Aujourd’hui, l’Écosse fait partie des nations mineures du football mondial. Dans les années 70, elle était régulièrement présente dans les grandes compétitions internationales. Qualifiée pour le mondial argentin de 1978, forte d’une génération talentueuse, elle était même régulièrement cité parmi les outsiders. Un statut qui provoquera un espoir fou au pays de Sir Alex : voir la Tartan Army championne du monde avant même qu’elle ne foule le sol argentin.
« Je ne me suis pas senti aussi bien depuis le but d’Archie Gemmill contre la Hollande en 1978 ! ». La phrase est de Mark Renton, héros fictionnel de Trainspotting après avoir passé la nuit avec l’incandescente Diane. Si, dans le film de Danny Boyle, paru en 1996 la référence peut paraître anecdotique pour le reste du monde, elle revêt beaucoup d’importance pour les Écossais. Car oui, le but d’Archie Gemmill est certainement encore dans toute les mémoires écossaises.
Il faut dire qu’en cet été 1978, la Tartan Army, du nom de l’étoffe à carreau typique des kilts écossais, devait entrer dans les mémoires. Galvanisé par leur statut de seul représentant de la Grande-Bretagne, les Écossais abordent leur quatrième phase finale de Coupe du monde, après 1954, 1958 et 1972, en pleine confiance. Elle sort d’une coupe du monde 1974 où elle a acquis le statut de poil à gratter en accrochant le Brésil et la Yougoslavie, deux très sérieux clients. Elle rate le second tour à la différence de buts mais est désormais identifié comme une équipe solide.
Il faut dire qu’en cette fin des Seventies, le footballeur écossais à la côte sur le marché britannique. Lors de l’été 1977, Kenny Dalglish est devenu le footballeur britannique le plus cher de l’histoire en signant à Liverpool. Un record battu quelques mois plus tard par Gordon McQueen, lui aussi écossais, quand il signe à Manchester United. C’est simple, Nottingham Forest et Liverpool, premier et deuxième cette saison-là, ont leur colonie écossaise.
Les Reds viennent de gagner la Coupe d’Europe avec dans leurs rangs Kenny Dalglish, Graeme Souness et Alan Hansen. Le Nottingham Forest de Brian Clough, lui, vient de remporter le championnat et la League Cup avec dans son équipe Archie Gemmill, John McGovern, John Robertson et le défenseur central Kenny Burns, joueur de l’année 1978 en Angleterre. Dans cette Tartan Army à la cote grandissante, on dénombre trois véritables stars : Graeme Souness, Kenny Dalglish et Joe Jordan, qui évolue à Manchester United.
30 000 supporters pour leur départ en Argentine
Cette génération talentueuse est encadrée par Ally McLeod. L’homme qui se présente à sa première conférence de presse par un fracassant « je suis un gagnant né » a le profil d’un bâtisseur. Ancien joueur à la carrière honnête, il a emmené en quelques saisons le petit club de Ayr des divisions inférieures aux portes de l’Europe. Il rejoint Aberdeen en 1975 et remporte l’année suivante la League Cup face au Celtic. Mieux, son football offensif fait passer les affluences de 5000 à 20 000 personnes et fait de lui une valeur montante du football écossais. C’est donc tout logiquement, qu’en mai 1977, après avoir débarqué Willie Ormond et essuyé le refus de Jock Stein, coach du Celtic, la fédération se tourne vers lui. Plus meneur d’hommes que fin tacticien, l’ancien coach d’Aberdeen va alors transmettre son enthousiasme contagieux à ses joueurs.
Lors des qualifications, l’Écosse se trouve dans le groupe de la Tchécoslovaquie, championne d’Europe en titre, et du Pays de Galles. La Tartan Army marche sur ses adversaires et, avec deux victoires, se qualifie pour le mondial argentin. Une qualification en forme de revanche face à Angleterre, éliminée piteusement dès le premier tour. L’Écosse se retrouve parmi les seize équipes qui fouleront le sol argentin. McLeod, fidèle à son style, joue même les oracles.
« Vous pouvez marquer le 25 juin 1978 [jour de la finale de la Coupe du monde ndlr] comme le jour où le football écossais conquiert le monde. Car ce dimanche-là, je suis convaincu que la meilleure équipe que ce pays ait jamais produite peut jouer en finale de la Coupe du monde à Buenos-Aires et gagner ! » – Ally McLeod
En parallèle ils remportent le Home Championship 1976-1977, compétition annuelle qui les opposent à l’Angleterre, à l’Irlande, l’Irlande du Nord et au Pays de Galles. Une seconde victoire d’affilée de prestige émaillée d’une victoire face à l’Angleterre, à Wembley. Les Écossais ont fait le plein de confiance et McLeod est lui-même convaincu que son équipe peut revenir d’Argentine avec une médaille. Le Guardian lui-même estime que ce statut d’outsider de la Tartan Army n’est pas usurpé : « Il n’y a vraiment aucune raison pour qu’ils ne se distinguent pas en Amérique du Sud » analyse le quotidien britannique.
