Europe, quand Metz compte deux participations en Coupe des villes de foire. Autant dire que les Blaugranas se déplacent en terre lorraine dans la peau d’un immense favori.
Et le match aller va confirmer cela. Barcelone domine de la tête et des épaules des Messins trop subjugués par l’ampleur de l’évènement. Seul Jean-Philippe Rohr affirmera l’indéniable : “Dieu sait qu’on avait une belle équipe, mais il y avait deux classes d’écart, surtout au niveau de la puissance et de la vitesse”. Le score est sans appel, quatre buts à deux, et le Barça repart avec une avance confortable avant le match retour sur leur pelouse du mythique Camp Nou. Pierre Théobald, ancien journaliste à Metz, parle de “ridicule, grotesque” pour qualifier le match aller. Avec des buts casquettes, un contre son camp et des erreurs infantiles qui ne laissent présager rien de bon. D’ailleurs, c’est peut-être cet élément qui va changer la donne. Pris d’une confiance excessive, les Barcelonais enchaînent les sorties médiatiques moqueuses envers des Messins qu’ils jugent fébriles. Avec en prime une promesse pour le moins originale, celle de leur offrir des jambons. “Ils nous prenaient vraiment pour des touristes et ça nous a piqué au vif “, a déclaré le milieu de terrain Vincent Bracigliano pour So Foot. Loin d’eux l’envie d’être pris pour des jambons. Michel Ettorre, le portier Messin, imprimera même plusieurs articles peu glorieux sur son équipe pour les montrer à ses coéquipiers. Une forme de motivation supplémentaire, tout en restant modeste concernant leur chance de qualification. Mais les Lorrains, piqués dans leur orgueil, voulaient absolument montrer une meilleure image que celle d’une petite équipe.
Un voyage de rêve
C’est donc dans une posture délicate mais revancharde que les Grenats se déplacent au Camp Nou. Cette fois-ci, ce n’est pas tant leur adversaire qui les impressionne, mais l’envergure de l’enceinte des Blaugrana. 100 000 places, et des étoiles plein les yeux pour ces joueurs inhabitués à jouer dans de telles conditions. Les séances d’entraînement sont à rallonges pour profiter au maximum de ce cadre idyllique. Avant de prolonger la fête dans la ville : “le soir, nous étions allés boire quelques verres avec Jules Bocande, avant de rentrer à 2h du mat’”, confie Jean-Philippe Rohr. En plus de cette rencontre, un tournoi ATP de tennis a lieu dans le même temps à Barcelone. L’occasion pour les Messins d’échanger avec des grands noms de la balle jaune, comme Wilander ou Noah. Les familles des joueurs sont également du voyage, ce qui fait dire à Pierre Théobald : “les mecs arrivent à Barcelone en touristes.”
Le match était un bonus, même si certains, comme Michel Ettorre, ont une vraie revanche à prendre après les nombreuses déclarations de Schuster notamment. Une décontraction totale avant ce qui allait devenir la plus belle page de leur histoire. Pour accentuer sur la minimisation de ce match, aucune télé française n’a fait le déplacement, ne croyant pas en une remontada messine. Mais la magie du football, c’est qu’il est aussi beau qu’imprévisible. Si personne n’a vu le match, beaucoup l’ont entendu. Les supporters Grenats se pressent autour des postes de radio pour suivre la rencontre. Pour certains, il aura fallu attendre le lendemain matin pour connaître le résultat dans la presse locale. Comme pour prolonger les rêves de la nuit. Mais les Messins ont préparé leur coup. Jean Paul Bernad part en repérage, on lui rit à la tronche. Mais ce repérage est sûrement le meilleur coup qu’ils aient pu faire. Bernad repère la faiblesse et la lenteur de la défense blaugrana. Idéal lorsque l’attaquant messin s’appelle Tony Kurbos, joueur rapide pouvant prendre l’espace dans le dos de cette défense. Le plan est prêt, la suite appartient à l’histoire.
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Et un, et deux, et trois Kurbos
Une fois la ville découverte, il y a tout de même un match à jouer. Un match qui, quoi qu’il arrive, s’annonce historique pour Metz. Jouer au Camp Nou face au grand Barcelone, ça n’arrive pas tous les jours pour un club de ce standing. Les trente premières minutes ne sont pas à l’avantage des Messins. Mais le portier Michel Ettorre est beaucoup plus en réussite, et repousse tant bien que mal les tentatives barcelonaises. Et même si les Catalans finissent par ouvrir le score à la 33ème minute, les Grenats ne paniquent pas. Le comportement des stars catalanes ne leur plaît guère. Chambrage et insultes sont de la partie. Pour le fair-play, il faut oublier. Rien ne lie ces clubs, aucune rivalité ancienne, mais les multiples déclarations et comportements ont fini par créer une certaine tension.
Finalement, la bande à Marcel Husson va enfin réussir à mettre son plan en action. Un long ballon pour Kurbos, qui se présente seul face au gardien et égalise. Deux minutes plus tard, c’est Sanchez, le défenseur catalan, qui pousse le ballon dans ses propres filets. En un rien de temps, Metz prend les commandes de la rencontre… et commence à croire à l’exploit. A l’heure de jeu, Kurbos, encore lui, triple la mise. Plus rien ne semble empêcher l’exploit, la confiance est totale et les Barcelonais déjouent totalement. L’exploit attend, se fait désirer. Michel Ettorre sauve la maison messinne à de nombreuses reprises. Puis arrive la 85ème minute. Celle choisie par Tony Kurbos pour entrer encore plus dans la légende. Bien aidé par un hors-jeu de position non signalé, il est à la réception d’un centre de Bocande pour propulser le cuir au fond des filets. Les dernières minutes sont longues, crispantes. Rien ne doit gâcher cet exploit immense. L’arbitre siffle la fin de la rencontre, et la soirée bascule dans l’irréel. Les Messins se congratulent tous, à l’exception de Michel Ettorre, qui préfère aller demander son jambon à Schuster, qui ne comprend pas un mot de ce que dit l’un des héros du soir. La dernière anecdote de cette soirée magique se passe au niveau du parking du Camp Nou. A côté de leur bus, les Messins voient un défilé de belles voitures : Porsche, Ferrari et bien d’autres. Vincent Bracigliano en rigole : “À l’époque, nous roulions de notre côté en 2CV ou Renault 8, nous étions un peu des amateurs par rapport à ces pros qui baignaient déjà dans l’excellence.” Mais ce soir d’octobre 1984, l’excellence était française !
Des décennies plus tard, cette remontada du FC Metz reste comme l’un des plus grands exploits du football français. Avant la récente victoire du PSG, le FC Metz était le seul club français à s’être imposé au Camp Nou. L’histoire est belle lorsqu’on sait que le club lorrain a failli déposer le bilan un an auparavant. Grâce à une meilleure gestion et des choix intelligents, l’exploit a été rendu possible. Malheureusement, il n’eut pas de lendemain, les Grenats se faisant éliminer au tour suivant par le Dynamo Dresde.
Sources :
Arnaud Clément, « Le jour où le FC Metz a mis 4-1 au Barça au Camp Nou », So Foot
Simon Capelli-Welter, « Barça/Metz 1984 : «C’est comme si Jimmy Vicault avait tapé Usain Bolt en finale du 100m» », So Foot
Thomas Jeangeorge, « FC Metz : il y a 35 ans, les Kurbos, Bocandé et autre Hinschberger éliminaient Barcelone en Coupe d’Europe », France Bleu
Crédits photos : Icon Sport