Point final. Diego Armando Maradona a dicté les dernières lignes de son histoire romanesque le 25 novembre 2020. Souvent décrit comme un mythe, un être déifié, mi-ange mi-démon. A croire que le commun des mortels ne peut concevoir qu’un simple Homme puisse avoir une destinée aussi incroyable que la sienne. Comme si elle avait été écrite à l’avance. L’Equipe disait que Cruyff était le jeu. Maradona était alors le football. Et seule une personne profondément humaine peut être le visage d’un jeu qui rassemble des milliards d’individus à travers le monde.
Un footballeur humain…
Si yo fuera Maradona…
Si j’étais Maradona…
Dans La Vida Tombola, Manu Chao chante ce qu’il aurait fait s’il avait été Maradona. Mais tous, nous avons dans notre cœur un peu de Maradona. La passion, les excès, l’altruisme, les contradictions… Maradona personnifie mieux que n’importe qui le football car il est le miroir parfait de tout ce que peut ressentir un supporter.
Que ce soit dans les chaudes rues d’Abidjan, dans la froideur de l’industrie de Manchester ou encore dans la ferveur des tribunes de la Bombonera : tous les passionnés ressentent les mêmes émotions, indépendamment des différences culturelles et de la distance qui les séparent. La Pelusa (la peluche, surnom de Maradona quand il était enfant) était le meilleur représentant de ces sentiments.
La rage. « Fils de p*** » disait Maradona quand l’hymne argentin était sifflé par le public italien à l’occasion de la finale de la Coupe du monde 1990. La tristesse. « Ils m’ont coupé les jambes » après avoir été suspendu du mondial 1994 pour dopage. Le bonheur. « C’est la plus grande fête de ma vie » après avoir permis au Napoli d’arracher son premier titre de champion d’Italie en 1987. Mais surtout, l’amour du jeu. « Il n’y a pas de sport plus beau et plus sain que le football » le soir de son jubilé, devant le public de Boca Juniors.
Le don de soi, la lutte des classes, les rivalités, le partage… Impossible de résumer à l’écrit tous les éléments liés au football. Des sentiments bien souvent irrationnels qui poussent le plus introverti des supporters à frapper son mur de colère quand son équipe favorite perd. Mais malgré toutes ses contradictions, Maradona parvient à les rassembler dans son seul être. Durant tout son parcours, vous avez dans votre esprit des images de lui. Que ce soit son sourire, ses larmes, sa détermination, sa fougue.
Messi est-il meilleur ? Pelé était-il meilleur ? Cruyff était-il meilleur ? D’incroyables personnages ont fait vibrer les foules grâce à leur talent exceptionnel. La différence, c’est qu’El Pibe de Oro (le gamin en or) est le seul à avoir fait tomber totalement le masque cachant ses sentiments. Il partageait sa sensibilité avec tous et nul ne pourra nier que le football est avant tout une question d’émotions.
Maradona était un footballeur profondément humain. A moins d’avoir une mauvaise foi à toute épreuve, il y a forcément un passage de l’histoire d’El Diez qui touchera votre cœur. Que ce soit celui du gamin des bidonvilles, celui du Mondial 1986, celui de la passion napolitaine ou encore celui du drogué repenti… Le roman « Maradona » est un mille-feuille de sensation et d’exaltation. Aucun individu ne personnifie mieux le football que lui, par son humanité. Pourtant…
…au destin troublant.
Malgré cela, impossible de ne pas être troublé par son parcours. Plusieurs événements ont transcendé son image et lui ont permis de dépasser le cadre du football, que ce soit en Argentine ou dans le monde entier.
Tout d’abord, il y a l’histoire globale. Qu’un gamin des bidonvilles, un enfant du potrero (terrain vague qui a formé de nombreuses légendes argentines), devienne le plus grand joueur de tous les temps est presque trop beau pour être vrai. Trop représentatif de ce qu’est l’âme de ce sport, accessible à tous sans distinction. Une boule de papier étant largement suffisante pour s’improviser footballeur.
Ensuite, il y a les événements ponctuels. Il est presque inutile de raconter ce qu’il s’est passé contre l’Angleterre lors de la Coupe du monde 1986, les images tournent en boucle dans tous les médias depuis la dramatique annonce de son décès. Les deux actions footballistiques les plus marquantes du XXème siècle, la main de Dieu et le but du siècle ont été réalisées à cinq minutes d’intervalle. Cinq minutes pendant lesquelles Maradona a vengé tout le peuple argentin de la cicatrice laissée par la guerre des Malouines opposant ces deux nations. Quelle était la probabilité que ces deux buts soient inscrits contre la patrie de Margaret Thatcher ?
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Il a aussi représenté fièrement le peuple napolitain et redonner de la fierté à cette ville du Sud de l’Italie. Il a vaincu à lui seul , ou presque, les clubs indétrônables du Nord. Il était le roi du Stadio San Paolo, ou plutôt Stadio Diego Armando Maradona depuis hier. Mais en 1990, son stade devient le théâtre d’un spectacle sans précédant. L’Argentine affronte l’Italie en demi-finale de la Coupe du Monde dans cette arène qui porte aujourd’hui son nom. Le peuple napolitain est divisé, doit-il soutenir sa patrie ou son génie ? Un dilemme sans véritable réponse… Quelle était la probabilité que cet événement ait lieu ?
Après avoir brillé lors de deux Coupes du monde consécutives, celle de 1994 sera celle de sa première mort. Mentionné plus haut, il a déclaré qu’ils lui ont coupé les jambes cet été-là. Couper les jambes d’un footballeur équivaut à couper la tête de n’importe quelle autre personne. Pourtant, la compétition avait commencé de la plus belle des façons. Tout le monde se souvient de son but contre la Grèce et de sa célébration rageuse devant la caméra, comme s’il voulait montrer à tous qu’il était encore le plus grand joueur du monde. Sauf qu’à la fin du match suivant, contre le Nigeria, Maradona est raccompagné par une infirmière hors du terrain pour effectuer un contrôle anti-dopage. Contrôle qui sera positif. La croix verte sur la blouse de l’infirmière dont il tient la main ressemble à la croix sur laquelle Diego sera crucifié. Étrange symbole, comme si tous ses excès avaient fini par le rattraper et mettre fin à la plus belle partie de sa légende. Encore une fois, la probabilité de voir une telle image était faible.
La liste des grands moments en lien avec Maradona est encore longue, mais ces trois-là sont sans doute les plus intrigants de sa carrière. Tous ces événements improbables interrogent, comment une simple personne a pu tous les vivre ? Comment une simple personne a pu se retrouver dans de telles situations alors que le hasard du tirage au sort était de mise contre l’Angleterre et l’Italie par exemple ? Ces questions peuvent renforcer le rapport mystique à Diego, à qui une religion est dédiée. Peut-être que Maradona n’est pas Dieu, mais une chose est sûre…
Maradona est le football.