Autour de thèmes récurrents tels que New York ou la mafia, Martin Scorsese s’est forgé une place de choix au cœur d’Hollywood. En remplaçant le cadre américain par celui de l’Italie, qu’il connaît aussi très bien, il pourrait réaliser le biopic du footballeur Fabio Quagliarella. Son titre : Casino ? Non. Le Loup de San Paolo ? Pas vraiment. L’affranchi ? Pourquoi pas.
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Durant son enfance en Campanie, Fabio Quagliarella a très vite connu deux aspects majeurs de la région du Sud de l’Italie, le football et le grand banditisme. Le foyer familial est situé à Castellammare di Stabia, soit à quelques minutes du Stade San Paolo où Diego Armando Maradona laisse son empreinte chaque semaine. Loin du stéréotype habituel, le jeune garçon se rend également compte des problèmes de la ville et du poids de la mafia locale.
Supporter invétéré de la Società Sportiva Calcio Napoli, Fabio Quagliarella avait pour rêve d’y jouer en tant que footballeur professionnel. Tâche trop difficile durant sa formation. Si bien qu’il décide de quitter sa région natale très tôt pour rejoindre le Piémont en revêtant le maillot du Torino. C’est avec Le Taureau qu’il foule ses premières pelouses au plus haut niveau du football transalpin, en 2000. Il connaît cependant plusieurs expériences, sous forme de prêts, dans des clubs bien moins huppés comme la Florentina Viola ou la SS Chietti.
Il joue assez régulièrement mais son nombre total de buts n’est pas faramineux. Le Torino décide tout de même de le faire évoluer en Série B et réalise le bon choix puisqu’à la pointe de l’attaque, il est un élément essentiel à la montée. Chose cependant inutile pour un club déficitaire qui se fera refuser cette ascension sportive à cause de problèmes administratifs.
Quagliarella pose alors ses bagages à Gênes pour porter les couleurs de la Sampdoria. Durant la saison 2006/07, il se révèle comme le futur espoir offensif de la Nazionale. A seulement 23 ans, il impressionne le championnat par de nombreux buts spectaculaires. Associé à Emiliano Bonazzoli à la pointe de l’attaque, il s’affirme comme un avant-centre précis mais trop irrégulier. Défaut qui persiste lors de son départ pour l’Udinese jusqu’en 2009 où il découvre les rencontres internationales en terminant sur le podium des meilleurs buteurs de la Coupe de l’UEFA avec huit réalisations.
Joie remarquée mais de courte durée
Grâce à ses performances européennes et ses premières sélections sous le maillot azur, Fabio Quagliarella réalise son plus grand rêve d’enfance en rejoignant la SSC Napoli. Durant une saison, il marque peu mais presque toujours chez lui. En effet, sur les onze réalisations, dix ont fait lever un San Paolo toujours friand des célébrations où l’avant-centre embrasse l’écusson sacré. Malgré une saison en demi-teinte, il reçoit un soutien immense du stade qui entonne un chant à son honneur. Le premier depuis celui valorisant Maradona. Rien que ça.
A la surprise générale, un an après son arrivée en trombe, le numéro vingt-sept quitte son club de cœur pour aller chez l’ennemi juré de la Juventus. Il n’est alors évidemment plus en odeur de sainteté du côté de Naples et le comprend dès qu’il foule la pelouse du San Paolo avec un autre maillot. Le Vésuve en ébullition semble moins incandescent que le stade huant celui qu’il a auparavant acclamé. Ses célébrations ont changé, il n’embrasse plus l’écusson mais s’excuse face à une tribune furieuse. Les supporters napolitains sont loin d’imaginer que Fabio Quagliarella a été contraint de quitter la ville et le club.
Avant de révéler les dessous de ce transfert, l’avant-centre ravi la Juventus grâce à de nombreux buts, toujours plus spectaculaires. Un nouveau coup d’arrêt va barrer la route de celui qui ne peut plus être considéré comme un espoir. En effet, il est victime d’une rupture des ligaments croisés qui l’éloigne des terrains durant six mois. Sans son buteur, la Juventus de Luigi Delneri déçoit et son 4-4-2 est remplacé par un système à une seule pointe d’Antonio Conte. Après ce changement d’entraîneur, Fabio Quagliarella ne retrouve pas l’efficacité et la régularité de sa première saison turinoise.
Quagliarella, une histoire de retours en arrière
Martin Scorsese n’est pas le réalisateur usant le plus de flash-backs à l’écran mais il y sera contraint dans le biopic sur le joueur. En effet, après avoir quitté la Campanie pour le Piémont durant son enfance, il l’a de nouveau fait en passant de Naples à la Juventus. Habitué à ces rétropédalages, il rejoint ensuite le Torino FC pour reprendre confiance après la longue blessure et la mise au ban de Conte. Pour sa première – nouvelle – saison avec le maillot grenat, Quagliarella retrouve des statistiques plus que correctes en égalant son meilleur total acquis sept ans plus tôt à Udine.
Fait dans un autre bois, il inscrit un triplé face à la Sampdoria. Son ancien et futur club. Car oui, après un retour au Torino, il fait de même en signant à Gênes en 2016, dix ans après sa première saison pleine au niveau professionnel. Il n’est plus considéré comme le crack qui allait faire briller la Nazionale mais comme un attaquant irrégulier de Serie A, tout de même capable de coups d’éclat aussi remarquables que remarqués. Un statut qui va changer grâce à cette seconde expérience génoise.
