Au cours de sa longue histoire, le football italien a connu divers scandales qui ont requis l’intervention de la justice civile et sportive. Ce furent surtout deux épisodes impliquant les équipes les plus titrées du championnat italien, ainsi que leurs dirigeants, qui changèrent l’histoire du football transalpin : le Totonero en 1980 et le Calciopoli en 2006.
Il Totonero, premier scandale extra-sportif italien
23 mars 1980, 24e journée du championnat italien saison 1979-1980. Scène insolite : une voiture de police débarque sur la piste d’athlétisme de l’Olimpico à la fin du match Roma-Perugia. Même scène sur d’autres pelouses de Série A. 12 joueurs et un président sont arrêtés en direct à la télévision, et tout autant sont invités à comparaitre devant la justice, parmi lesquels des présidents et dirigeants de clubs de Serie A et B. C’est l’éclatement au grand jour du premier grand scandale de calcioscomesse du football italien : Il Totonero.
Ce terme est utilisé pour désigner la pratique non-autorisée de parier sur le sport, en particulier sur les matchs de football. Bien que le football italien ait déjà connu des cas isolés de paris illégaux, Totonero est considéré comme le premier grand scandale de matchs truqués de l’histoire, en partie à cause du grand nombre de clubs et joueurs impliqués, mais surtout pour la grande diffusion médiatique, notamment dans la presse italienne. La pression médiatique et la forte opinion publique sur ce sujet forceront d’ailleurs Artemio Franchi, alors président de l’UEFA, à démissionner de son rôle de président à la fédération italienne de football (FIGC).
Au cœur du scandale, deux hommes : Alvaro Trinca, un restaurateur romain et son ami Massimo Cruciani, qui s’occupaient de faire le lien entre le monde des paris illégaux et les joueurs, dont certains venaient d’ailleurs souvent manger à son restaurant. Les footballeurs s’accordent avec des joueurs d’autres équipes pour arranger un match donné. Cruciani parie, pour lui et les joueurs impliqués, de grosses sommes d’argent au Totonero et, au final, se répartissent les gains : facile !
Mais, tout ne se déroule pas comme prévu, le football bénéficiant de la glorieuse incertitude du sport. Cruciani et Trina plongent de plus en plus dans les dettes envers les bookmakers clandestins. Alors que des milliards de lires sont en jeux – 1 milliard de lire équivalant à environ 500 000 Euros – un match ne se déroule pas comme prévu, un Milan – Lazio de janvier 1980. Beaucoup de ratés qui font perdre des milliards de lire aux deux hommes, qui décident de dénoncer leur marché au procureur de la République de Rome et donnent ainsi les noms des joueurs et des clubs impliqués dans l’affaire.
Cependant, le manque de loi sur les paris sportifs en Italie empêche la justice civile de sanctionner les accusés. A ce trou légal s’ajoute la difficulté de démontrer l’escroquerie et le rôle joué par Cruciani et Trinca, qui rendent toute sanction impossible pour les joueurs et dirigeants, pourtant incarcérés quelques jours à la prison de Regina Coeli à Rome. Les joueurs impliqués sont donc acquittés par la justice civile. En revanche, la justice sportive n’y manquera pas : le Milan et la Lazio sont relégués en Série B, Bologne, Vicence et Pérouse sont pénalisé de 5 points, le président du Milan, Felice Colombo, est radiée de toute activité sportive, quant aux joueurs impliqués, ils écopent de suspensions allant de 2 mois à 6 ans.
Le grand perdant, a priori, de ce scandale est Paolo Rossi, alors grand espoir du football italien et joueur de Pérouse. Il est accusé, lors de la rencontre Avellino-Pérouse de s’être partagé 8 millions de lire – environ 5 000 Euros – avec trois coéquipiers. Les témoignages divergent : les uns disent que l’attaquant italien a accepté l’argent pour arranger un match nul, d’autres le déchargent, disant qu’il aurait refusé l’argent car on lui demandait de marquer deux buts. Cependant, les deux témoignages se rejoignent a posteriori : le match se termine sur un match nul 2-2, doublé de Paolo Rossi pour Pérouse.
