Le football et l’Argentine, c’est avant tout une histoire d’amour. Parmi les nombreux clubs historiques que compte le pays, le Club Atlético San Lorenzo de Almagro a une place de choix. Si son palmarès est bien étoffé, le lien qui l’unit à son stade, El Gasometro, fait de ce club une institution unique au monde.
Le 2 décembre 1979 est une date qui restera à jamais gravée dans la mémoire des supporters de San Lorenzo. Cela ne représente pas une victoire, mais plutôt une défaite extra sportive qui marquera toute une génération de supporters. Le club du quartier de Boedo joue alors son dernier match dans son antre de l’Estadio Gasometro, nom donné en référence à sa forme rappelant les réservoirs de gaz, commun à cette époque. Un dernier tour, conclut par un score nul et vierge. Comme un symbole face à la tristesse et l’impuissance face à ce départ.
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L’arrivée au 1700 Avenida de la Plata
Le club de San Lorenzo naît officiellement le 1er avril 1908. Il est la création d’un petit groupe de jeunes qui joue au football dans une rue dangereuse. Les apercevant, le prêtre Lorenzo Massa leur propose de jouer dans la cour de son église à une condition, que ces jeunes se rendent à la messe tous les dimanches. Marché conclu, et c’est en partie grâce à ce prêtre que le club prit ensuite le nom de “San Lorenzo”. Après un court parcours amateur et des succès notables, le club d’El Ciclon accède à la première division en 1916. Pour grandir et être à la hauteur de l’évènement, le club se doit de jouer dans un vrai stade, pouvant accueillir des milliers de supporters. Mais difficile de construire un tel édifice avec des ressources financières très faibles. Le prêtre Lorenzo Massa leur propose de louer le terrain se situant à côté de son église, au 1700 de l’Avenida de La Plata. C’est ici que, le 17 mai 1916, San Lorenzo inaugure son stade, El Gasometro, par une victoire deux buts à un contre Estudiantes. Le quartier d’Almagro (le nom Boedo apparaîtra plus tard) tient enfin son emblème.
La gloire d’un stade
Très vite, San Lorenzo gravit les échelons et remporte de nombreuses distinctions. En conséquence, les finances du club prospèrent et c’est en 1928 qu’il devient officiellement propriétaire de son stade. Cette acquisition permet l’agrandissement progressif d’El Gasometro pour en faire l’un des plus grands stades d’Argentine, en atteignant une capacité de 76 000 personnes. Le club va entrer dans une autre dimension, et s’étend bien plus loin que dans son quartier de Buenos Aires. D’autres événements feront de ce stade une antre historique. Il est d’abord le premier du pays à être équipé d’éclairages. Il est aussi à l’affiche du premier match retransmis en direct à la télévision argentine. Évidemment, un tel stade attire les convoitises de la sélection argentine, il est donc souvent désigné pour accueillir l’Albiceleste. Il va également être le témoin de l’une des plus belles pages de l’histoire de San Lorenzo. De 1968 à 1974, une équipe dorée voit le jour, surnommée Los Matadores en raison de leur efficacité hors norme. Le club est craint et a la réputation de se déplacer pour être intraitable avec ses adversaires. La traduction est simple, ils sont là pour tuer tout ce qui se trouve sur leur chemin. La saison 1968 est celle de tous les records. En 22 rencontres, Los Matadores ne concèdent aucune défaite, une première dans l’histoire du championnat. En phase finale, San Lorenzo ne cède toujours pas et remporte le championnat Metropolitano, invaincu. En 1972, El Ciclon va ajouter une nouvelle ligne à son palmarès et à la légende d’El Gasometro. Le championnat argentin est divisé en deux parties : le Metropolitano et le Nacional, ce dernier regroupant les mêmes équipes et les vainqueurs des championnats régionaux. Un club remportant le Metropolitano peut ainsi remporter également le Nacional… et c’est ce qui va arriver à San Lorenzo. Trois défaites pendant le Metropolitano, aucune en National, San Lorenzo est à son apogée.
Le déclin et la fin d’El Gasometro
Mais les belles histoires ont une fin. Si le début des années 1970 marque l’apothéose, la fin est beaucoup plus compliquée, et le club est en proie à de grandes difficultés économiques qui le poussent à s’endetter. Le pays traverse aussi une période compliquée sous la dictature militaire, qui va intervenir au sein du club. La Coupe du Monde 1978 vit la naissance de nouvelles infrastructures construites par cette même dictature. Et face aux problèmes financiers conséquents de San Lorenzo, la dictature militaire oblige le club à lui céder le terrain pour une somme totalement dérisoire pour une telle propriété. Au début, cet achat doit servir à la construction d’un réseau autoroutier. Mais quelques années plus tard, Carrefour rachète le terrain… bien plus cher que ce qu’il avait été acheté par la dictature. Après une période riche de succès, l’enceinte mythique d’El Gasometro est détruite. Un déchirement pour des milliers de supporters qui auront grandi dans ce stade, et vécu leurs plus belles émotions tant la supériorité de San Lorenzo était sans égal quelques années auparavant. Sans stade et toujours face à ses problèmes financiers, San Lorenzo descend en deuxième division en 1981. En dix ans, le club est passé des plus hauts sommets à la dureté d’une relégation. Il devient par ailleurs le premier des Cinq Grands (Boca Juniors, River Plate, Racing Club, Independiente et San Lorenzo) à connaître un tel sort. Mais le football ne s’arrête jamais. En deuxième division et privé de stade, El Ciclon doit jouer ses rencontres à domicile sur d’autres terrains, notamment celui de Huracan, son plus grand ennemi, provoquant la moquerie des supporters adverses. Mais les moqueries ne vont pas durer tant la ferveur des supporters est immense. De nouveaux records sont établis pour des matchs de seconde division, comme lors d’une rencontre au Monumental de River Plate, où près de 74 000 personnes viendront soutenir leur équipe. Il ne faudra que 2 ans pour que San Lorenzo retrouve l’élite argentine, après avoir remporté le championnat de deuxième division en 1982. Quatorze ans après son départ forcé de l’Avenida de La Plata, San Lorenzo inaugure un nouveau stade, El Estadio Pedro Bidegain, très vite surnommée… “El Nuevo Gasómetro ».
