Des derby, la ville de Londres en compte beaucoup. Arsenal, Tottenham, Chelsea, Fulham pour ne citer qu’elles, font parties des plus célèbres équipes de la ville. Pour Crystal Palace, l’ennemi juré ne se trouve pas à Londres, mais à 70 km plus au sud, du côté de Brighton. Une rivalité plus qu’un derby, mais un match à part pour les deux équipes.
Il y a des matchs qu’il ne faut pas manquer. A Crystal Palace, dans le quartier de Croydon, ou dans la ville portuaire de Brighton, à la sortie du calendrier, les yeux sont rivés sur deux dates : celle des affrontements entre les deux équipes. C’est tout ce qui fait le charme d’une rivalité qui n’a rien d’ordinaire. Le football déchaîne les passions et certains matchs prennent une envergure hors du commun. Le premier affrontement entre Eagles et Seagulls remonte à 1906. Mais il faut attendre la deuxième partie du XXe siècle pour que cette rencontre prenne de l’ampleur et devienne l’une des plus grosses rivalités d’Angleterre.
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Une rivalité d’abord géographique
Comment naît une rivalité ? Avant qu’elle ne devienne sportive, une rivalité peut s’avérer sociologique, politique… Dans le cas de Crystal Palace et Brighton, elle est d’abord géographique. Les supporters de Brighton cherchent le club le plus proche. Bien des petits clubs existent dans les alentours, mais aucun club professionnel à l’époque. Il faut alors remonter jusqu’à Crystal Palace pour trouver la cible. Et autre argument de taille permettant la naissance d’une rivalité entre les deux, la quartier de Croydon et Brighton sont tous les deux situés sur la ligne de chemin de fer reliant la ville balnéaire à Londres. Il est alors facile pour les fans de se rendre chez ce voisin éloigné mais pourtant si proche.
Proche, ils le sont de par leur culture. Deux clubs familiaux, ancrés dans la vie des supporters qui nouent avec leur équipes une relation particulière. 70 km, une ligne de chemin de fer qui deviendra ensuite une autoroute, et des idées similaires concernant la valeur du football. Si les médias ont tendance à parler du derby de l’autoroute M23, ce surnom est beaucoup trop réducteur et les fans des deux équipes ne l’appellent pas ainsi. A vrai dire, ce match n’a pas de nom en particulier, mais il est pourtant unique. Comment de tels clubs ont-ils pu alors se détester ? La réponse tient à deux noms : Terry Venables et Alan Mullery.
Deux coachs et un match pour l’histoire
Ce n’est pas en Premier League que les deux clubs vont entamer leur profonde rivalité. Au milieu des années 1970, Crystal Palace et Brighton ne se sont plus affrontés pendant une dizaine d’années, plusieurs divisions séparant les deux équipes. Jusqu’à des retrouvailles… en troisième division. Deux hommes vont marquer à jamais cette rivalité. Terry Venables est alors entraîneur de Palace, Alan Mullery est côté Brighton. Ces deux ex-joueurs se connaissent bien pour avoir évolué ensemble à Tottenham. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont les meilleurs amis du monde. Il est difficile d’expliquer la rivalité entre les deux. Dans un entretien au Guardian, Mullery avance : “Je crois que c’est probablement parce que j’ai hérité du brassard de capitaine avant lui”. Quoi qu’il en soit, les désormais entraîneurs se retrouvent au cœur d’un match qui va marquer à jamais le duel enflammé entre les deux clubs. Le 6 décembre 1976, Palace et Brighton se retrouvent en FA Cup en match d’appui, après deux matchs nuls. Le match est d’abord reporté deux fois à cause des conditions climatiques anglaises.
C’est à Stamford Bridge que le match finit par se dérouler. Palace mène 1-0 jusqu’à dix minutes de la fin. Mais l’arbitre de la rencontre, Ron Challis, siffle un penalty pour Brighton. Il est transformé mais l’arbitre décide de le faire retirer. Une décision qui provoque la colère d’Alan Mullery, d’autant que le second pénalty fut arrêté par Paul Hammond. Un arrêt qui changea l’histoire. Fou de rage, Alan Mullery s’énerve envers l’arbitre de la rencontre. En rentrant au vestiaire, il reçoit des projectiles. Les versions diffèrent, certains parlent de gobelets de café chaud, Mullery évoque lui des crachats. Il répond par deux doigts d’honneur. Le folklore évoque un geste, celui de jeter le peu de monnaie qu’il possédait sur lui en criant que le club de Palace ne valait pas mieux que ça. Dans une autre version de l’intéressé lui-même, ce geste se réfère plutôt à des mots en conférence de presse. Mais le mal est fait et la rivalité prend forme. D’autant plus qu’en 1982, Alan Mullery devient l’entraîneur de Crystal Palace. Et il vit un enfer. Injures, lettres anonymes, attaques physiques… Les supporters des Eagles font vivre l’horreur à leur coach, qui ne glane pas mieux qu’une quinzième place de deuxième division.