Initialement suspendu trois ans par la FIGC, il sera sanctionné d’un mois supplémentaire après avoir qualifié de buffonata cette histoire en direct à la télévision italienne. Suite à la décision, il menace de quitter le championnat italien, mais sa condamnation par le tribunal civil pour «activités illicites liés aux paris clandestins du football» le prive de son passeport. Il ne purgera finalement que deux ans de suspension et reviendra a la compétition en avril 1982, 25 mois après son dernier match, et à un peu moins de 2 mois de la Coupe du Monde en Espagne. Alors que ni la presse ni les tifosi ne souhaitaient sa sélection, Enzo Bearzot, sélectionneur de la Squadra ne l’a, lui, jamais laissé tomber et le convoque, contre l’opinion publique, pour le Mondial espagnol avec la réussite qu’on lui connaît.
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Le premier scandale de calcioscomesse aura donc eu, paradoxalement, un effet positif sur la Squadra, pourtant au cœur d’un marasme médiatique et juridique de plus de 2 ans. Alors que le titre mondial et la fête auront permis aux tifosi de pardonner et d’oublier, il n’auront malheureusement pas permis au football italien d’apprendre de ses erreurs, comme en témoigne le Calciopoli, qui arrivera une vingtaine d’année plus tard.
Il Calciopoli, entre corruption, acquittements et prescription
En mai 2006, peu avant la Coupe du Monde en Allemagne, la presse italienne provoque un tremblement de terre en Italie. La Gazzetta dello Sport et Il Corriere della Sera publient les comptes rendus d’écoutes téléphoniques datant de 2004 entre Luciano Moggi, directeur général de la Juventus, et Pierluigi Pairetto, ancien arbitre chargé par la fédération italienne de football de désigner les arbitres pour les rencontres de championnat.
Alors que, dans un premier temps, ces écoutes – ordonnées par la justice deux ans auparavant – ne permettaient pas d’établir une corruption avérée ou d’achat de match, comme en témoigne la décision du parquet de Turin de classer l’affaire en septembre 2005, la parution dans la presse révolte l’opinion publique. La commission disciplinaire du football italien se saisit du dossier et, à la suite d’un procès bâclé, détermine l’implication de plusieurs clubs et dirigeants de Serie A et les sanctionne : la Juventus se voit déchue de ses titres pour les saisons 2004-2005 et 2005-2006, et est reléguée en Série B avec 30 points de pénalités, la Fiorentina et la Lazio sont relégués avec respectivement 12 et 7 points de pénalités et l’AC Milan reste en Série A, mais avec 15 points de pénalité. Le Scudetto 2004-2005 est laissé vacant, celui de 2005-2006 est attribué à l’Inter. Après appel des différents clubs, les sanctions sont revues à la baisse et la Juventus est finalement le seul club relégué en Série B.
Classement Serie A 2005-2006 :
Classement initial | Après sanctions | |
Juventus | 1er – 91 points – LDC | Déclassée – / |
Milan | 2e – 88 points – LDC | 3e – 58 points – Q. LDC |
Inter | 3e – 76 points – Q. LDC | 1e – 76 points (*) – LDC |
Fiorentina | 4e – 74 points – Q. LDC | 9e – 44 points – / |
Lazio | 6e – 62 points – UEFA | 16e – 32 points – / |
Reggina | 15e – 41 points | 13e – 41 points |
*titre assigné à l’Inter
Sanctions pour la saison 2006 – 2007 :
Jugement initial | Après appel | |
Juventus | Relégation en Serie B et 30 pts de pénalité | Relégation en Série B et 9 pts de pénalité |
Milan | 15 pts de pénalité en Serie A | 8 pts de pénalité en Serie A |
Inter | / | / |
Fiorentina | Relégation en Serie B et 12 pts de pénalité | Maintient en Serie A et 15 pts de pénalité |
Lazio | Relégation en Serie B et 7 pts de pénalité | Maintient en Serie A et 3 pts de pénalité |
Reggina | Maintient en Serie A et 15 pts de pénalité | Maintient en Serie A et 11 pts de pénalité |
A noter : la Juventus sera promue en Serie A la saison suivante – en compagnie de Gênes et de Naples – alors que l’AC Milan gagnera la Ligue des Champions contre Liverpool.
Seul problème à l’horizon : la pertinence des accusations. En effet, aucun règlement n’interdit les appels entre dirigeants et les représentants des arbitres : ils étaient même encouragés par la Fédération. C’est sur ces bases que Luciano Moggi va baser son appel. Après avoir récupéré et analysé les plus de 180 000 écoutes téléphoniques et s’être entouré d’avocat, il monte un dossier béton, durant deux ans, prouvant que la Juventus n’avait pas l’exclusivité sur ces appels et que de nombreuses écoutes avaient été écartées du premier jugement, qui modifiaient donc grandement le contexte et les possibles accusations.
