Quand vient le printemps et la phase finale de la Ligue des Champions, on s’attend au tirage au sort, aux surprises de quelques équipes, à l’affirmation d’autres, à la performance des «gros». Mais justement qui sont ces «gros» ? Comment une équipe parvient-elle à faire peur et à impressionner la scène européenne de par son statut de «grand» ? Voici quelques éléments d’interrogations.
Certains ont qualifié la victoire du Paris Saint-Germain sur le Bayern Munich d’exploit. La performance est évidemment inédite : jamais les Parisiens n’avaient éliminé le champion en titre, jamais un club français n’avait rejoint deux années de suite les demi-finales de la Ligue des Champions. Mais de là à parler d’exploit, le terme paraît exagéré tant il implique un rapport de force démesuré entre les deux équipes qui s’étaient pourtant affrontées en finale l’an dernier lors d’un match qui ne s’est pas joué sur grand-chose et a résulté d’un 1-0.
Si certains parlent d’exploit, c’est peut-être que le plus grand d’Europe a été sorti par une équipe qui, elle, n’est pas un grand d’Europe. Une participation à la Ligue des Champions se mérite, tout le monde n’y est pas convié. On retrouve alors régulièrement les mêmes équipes. Plus les tours passent, plus le tableau ressemble à celui des années passées. Real Madrid, Liverpool, Bayern Munich, FC Barcelone… Ces équipes ne manquent pas à l’appel de la phase finale depuis plusieurs années.
C’est sûrement une des premières étapes pour être un «grand d’Europe» : il faut participer tous les ans à la Ligue des Champions et être aussi, tous les ans, en phase finale. Depuis 2012-2013, seules quatre équipes ont réalisé cela : le Real Madrid, le FC Barcelone, le Bayern Munich et le Paris Saint-Germain. Sur ces quatre équipes, et toujours depuis 2012-2013, seul le PSG n’a pas remporté la C1. Là est peut-être une nouvelle partie de la définition du grand d’Europe : il faut gagner. Est-il logique de qualifier de la sorte une équipe qui, pour le moment, est toujours repartie chez elle sur une défaite ?
Le «grand d’Europe» dépend du temps. Si on évoque l’histoire du football et de la Ligue des Champions, il serait difficile de classer le Benfica ou l’Ajax ailleurs que parmi les grands. Pourtant, aujourd’hui on n’en parle pas ainsi et on imagine mal les classer au même rang que la Juventus ou le Barça. L’aspect historique rentre en jeu mais ne compte que si le club figure toujours parmi les plus grands. En 2018-2019, on a d’ailleurs évoqué l’histoire de l’Ajax Amsterdam lors de leur parcours jusqu’en demi-finales pour justifier le fait qu’ils ne sortaient pas de nulle part et que, pour certains, «un grand club ne meurt jamais».
Être un «grand d’Europe» serait alors un mélange d’histoire et d’actualité. Il faut avoir gagner et continuer à être performant. Sans la deuxième condition, ce statut se perd. En effet, l’Inter et l’AC Milan ne sont aujourd’hui plus des «gros» mais peuvent candidater pour le redevenir. Tandis que la Juventus, malgré trois échecs consécutifs en Ligue des Champions, demeure un grand d’Europe, fort de ces deux récentes finales et de performances toujours d’actualité face aux autres gros. En revanche, si la Juve venait à subir de nouveaux échecs dans les saisons à venir, son statut pourrait être mis en danger, au même titre que celui de Manchester United par exemple, très irrégulier en Ligue des Champions.
Plusieurs équipes sont régulièrement en phase finale, peuvent faire sensation mais leur irrégularité impose un statut intermédiaire entre celui d’un club standard de C1 et celui de grand d’Europe. Ici, on peut évoquer le Borussia Dortmund, Chelsea ou Porto. Peut-être est-ce également un statut intermédiaire qui conviendrait au Paris Saint-Germain et à Manchester City. Ces deux clubs, présents 9 fois en phase finale sur les 9 dernières Champions League pour le premier contre 8 pour le second, ont la régularité pour eux. Cependant, ils ont toujours chuté face à plus fort : le Barça, le Real, le Bayern, etc voire face à un adversaire inférieur : Monaco, Lyon, Tottenham. Un manque de confiance en soi que le PSG semble avoir comblé entre son parcours de l’an dernier et celui de cette année en éliminant deux gros.
Pour être un «grand d’Europe», il faut répéter les grandes performances face aux autres grands. Ensuite, les échecs sont permis. Le Barça est toujours un grand d’Europe malgré ses échecs cuisants ces dernières années, idem pour la Juve ou pour le Real, absent deux années de suite des quarts de finale et demi-finaliste aujourd’hui. C’est donc aussi le tirage au sort qui fait le grand : Paris bien qu’enchaînant les échecs a souvent hérité d’un gros ou d’une très bonne équipe (Barca, Real, Chelsea, Dortmund, United, etc) tandis que City héritait souvent de plus faible (Bâle, Kiev, Monaco, Schalke ou Gladbach cette année). Si cela peut s’apparenter à un manque de chance, on observe aujourd’hui que le PSG arrive en demi-finale fort de ses qualifications face au Barca et au Bayern tandis que City ne semble pas plus en confiance que les années passées.
Les «grands d’Europe» ne concernent pas uniquement les clubs mais aussi les joueurs. Certains footballeurs ont acquis une telle expérience en Ligue des Champions qu’on peut les considérer comme tels. Les clubs voulant conserver ou glaner leur titre de grand doivent s’en entourer. Le Bayern a Müller, Neuer, Lewandowski ou Boateng quand le PSG a hissé face à lui Navas, Di María, Neymar ou Mbappé, grand d’Europe en puissance à l’image de son club.
Être un grand d’Europe c’est alors le devenir puis le rester. L’histoire d’un club peut permettre de regagner ce statut plus facilement mais c’est malgré tout un titre qui se mérite et demande du temps. Des clubs comme le PSG ou City lorgnent dessus depuis plusieurs années, sans succès, bien que le premier ait fait un grand pas dans cette direction ces derniers mois. Chaque saison de Ligue des Champions est une occasion de gagner ou de perdre son statut de «grand». Alors malgré une lassitude de la C1 liée au fait que ce sont les mêmes équipes qui y participent, une hiérarchisation aux frontières peu définies comme proposée ici, pourrait redonner foi à certains en la plus grande compétition du football.