Une rivalité à base de penalty
1976 marque donc un tournant dans l’histoire de ces deux clubs. Et encore plus pour Brighton, qui adopte définitivement son surnom de Seagulls, mouettes en version française. Une certaine logique pour un club situé en bord de mer et dont l’ennemi juré est représenté par un aigle. La mouette fait ensuite son apparition sur le logo du club et y est toujours présente aujourd’hui. Les histoires autour des affrontements entre ces deux clubs sont désormais nombreuses et toutes plus mythiques les unes que les autres. Elles démontrent surtout la véritable guerre que se livrent les partisans de chaque côté. Les deux clubs naviguent entre les divisions, mais pas toujours en même temps. Les retrouvailles, peu importe l’échelon, sont alors particulièrement tendues et précieuses. D’autant plus que les rencontres sont souvent programmées pendant les vacances de Noël ou de Pâques, ce qui facilite les déplacements de grands nombres de fans. Certains se rappellent de briques jetées sur des groupes pourtant escortés par la police, de mur en acier pour séparer les supporters ou encore de nombreuses bagarres dans les gares des villes. Ou quand l’origine de l’histoire refait surface.
Sur le côté sportif, certains affrontements restent dans les mémoires collectives, et même dans les livres des records. Le lundi de Pâques 1989 est une date à part. Là encore, ceci est dû à un arbitre : Kelvin Morton. Les deux clubs luttent pour un objectif différent : Palace vise la promotion en première division tandis que Brighton tente de se maintenir. Ian Wright ouvre le score pour les Eagles d’un but qu’il qualifie de plus beau but de sa carrière, une reprise de volée qui vient se loger dans la lucarne. Son compère en attaque, Mark Bright, double la mise sur penalty. Trois minutes plus tard, Palace obtient un nouveau pénalty que Bright rate. Sur le corner qui suit, l’attaquant obtient de nouveau un penalty. C’est Ian Wright qui s’en charge mais il frappe le poteau. En l’espace de cinq minutes, trois penalty ont été sifflés en faveur des Eagles pour une seule réussite. De quoi envenimer la situation et laisser Brighton, bien que réduit à dix, dans le match. A peine dix minutes en seconde période que Brighton obtient… un penalty. Les mouches ont-elles changé d’oiseau ? Les Seagulls réduisent l’écart mais un nouveau penalty va être sifflé en faveur de Palace. Le défenseur Ian Chapman envoie sa tentative largement au-dessus du but. Cinq pénalty pour seulement deux réussites, et une victoire finale pour Crystal Palace, qui monte en première division à la fin de la saison tandis que Brighton parvient à se maintenir.
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Un match qui perdure dans l’histoire
Si ces histoires remontent à plus de 30 ans, la dernière rencontre culte entre les deux clubs est bien plus récente. En 2013, Eagles et Seagulls sont à la lutte pour une montée en Premier League. Et quoi de mieux qu’un affrontement en demi-finale des play-offs pour continuer le mythe. A l’aller, les deux équipes se neutralisent sur la pelouse du Selhurst Park de Palace. Un score nul et vierge qui promet un match retour démentiel. Et il commence dès l’arrivée des visiteurs à l’Amex Stadium. Un dépôt peu ragoûtant les attend sur le sol de leur vestiaire. Ian Holloway, le coach de l’époque, avait pour habitude d’arriver en dernier dans le vestiaire. Mais ce jour-là, il décide de faire l’inverse. C’est donc lui qui va découvrir l’horreur répandue sur le sol. Ce qui devient l’histoire du poo-gate. Il menace le président de Brighton de faire venir les caméras de Sky Sports si tout n’est pas nettoyé avant l’arrivée des joueurs. Une provocation qui aura eu pour cause de transcender les Eagles, et notamment Wilfried Zaha. Il promet à son coach de ramener la victoire. Et pour se faire, l’attaquant Ivoirien réalise un grand match en inscrivant un doublé. Une performance individuelle exceptionnelle qui permet aux siens d’accéder en finale face à Watford. Une finale gagnée et une Premier League retrouvée.
Depuis 2017, Eagles et Seagulls se retrouvent chaque année en Premier League. Cela semble mieux parti pour durer, pour le plus grand plaisir des fans. Rien ne prédisait une telle rivalité entre ces deux clubs distants de plus de 70 km. Mais un chemin de fer, une autoroute, deux coachs, deux arbitres ou encore des play-offs devenus mythiques n’ont fait qu’augmenter la tension autour de ces rencontres. De plus, les supporters de Palace ont un statut d’ultras unique en Angleterre. Et comme le dit un de ses membres, “tout le monde a besoin d’avoir quelqu’un à détester”. Une rivalité de haut vol.
Sources :
- Julien Duez, « Palace-Brighton, la rivalité méconnue », SoFoot
- « Crystal Palace-Brighton : l’improbable rivalité de l’autoroute M23 », RMC Sport
- Hayley Cooper, « Le doublé de Zaha, 1989 et le “Poogate” : les dessous de la rivalité Brighton – Crystal Palace », LeSport24
- Sam Cunningham, « How former Brighton boss Alan Mullery sparked the top flight’s most bizarre rivalry: ‘I gave them two fingers and said I wouldn’t pay £5 for any Crystal Palace player' », Daily Mail
- « Back in the Day: December 6th – Palace vs Brighton 1976: The Rivalry Begins« , RednBlueArmy
- Richard Foster, « When Brighton played Palace and the referee gave five penalties in 27 minutes », The Guardian
- Reuben Pinder, « Ian Holloway explains the truth behind ‘Poo-gate' », Joe
- Joffrey Pointlane, « PREMIER LEAGUE – CRYSTAL PALACE : HOMESDALE FANATICS, C’EST ULTRA ! », Eurosport
Crédits photos : Icon Sport