Sa première saison n’est pourtant pas réussie, la faute à une irrégularité chronique devant les cages et des problèmes physiques persistants. Un élément va cependant mettre fin à tous les maux du joueur mais surtout de l’homme. En effet, le 19 février 2017, Fabio Quagliarella fond en larmes devant les journalistes italiens après le match face à Cagliari. Ce n’est pas le match nul qui provoque cet état mais l’épilogue d’une affaire qui le ronge de l’intérieur depuis 2009. Une affaire liée à son année napolitaine digne des plus grands films mafieux.
Policier et mafieux napolitains
Entre son départ du Napoli et cette interview, sept ans plus tard, l’avant-centre ne s’était pas exprimé sur les raisons d’une aventure écourtée dans son club de cœur. Les rumeurs à son propos ont été nombreuses, comme celle d’une brouille avec les dirigeants, et n’ont pas fermé la porte aux insultes qu’entonnait le Stade San Paolo à son encontre. Les supporters ont transformé une incrédulité en haine envers celui qu’ils avaient érigé en héros avant de se faire trahir. Ce jour de février 2017, Fabio Quagliarella explique enfin la cause du départ :
“Aurelio De Laurentiis m’a vendu parce qu’il avait reçu des lettres anonymes et des messages téléphoniques m’accusant de prendre de la cocaïne lors de soirées avec des membres de la mafia Camorra. J’ai été forcé de quitter ma ville natale et le Napoli m’a vendu à la Juventus. J’avais été faussement accusé d’être un camorriste et un pédophile qui faisait des orgies. Le président De Laurentiis m’appelait tous les jours, mais après ces lettres, il m’a conseillé de quitter ma ville natale Castellammare di Stabia pour aller vivre dans un hôtel, pour être plus calme et détendu. Après cette conversation qui a eu lieu au quartier général de Napoli, il ne m’avait plus jamais rappelé”.
Dans une ville comme Naples, mieux vaut parfois garder le silence. C’est ce qu’a fait Quagliarella, lui qui ne voulait d’abord que réparer son téléphone… En effet, tout a commencé à cause d’un piratage d’un de ses réseaux sociaux. Il fait alors appel à un policier spécialiste de la cybercriminalité, Raffaele Piccolo. Le problème est assez vite réglé par cet expert avant que le joueur ne s’aperçoive d’un autre bien plus grave. Il est alors le destinataire de nombreux messages de menace, de montages pédopornographiques, ou en lien avec la Camorra.
Quagliarella, le fils d’une ville
Les nuits sont de plus en plus courtes et le football passe au second plan. L’avant-centre ne marque pas aussi souvent qu’il le voudrait sous les couleurs de son club d’enfance. Il est surtout touché par cette affaire extrasportive. En discutant avec un ami, il découvre que ce dernier a connu pareil situation et a été contraint de quitter sa femme après de tels messages. Le lien entre les deux : Raffaele Picolo. Le policier n’a, en réalité, jamais ouvert d’enquête sur le cyberharcèlement puisqu’il était à la mène de ce chantage en profitant de la proximité qu’il avait créé avec le joueur.
Si Fabio Quagliarella a décidé d’enfin dévoiler les dessous de son départ de la SSC Napoli, c’est parce qu’il attendait le jugement de son bourreau. Il a finalement écopé de quatre ans et demi de prison. Après les révélations, tout Naples décide de nouveau d’aimer son héros, le fils de cette ville comme l’écrivent les supporters sur une banderole : “Immense dignité dans l’enfer que tu as traversé. On se retrouvera vite Fabio, fils de cette ville”.
La Camorra a également apporté son soutien au joueur en demandant “s’il était possible de lui donner une leçon, de faire quelque chose”. Offre évidemment rejeté par le principal interessé qui ne veut retenir que le football et le pardon du San Paolo a chaque fois qu’il foule la pelouse avec le maillot de la Samp. Même lorsqu’il martyrise son ancien camp comme en 2019 où il marque d’une superbe madjer accrobatique à consommer sans modération.
La libération mène à la rédemption
Son but exceptionnel face à Naples n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Surnommé “Le roi de la patate chaude”, Fabio Quagliarella a toujours brillé par ce type de réalisations venues d’ailleurs. Depuis la révélation de l’affaire et la condamnation de Raffaele Piccolo, l’avant-centre a définitivement retrouvé ce sens du but et l’amour du football. Arrivé assez tôt dans le circuit professionnel, il avait tout pour briller durant de longues années. L’arrivée dans son club de cœur devait d’ailleurs lui permettre d’aller aussi haut que son talent lui permettait.
Il n’y a finalement marqué que onze buts et même s’il estime qu’ils en valent cent l’aventure n’en reste pas moins chaotique sur le plan personnel. La rédemption est finalement survenue après la libération, signe de l’important du bien-être dans la vie d’un sportif professionnel. Depuis la condamnation du policier, Fabio Quagliarella a enchainé les saisons pleines et régulières.
Avec vingt-six buts, il devance Cristiano Ronaldo, entre autres, pour terminer meilleur marqueur du championnat transalpin en 2018/19. Une autre victoire s’est réalisée avec le maillot de la sélection nationale puisqu’il fut rappelé par Roberto Mancini en 2019 soit neuf ans après sa dernière sélection. Il devient d’ailleurs le buteur le plus âge de la Nazionale. A bientôt 39 ans, Don Fabio Quagliarella continue de peser sur les défenses italiennes comme il aurait du le faire depuis plus de dix ans. De son exil forcé par un flic ripoux d’une ville gangrénée par la mafia à sa rédemption malheureusement trop tardive, le scénario de sa carrière semble réellement sorti de la tête de Martin Scorsese.
Sources :
- « Fabio Quagliarella reveals napoli exits due to cocaine, camorra mafia allegations », Bleacher Report
- « Harcèlement, mafia et ligaments croisés : Fabio Quagliarella, le papy flingueur de la Sampdoria », France Football
- « Quagliarella : la fin d’un chauchemar », So Foot
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