Un des arguments principaux de Moggi relève de la supposée implication de Paolo Bergamo et Pierluigi Pairetto, les deux représentants des arbitres impliquées et jugés complices de Moggi pour les championnats 2004-2005 et 2005-2006, alors que ceux-ci ont arrêté leurs activités à la fin de la saison 2004-2005. Autre argument évoqué par la Juventus : durant la saison 2004-2005, le club marquait 1.89 points de moyenne avec les arbitres inculpés contre 2.63 avec les autres (Pauluzzi V, 2015). Le procès sportif débute en novembre 2008 et dure plus de 7 ans.
En novembre 2010, le procès en première instance conclut que : « la saison 2004-2005 est régulière » et « n’a jamais été altérée en faveur d’une équipe » et la Juventus est acquittée. Pourtant, ce titre ne lui sera pas réattribué et le titre de champion laissé vacant. Quelques mois plus tard, le 7 juillet 2011, alors que notamment l’Inter et l’AC Milan risquaient très gros si l’on se référaient aux sanctions octroyées en 2006, Stefano Palazzi, procureur de la justice sportive, jugea bon de formuler ses accusations le lendemain de la date officielle de prescription. Il n’y aura donc pas de nouveau procès, la Juventus se sent donc logiquement lésée.
En 2015, plus de 7 ans après son commencement et après que 13 des 20 accusés et 7 arbitres soient acquittés, le procès se conclut. Pour ce qui est de la demande de révocation du titre 2006 attribué à l’Inter, la justice sportive s’est jugée incompétente… et le club piémontais ne sera pas dédommagé pour sa relégation en Série B.
Alors que la Juventus a été légalement acquittée, Luciano Moggi est lui, malgré ses nombreux appels, toujours banni de toute activité footballistique, tandis que, aujourd’hui encore, des personnages comme Claudio Lotito – président de la Lazio depuis 2004, copropriétaire de la Salernitana depuis 2011 ainsi que membre du conseil fédéral de la Lega Nazionale Professionisti Serie A – officiellement impliqué dans le scandale, se trouve encore au sommet de la pyramide du football italien. L’histoire de tous les procès et appels concernant l’affaire mériterait un long article les concernant tant ils sont nombreux et riches, encore aujourd’hui. En 2015, Andrea Agnelli, président de la Juventus, déclarait : « Nos avocats travaillent pour faire remonter la vérité à la surface, la Juventus ne demande pas le retour du Scudetto du Calciopoli. Ils demandent seulement qu’il soit retiré de l’Inter, qui ne le méritent pas » (Marchese D, 2019) mais rien ne change alors que Franco Carraro, président de la FIGC de l’époque, déclare lui-même : « L’attribution du Scudetto à l’Inter fut une erreur » (2020).
Au cœur de ce tourment médiatique, et comme en 1982, la Squadra vaincra lors du Mondial 2006 en Allemagne. Autre point commun avec 1982 : nombre de politiciens, journalistes et spectateurs en arriveront à tifare contre l’équipe nationale – jusqu’à la finale, évidemment. Cependant, cette quatrième étoile n’aura pour effet qu’un apaisement passager du marasme politique et médiatique entourant le football italien. Cette affaire aura de nombreuses conséquences sportives pour les clubs et sociétés sous enquêtes, particulièrement la première relégation de la Juventus en Serie B ainsi que les pénalisations pour diverses équipes de Serie A et l’excusions d’arbitres et dirigeants. C’est probablement le scandale du Calciopoli qui causera la chute progressive du grand championnat italien, championnat dominant l’Europe à l’époque, ainsi que la mauvaise image rattachée à certain de ces clubs.
Sources :
- Pauluzzi Valentin, « Pourquoi la Juventus considère avoir gagné 33 titres et non 31 ». Eurosport, 2015.
- Marchese Domenico, « Calciopolo, la Juventus presenta l’ennesimo ricorso per lo Scudetto 2006 ». La Repubblica, 2019.
- Mancini Stefano, « Quando il calcio finì in carcere », La Stampa, 2000.
- Notarianni Roberto, « 23 mars 1980 : onze joueurs arrêtés », France Football, 2015.
- Brera Gianni, « 23 marzo 1980 : il giorno che il pallone andò in galera… », Storie di Calcio, 2015.
- Lucarelli Cristiano, « Lo scandalo italiano di Calciopoli », cristianolucarelli.it, 2020.
Crédit photo: Icon Sport