Si l’Iran s’illustre depuis quelques années en se qualifiant pour la Coupe du monde de façon régulière, le match le plus important de l’année reste le choc entre Esteghlal et Persépolis, le derby de Téhéran réunissant 100 000 spectateurs.
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La ville de Téhéran compte les trois clubs ayant remporté le plus de fois le championnat iranien. Si le PAS Téhéran, aujourd’hui disparu, en compte sept, ce sont bien Esteghlal et Persépolis, avec huit et quatorze couronnes qui règnent en maître sur le pays.
La confrontation entre les Rouges de Persépolis, et les Bleus d’Esteghlal est la rencontre la plus décisive de l’année pour les deux équipes. Depuis le 5 avril 1968, elles s’affrontent lors du Surkhabi (la contradiction en persan de rouge, surkh et abi, bleu).
« À chaque fois, l’entraîneur nous donnait cet avertissement : on ne gagnera peut-être pas le championnat mais on doit gagner le derby, on pourrait ne pas se qualifier pour la Ligue des champions d’Asie mais on doit gagner le derby, on n’ira peut-être pas loin en Ligue des Champions mais il faut gagner le derby. »
Mehdi Hasheminasab, joueur de Persépolis (1997-2000) et d’Esteghlal (2000-2003)
Une histoire plutôt récente
Tout commence pour les deux clubs au milieu du XXe siècle. En 1945 est fondé le Docharkhe Savaran (cyclistes en persan). Créé par des passionnés de vélo, le club se dote vite d’autres sections dont une équipe de football. Le club change de nom en 1949 pour devenir le Taj FC (couronne en persan). Le futur Esteghlal est alors dirigé par des officiers et soutenu par le pouvoir du Shah, Mohammed Reza Pahlavi.
De l’autre côté de l’équation, on retrouve les Rouges de Persépolis. Ils apparaissent en 1963, à l’initiative du boxeur Ali Abdoh. Le club compte également des équipes de bowling, basket-ball, volley… En 1967, il reprend l’héritage du Shahin FC, club trop populaire et dissous par le pouvoir. L’effectif et les supporters se rassemblent alors autour du club de Persépolis, du nom de l’ancienne capitale de l’empire perse achéménide. En opposition avec son rival, Persépolis est l’équipe du peuple, et non des élites.
Les premiers affrontements entre les deux équipes sont électriques avec de nombreuses interruptions des matchs. En 1970 et en 1971, Persépolis quitte à deux reprises le terrain pour contester des décisions arbitrales. C’est aussi durant cette période qu’arrivent les premiers succès avec le premier titre d’Esteghlal en 1971 et de Persépolis en 1972. Le 6 septembre 1973, Persépolis remporte le derby 6-0, le score le plus important de l’histoire des Surkhabi.
La Révolution islamique
En 1979, la Révolution islamique modifie complétement la société iranienne. Le Shah s’exile et l’ayatollah Khomeini arrive au pouvoir. C’est à ce moment que le Taj devient Esteghlal (indépendance en persan). Persépolis prend le nom de Pirouzi (victoire en persan) mais l’appellation Persépolis continue d’être utilisée avant son retour officiel en 2012.
Parmi les changements dans la société, il y a l’interdiction de se rendre dans les stades pour les femmes. Le 5 octobre 1981, c’est ainsi le dernier derby auquel elles peuvent assister. En effet, jugeant leur présence inadaptée, les autorités religieuses du pays interdisent leur présence. Ce sont donc 128 000 hommes, uniquement, qui seront présents au stade Azadi le 7 octobre 1983 pour voir le match entre les deux équipes.
À l’image du derby du Caire, les problèmes d’arbitrage sont courants durant ces rencontres et de 1995 à 2008, la Fédération décide d’utiliser des arbitres étrangers pour limiter les soupçons d’impartialité entre les deux équipes. Ce sont ainsi des Italiens, des Espagnols ou encore des Allemands qui ont la lourde tâche de faire régner l’ordre sur le terrain.