Dès lors, la machine médiatique s’emballe. McLeod joue dans une publicité pour une compagnie de tapis et l’équipe fait une pub pour Chrysler ; bref la Tartan Army est sur tous les écrans du Royaume-Uni. La Poste britannique va même jusqu’à préparer à l’avance un timbre représentant les Écossais grimés en champions du monde et ce, avant le début de la compétition. En point d’orgue c’est sur un tour d’honneur, retransmis en direct à la télévision, dans un Hampden Park garni de 30 000 spectateurs que les 22 Écossais sélectionnés quittent leur pays direction le mondial argentin avec le poids des espoirs d’une nation sur les épaules.
L’attente est énorme dans une Écosse où il ne faut également pas occulter la dimension nationaliste dont se pare cette qualification. À l’époque, le SNP – le parti nationaliste – est en tête des suffrages et la fierté écossaise est plus que jamais au goût du jour. L’écrivain Billy Kay résume cette fierté nationale en ces termes : « Nous étions une nation sans état. L’équipe nationale était l’un des rares motifs qui fédérait autour de notre identité nationale ».
Il faut aussi dire qu’en héritant au sein du groupe 4 de l’Iran, du Pérou et des Pays-Bas, l’Écosse peut légitimement espérer sortir des poules. McLeod, fort du soutien de cinq millions d’Écossais est tellement sûr de sa force qu’il ne prépare pas au préalable ses rencontres face au Pérou et à l’Iran en ne supervisant ni ne visionnant des images de ses adversaires.
Lapsus et douche froide péruvienne
Symbole de cette négligence, McLeod dans une interview télévisée insistera sur le duel entre Martin Buchan et le rapide Juan Carlos Oblitas. Problème, l’un est arrière gauche et l’autre est ailier gauche. Oblitas serait donc plutôt en duel avec l’arrière droit lors du match. Un lapsus révélateur du manque de préparation de la Tartan Army. Face au Pérou, cet excès de confiance va d’ailleurs se fracasser sur une réalité du terrain tout autre qui prendra les traits d’un certain Teofilo Cubillas.
Auteur de deux buts, le meneur de jeu de l’Allianz Lima va véritablement être l’homme du match. Si l’Écosse ouvre le score après un bon mouvement collectif, le Pérou va répondre par Cueto dans la foulée, sanctionnant d’une frappe sèche une défense écossaise dépassée par la vivacité des Péruviens. Lors du second acte, Don Masson, qui a l’occasion de refaire passer l’Écosse devant, rate un penalty. Puis, celui qui finira dans le onze-type du tournoi entre en scène. D’un missile des 20 mètres sous la barre puis d’un subtil extérieur sur un coup-franc à l’entrée de la surface, il assomme définitivement des Écossais dépassés par un adversaire qu’il connaissait mal. Dans une partie où ils n’ont jamais vraiment existé face à des Péruviens vainqueurs logiques, la responsabilité de la défaite semble incomber à Ally McLeod avec sa propension à ne pas préparer les matchs.
Dans les pubs de Glasgow c’est la douche froide. « Pour les fans écossais, la défaite face au Pérou représentait une humiliation parce que certains pensaient que nous pouvions gagner cette Coupe du monde et il y avait une ignorance sur le niveau du football péruvien » éclaire Chris McLaughlin , journaliste de BBC Scotland. Comme si cela ne suffisait pas, peu après le match, Willie Johnston est expulsé du mondial pour un contrôle antidopage positif.
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Lors du second match face à l’Iran, le camouflet est encore plus grand face à une équipe autrement moins talentueuse que le Pérou. Devant 8000 spectateurs, l’escouade de Kenny Dalglish fait un triste match nul et sort sous les sifflets de son propre public qui scande : « nous voulons récupérer notre argent ! ». Le Times dépeint cruellement McLeod comme « un cheerleader plutôt qu’un meneur d’équipe ». L’humiliation est totale. C’en est trop pour Chrysler qui retire son sponsoring en pleine Coupe du monde. Avec un pays et une presse contre eux, les Écossais doivent désormais battre les Pays-Bas de Johan Neeskens par trois buts d’écart s’ils veulent se qualifier.
Et Archie Gemmill stoppa le temps
Dans cette cuvée Oranje 78, c’est un absent qui monopolisait les observateurs : Johan Cruyff avait pris sa retraite internationale. Mais demeurait une équipe de joueurs expérimentés, finalistes du Mondial 1974, d’un tout autre calibre que celui des Highlands. Johan Neeskens, Rob Resenbrink, Johnny Rep, Rudi Krol, pour ne citer qu’eux, font partie de l’ossature de cette équipe. Pourtant, les Oranjes ont réalisé des performances étriquées dans ce premier tour du mondial. Vainqueurs difficiles de l’Iran et auteurs d’un nul face au Pérou, ils n’ont pas la maîtrise qu’ils ont laissé entrevoir en 1974.
