Petit dialogue -imaginaire ?- entre la télévision et le football (sport encore couramment pratiqué dans la première moitié du XXIe siècle).
La télévision : Moi je t’aime, mon football
Le football : Non
T : Comment ça, non ?
F : Tu fais juste semblant. C’est d’ailleurs ce que tu connais le mieux, « faire comme si ». Ce que tu montres à ton public, c’est plus moi, c’est une mauvaise copie de moi. Quand je me regarde sur tes écrans, je me reconnais à peine.
T : Mais c’est pour mieux te servir, mon ami, que je fais tout ça. Je me donne un mal de chien, tu sais, c’est du boulot ! Et puis allez, regarde la finale Francfort-Real Madrid de 1960, entièrement filmée en plans moyens –même pas larges !-c’était pas le pied quand même ! OK, ça a fait 7 à 3, 10 buts. Mais y avait même pas de ralentis, tu te rends compte ?
F : Tu sais combien y avait de spectateurs à Glasgow, pour cette finale ? 127 000 ! Pour un match qu’était pas le pied… Di Stefano, Puskas, Gento, ils étaient nuls ?
T : Mais chez eux, les gens, ils s’emmerdaient. On aurait revu chaque but de Di Stefano cinq fois, ça aurait quand même eu une autre gueule non ? Et en superloupe, je te dis pas, on aurait pu voir le bout de son lacet sur son extérieur du pied de la 73e minute. C’est une information, ça, non ?
F : Je me souviens pas de cet extérieur du pied là et moi je vais te dire, j’m’en fous. Les lacets, c’est juste dans le vestiaire avant le match. Faut faire gaffe avec, pour pas se mélanger les pinceaux pendant. Mais voir ça pendant le match, comme tu dis en superloupe, pour quoi faire ? J’aimerais mieux continuer à voir le match qui se joue là-dessous et que du coup plus personne ne voit… Et puis aussi, les spectatrices qui se griment pour passer (peut-être) deux secondes sur l’écran géant du stade, les supporters qui font coucou, les gamins accoutrés comme pour Halloween, je m’en contrefiche.
T : Oui oui, mon ami le foot, mais t’as entendu parler de la modernité, j’espère ? T’es en 2019 coco (je me permets, hein, on est potes…), faut te mettre à jour. Ce qui compte aujourd’hui c’est de tout voir. Bon d’accord, y a encore des trucs qui nous échappent, à nous télé, mais pas beaucoup. Le téléspectateur, que nous servons fidèlement, comme tu le sais (surtout quand les audiences sont bonnes évidemment…) il veut tout voir, c’est comme ça. C’est un peu comme si tu disais : la vidéosurveillance d’accord, mais à 58 %. T’imagines ?! Il resterait 42 % qu’on verrait pas… Qu’est-ce que tu dirais de ça ?
F : Je dirais que t’es une imbécile et encore je suis poli. C’est quoi cette histoire de vidéo-surveillance ? Qu’est-ce que ça a à voir avec moi ? T’es de la police, toi ?
T : Allez, cool… T’es pas obligé d’apprécier les nanas en gros plan, les mecs déguisés en Mexicains et les gosses qui grignotent sur l’épaule de leur papa. Mais enfin il faut bien les occuper, les gens, dans les stades, sinon ils feraient quoi ? On appelle ça de l’animation, de l’infotainment, figure-toi. Et sur les écrans géants on voit quand même drôlement mieux le match, y a pas photo. C’est le savoir-faire de la télé quoi, inégalable ! S’ils avaient pas d’écrans, ça les priverait vachement, les gens.
F : Non mais je rêve. Pourquoi y aller, alors, au stade ? Pour voir la télé ? Les spectateurs, avant les écrans géants, les ralentis, les superloupes et tous ces bidules, y faisaient quoi, à ton avis ? Ceux qui veulent voir absolument voir la télé, eh ben y z ont qu’à rester chez eux : y a des chips, des bières et des pizzas pas chères.
T : Arrête, tu sais bien ce que je veux dire. J’aurais pas été là, Zidane il finissait le match, à Berlin en 2006, malgré son coup de boule. T’approuves ?
F : OK d’accord, mais ce jour-là, la règle de la FIFA elle a étéviolée, y a pas de quoi être fier. La VAR, à l’époque, c’était interdit je te rappelle. Cette justice-là, c’est cher payé, je trouve. Mais ça t’empêche pas de dormir, visiblement.
T : Allez, bon, match nul !
F : Tu rigoles ou quoi ?
T : OK, un demi-point pour toi. Mais la VAR, quand même,c’est génial non ? Le ballon touche le bras d’un joueur qui saute et qui le voit même pas et pan, penalty ! Manchester United ils reviennent de loin. T’es pour la justice ou non ?
F : Là tu te fous carrément de ma gueule ! T’appelles ça la justice ? Y aurait pas eu la VAR, le PSG il serait passé. Bon,ils ont été nuls comme des cochons ce soir-là, mais c’est pas une raison.
T : T’es d’accord avec rien, quoi. T’es pas de ton époque, voilà ; faut te recycler coco (pardon, je retire coco…). Je vais te faire inviter par beIN ou RMC Sport, tu vas voir le travail qu’ils font, c’est juste dingue ! Là t’auras un flash, une sorte d’illumination.
F : Désolé, je fais pas dans le mysticisme. Les rentrées de touche filmées à hauteur de taille sans rien voir des démarquages, ça m’intéresse pas. Le sixième ralenti de la série après le but, qui m’empêche de voir la reprise du jeu, j’en veux pas. La superloupe qui me montre la motte de terre qui vole, j’m’en tape. Les people et le directeur des sports de la chaîne dans les tribunes (bonjour la lèche) je te les laisse. On dirait vraiment que vous, à la télé, vous comprenez rien au foot. Va falloir que tu leur expliques un jour, aux réalisateurs, ce que c’est que le jeu collectif ; ça devrait les intéresser,normalement.
T : Allez je te laisse, t’es vraiment trop vieux jeu, toi.
F : Peut-être vieux mais surtout jeu. Vive le jeu !
T (en aparté) : Il est complètement naze !
JIBLO