On a perdu. Cette simple phrase va sans doute venir résonner tel un écho qui ne s’arrête jamais pendant quelques jours. Les idées deviennent alors subitement noires, nous qui nous étions juré de ne plus y penser, la défaite nous obsède. Alors il y a ceux qui le prennent de façon optimiste en voyant l’équipe se relever dès la prochaine rencontre, il y a leur némésis, ceux qui pensent que tout est perdu, pour toujours et puis les moins extrémistes. Tous essaient de noyer leur chagrin : ceux dont la flamme brûle aussi ardemment qu’un fumigène polonais, ceux dont les yeux humides savent refléter la beauté d’une course croisée, ceux dont l’oreille entend la poésie dans les balbutiements anglo-argentins d’un prophète en training. L’ardent sentiment de la défaite ne touche pas ceux qui restent froid face à ce craquage amoureux, ceux qui cherchent désespérément à croiser le regard d’un proche aux yeux rivés sur un sprint, ceux qui grincent des dents à l’écoute de la cacophonie avec laquelle s’abrutit un ami. Et pourtant, c’est avant tout eux que l’on voudrait emmener au bout de l’amer, emmener au pays des défaites, car il semble que la misère serait moins pénible sans les « ce n’est que du foot ».
Il y a une raison bien claire derrière ce mécanisme immunitaire du supporter, rejetant cette imputation comme une impureté. Le rejet de la défaite efface tout éclat de la victoire. Si une défaite, ce n’est que du foot, peut-on décemment affirmer que la victoire, c’est bien plus que cela ? Ineptie, évidemment. Là, où, pour les joueurs, la victoire se suffit en elle-même car elle est aux yeux de tous le baromètre de leur réussite, les supporters eux, subissent de plein fouet l’impact des titres et des séries.
Devenir fan d’une équipe restant sur une première place en championnat et en route pour un back to back ne vous garantira pas des émotions de joie plus pures que celles du supporter d’un club qui se bat pour éviter de retomber dans une division dont il s’est péniblement extirpé. L’attachement à une équipe passe par l’acceptation honnête de ses traits de personnalité, qu’ils soient individuels ou surtout collectifs. Or, les équipes qui gagnent le font souvent de la même manière et c’est dans la défaite que l’on juge vraiment de l’âme d’une équipe. C’est donc aussi à travers celle-ci que se construit l’amour du supporter, franc, brut, à toute épreuve.
Tel un marié, passionné, on se dit oui, pour le meilleur et surtout pour le pire devant l’autel du ballon rond. Si l’on veut pouvoir embrasser la victoire, nous devrions donc prendre à bras le corps la défaite vive, la douleur nue, le désarroi spéculatif et le désespoir fatal. Car si le match perdu est si important c’est qu’il est la dépouille encore chaude de la rencontre qui portait irrésistiblement un objectif, dont l’excitation suscite encore des convulsions impulsives, mais d’où l’odeur de regret s’échappe déjà.
Quand l’épreuve est finalement subie et acceptée, on entame alors notre chemin de croix, nous préparant peu à peu à savourer comme il se doit la victoire ou du moins, à remettre son cœur sur un plateau pour le match suivant. Et dès que l’on s’intéressera au prochain match, dès qu’il faudra s’extirper de l’enfer des vaincus, à nous de ne pas oublier les leçons du passé, d’effectuer notre retour sur terre sans passer par les eaux du Léthé. Ce soir, c’est sûr, on renoue avec la victoire.
Jonathan Tunik et Thomas Rodriguez-Onteniente.