Pourtant, au bout de cinq minutes de jeu, c’est bien l’Écosse qui fracasse la barre sur une tête de Rioch sur un centre de Soudness. Les Pays-Bas sanctionnent ce raté en ouvrant le score par Krol. Puis Kenny Dalglish égalise avant la mi-temps. Au début du second acte, Archie Gemmil transforme un penalty. Le milieu écossais n’a rien de l’idée que l’on se fait d’un artiste. Petit, trapu, dégarni, le joueur du Nottingham Forest de Brian Clough, fait pourtant parti de cette race. Un talent que ne laisse pas soupçonné cette manière peu élégante qu’il a de courir la tête dans les épaules. Mais Archie va vite. Trop vite ce jour là dans un stade de Mendoza comble.
À la 68ème minute, alors que les Hollandais poussent pour revenir au score, à l’aide de son pied gauche, il suspend le temps. Les adversaires s’écroulent au rythme d’un premier crochet, puis d’un second avant d’enchaîner par un grand pont puis de conclure par un plat du pied assassin. L’Écosse exulte et Archie Gemmill vient de rentrer dans les milliers de cœurs et de mémoires écossaises.
Surtout, plus que jamais, la Tartan Army croit désormais à l’exploit. L’euphorie dans laquelle sont plongés les joueurs et les supporters écossais durera six minutes. Johnny Rep enterrera les espoirs fous de la Tartan Army, d’un missile téléguidé des vingt-cinq mètres. La victoire de prestige demeurera anecdotique pour une équipe écossaise qui sortira de ce Mundial par la « petite porte » comme le titrera le Daily Record.
La victoire de prestige face à la Hollande, future finaliste, dissimule mal l’humiliation est intense d’une nation persuadée qu’elle pouvait être un outsider sérieux. Un constat d’autant plus vrai lorsque les Écossais assisteront à la déroute six buts à zéro des Péruviens face à l’Argentine de Mario Kempes. Partie sous les vivas de la foule, la Tartan Army fera face à des bagagistes en colère lors de leur atterrissage à l’aéroport de Glasgow. Au lendemain d’une ivresse joyeuse, la gueule de bois n’en fût que plus dure. Le ressentiment est fort au sein d’un peuple écossais qui a conscience qu’il a devant ses yeux une des meilleures générations de son histoire. Dans le documentaire de la BBC, Scotland 78 : a love story, un supporter résume le sentiment national en ces termes : « Ils nous ont laissé tomber. J’étais totalement en colère. Nous y sommes allés avec de grandes attentes et nous sommes devenus la risée ».
MacLeod fera face mais il ne coachera qu’une dernière fois l’Écosse avant de démissionner et de retourner à Ayr, là où tout avait commencé pour lui. Si le but de Archie Gemmill est encore célébré, McLeod demeurera le visage de cette débâcle qui laisse aux Écossais, aujourd’hui encore, la sensation d’un rêve brisé. Peut-être la vindicte populaire aura oublié trop vite le mérite d’un homme qui leur aura permis de rêver. Dans son autobiographie demeure cette question qui hantera McLeod pour le restant de sa vie : « avais-je augmenté trop haut le niveau d’optimisme national ? ».
La déception aura été à la hauteur des attentes, colossale. Doté de ce qui est certainement la meilleure génération de son histoire, l’Écosse avait les moyens de bien figurer à ce mondial argentin. Une confiance disproportionnée et une préparation insuffisante auront raison de ses ambitions. La victoire de prestige face à la Hollande, personnifiée par le but d’Archie Gemmill, masque mal une compétition aux allures de déroute. Pourtant ce rêve brisé au goût amer demeure aujourd’hui le plus haut fait d’arme d’une Ecosse qui peine aujourd’hui à susciter un tel engouement. Sa dernière participation à une compétition internationale remonte à la Coupe du monde 1998, clôturée par une dernière place en phase de groupe.
Sources
- TheseFootballTimes, Once Upon a time in Argentina : The story of Ally McLeod and hi Tartan Army
- The Guardian, World Cup stunning moments : Scotland’s 1978 rollercoaster
- BBC.com, Scotland’s fateful 1978 World Cup campaign still resonates – 40 years on
- The Blizard, My name si Ally McLeod and I am a winner
- The Scotsman, Euphoria to defeat : the untold story of Scotland’s 1978 World Cup
- El Comercio, Seleccion peruana : las secuelas que dejo en Escocia el triunfo en el Mundial 1978
- Les Cahiers du Football, Gemmill 1978, Point G de l’Écosse
- Daily Mail, Stamps designed optimistically to celebrate a Scotland win at 1978 world cup – which never happened – to be part of new museum archive