La tension entre les deux équipes arrive à son summum le 29 décembre 2000. Après le match, des affrontements ont lieu dans les rues et sur le terrain. Plus de 250 bus sont détruits et neuf joueurs sont suspendus dont le gardien d’Esteghlal, Parviz Broumand, qui frappe un adversaire et reçoit une suspension de 18 mois.
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Un riche palmarès
Récemment, c’est Persépolis qui prend le pas sur son adversaire. Quintuple tenant du titre, il possède plus de titres nationaux et plus de supercoupes d’Iran qu’Esteghlal (quatre contre une). En revanche, le reste du palmarès joue en faveur des Bleus qui ont une coupe Hafzi de plus (sept contre six) et un palmarès plus conséquent au niveau continental.
Persépolis possède une victoire en Coupe d’Asie des vainqueurs de coupe 1990-1991 alors qu’Esteghlal remporte la Ligue des champions la même année contre Liaoning, sa deuxième après son succès en 1970 face à l’Hapoël Tel-Aviv. Les deux clubs comptent également deux défaites en finale de Ligue des Champions, dont les éditions 2018 et 2020 pour les Rouges.
Afin de garnir leur palmarès, les deux équipes s’appuient sur des effectifs composés en grande majorité d’Iraniens. Mehdi Taremi de Porto a évolué quatre saisons à Persépolis et Ali Daei, passé par le Bayern Munich, le Herta Berlin et longtemps meilleur buteur en sélection, également. Parmi les quelques étrangers présents, on retrouve cette année du côté d’Esteghlal, Kevin Yamga, passé par Châteauroux ou Rudy Gestede, ancien de Metz et de Cannes. Par le passé, des joueurs comme Cheick Diabaté ou Jlloyd Samuel ont également joué avec les Bleus.
La base de la sélection
Ensemble, les joueurs des deux équipes forment une partie de l’équipe nationale, la Team Melli, qui a remporté la Coupe d’Asie en 1968, 1972 et 1976. Après leur première qualification au Mondial en 1978, il leur faut vingt ans pour retrouver une coupe du monde. L’Iran affronte alors son pire ennemi, les États-Unis, et ils parviennent à remporter le match 2-1. Parmi les joueurs présents en 1998, sept joueurs sont issus de Persépolis et quatre d’Esteghlal.
Qualifiés en 2006 et 2014, ils ne goutent de nouveau au succès en Coupe du monde qu’en 2018 face au Maroc. Mais avec l’exportation des joueurs vers l’Europe, ce ne sont plus que deux joueurs de Persépolis et quatre d’Esteghlal qui sont présents en Russie.
Au total, les deux rivaux de Téhéran se sont affrontés près de 98 fois. C’est Esteghlal qui s’en est le mieux sorti avec 26 victoires contre 25 défaites et 47 nuls. Les deux équipes ne pourront pourtant pas s’opposer en Ligue des champions au cours de la saison 2021-2022 car elles ont tous les deux étés suspendus. Dirigées par le ministère des Sports, la confédération a jugé qu’elles ne respectaient pas certains critères d’admission, notamment sur l’indépendance vis-à-vis du pouvoir.
Toujours classé parmi les derbys les plus bouillants de la planète, il est peut-être l’un des moins connus. Avec deux équipes qui parviennent à sortir du lot dans la Persian Gulf Pro League, la confrontation entre les deux meilleures équipes de Téhéran apparaît comme le derby le plus bouillant de tout un continent.
Sources :
- AFC CHAMPIONS LEAGUE, « Great Asian Derbies: Esteghlal vs Persepolis (Tehran) », the-afc.com, 22 octobre 2017.
- DELANOË Régis, « La fabuleuse histoire du derby de Téhéran », sofoot.com, 6 septembre 2013.
- DI FRANCESCO Fabio, « Persepolis vs Esteghlal, il Derby di Teheran », tuttocalciatori.net, 20 septembre 2021.
- FIFA, « Incredible passion of Tehran derby », youtube.com, 15 janvier 2016.
- JAVADI Saman, « Persepolis-Esteghlal, that’s Tehran derby », mondofutbol.com.
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