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Une nouvelle histoire, sans jamais oublier Boedo
C’est donc dans le quartier de Bajo Flores que va s’écrire une nouvelle page de l’histoire de San Lorenzo, bien loin du quartier d’origine tant aimé par les supporters. Une génération tout entière vit encore le traumatisme de la perte d’El Gasometro et souhaite toujours retourner à Boedo. Petit à petit, un mouvement unique va naître, celui du “Vuelta a Boedo” (« retour à Boedo« ). La volonté de ces supporters est simple, retourner à l’adresse historique du 1700 Avenida de La Plata. Le projet prend une ampleur conséquente tant la passion pour le club est immense et l’identité très forte. Certains des plus grands supporters évoquent même avoir porté le maillot de San Lorenzo sous leur uniforme militaire lors de la Guerre des Malouines. Des programmes radios retraçant l’histoire du club virent le jour, et participèrent à la renommée du mouvement. Mais un événement va faire grandement avancer les choses, celui de la Loi de Restitution Historique. Cette loi prévoit que les terrains cédés lors de la dictature militaire peuvent être rachetés par les propriétaires historiques. Si ce projet de loi n’obtient aucun vote à son aurore, le mouvement va continuer à prendre de l’ampleur. Des manifestations regroupant jusqu’à 35 000 fans vont se tenir devant le parlement. Jusqu’au 8 mars 2012…
La Marcha del 8 de Marzo
Le 8 mars est une date historique pour tous les supporters de San Lorenzo. C’est à cette date que va avoir lieu l’un des événements les plus forts de la reconquête de Boedo. Un cortège immense va se mettre en place, réunissant plus de 100 000 supporters, de l’Avenida de La Plata à la Plaza de Mayo de Buenos Aires. Les images sont impressionnantes : qu’ils soient à pied, à moto, en bus, en voiture, rien n’arrête cette foule rouge et bleu conséquente. Les répercussions sont très fortes à travers le pays tout entier, qui suit les images à la télévision. Cette fougue est concrétisée par des actes. Pour aider le rachat du stade, les supporters n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour acheter un mètre carré symbolique d’El Gasometro. Parmi ces fidèles supporters, deux noms ressortent du lot. Tout d’abord celui de Viggo Mortensen, acteur du Seigneur des Anneaux, mais surtout le pape François. Ce dernier est un adhérent fidèle et paie une cotisation tous les mois. Ce mouvement dépasse les simples aficionados de San Lorenzo, puisque des supporters rivaux n’hésitent pas à apporter leur aide. La Loi de Restitution Historique va finalement être adoptée à l’unanimité, et en 2015, Carrefour est obligé de revendre le terrain à son propriétaire de cœur, San Lorenzo. Fin mars 2017, le dernier versement est effectué et le terrain redevient propriété du club. Le supermarché présent sur une partie du terrain a fermé ses portes en 2019, permettant au club de posséder toute la surface. Il y a quelques mois, le club a présenté les plans de la future enceinte d’El Ciclon. Une nouvelle architecture moderne, d’une capacité de plus de 46 000 places. Mais à une adresse historique.
😍 Ya hicimos dos canchas, vamos a hacer tres…
En Av. La Plata empezó a exhibirse para vecinos, Socios y Refundadores de #SanLorenzo la maqueta del Proyecto Urbano Integral, que incluye el estadio en Boedo.
¡Vení a vivir una experiencia inolvidable!
➡️ https://t.co/NHrMk9LNsO pic.twitter.com/nCWUfYmvkK— San Lorenzo (@SanLorenzo) February 23, 2021
L’histoire d’El Gasometro est unique dans le football. Les nombreuses scènes d’effervescence à l’annonce du retour à Boedo, quartier historique pour San Lorenzo, montrent la passion autour de ce club mythique du football argentin. Comme un symbole, c’est en plein milieu des négociations pour le retour à son adresse historique que le club s’est adjugé la Copa Libertadores. Si l’atmosphère qui régnait au Nuevo Gasometro était digne des meilleures ambiances du pays, rien ne remplace le 1700 Avenida de La Plata, qui représente la vraie identité du club. Nul doute que l’ambiance au retour à cette adresse sera extraordinaire, dans ce nouveau stade qui devrait être baptisé… El Estadio Papa Francisco. Divine idylle.
Sources :
- « San Lorenzo – Le retour a Boedo », Lucarne Opposée.
- « San Lorenzo et l’histoire du Gasometro », Che Argentina.
- Olivier Spaeth, « San Lorenzo dévoile son projet de nouveau stade », Stades Info.