Les appels au boycott de la Coupe du monde 2022 n’ont pas abouti. Les multiples scandales n’ont pas empêché la tenue d’un Mondial très controversé au Qatar. Pourtant, la compétition a une longue histoire avec le boycott. Du Mondial en 1930 à l’édition 1978 en Argentine, retour sur une série de boycotts aux messages sportifs et politiques.
LIRE AUSSI : 1930, la première Coupe du Monde de l’histoire
Les nations européennes se font rares. Pour la première édition en 1930, le long voyage vers l’Uruguay décourage de nombreuses fédérations, au grand dam du pays hôte. Les Uruguayens, doubles champions olympiques en titre, n’ont plus rien à prouver. Pourtant, le peu d’enthousiasme des Européens désespère les organisateurs et la FIFA qui craignent de devoir se passer des meilleures sélections du vieux Continent. Finalement, quatre pays vont faire le déplacement (France, Roumanie, Belgique, Yougoslavie) en bateau. Quatre ans plus tard, en Italie, l’Europe est, cette fois-ci, au rendez-vous. Un engouement qui déplaît au tenant du titre, l’Uruguay. Pour protester contre la non-venue de la plupart des sélections européennes chez eux, les Uruguayens décident de rester à Montevideo et de boycotter la compétition. C’est la seule fois qu’un champion du monde ne défend pas son titre.
Bis repetita en 1938. La Coupe du monde dans l’Hexagone accueille de nouvelles nations, comme Cuba ou l’Indonésie. L’Amérique du Sud ne compte qu’un seul représentant avec le Brésil. Un camouflet pour l’une des confédérations les plus puissantes du football mondial. Piqués dans leur ego, les Argentins pensaient que l’organisation de ce Mondial allait leur revenir, arguant que la Coupe du monde devait alterner entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Résultat : l’Argentine ne se rend pas en France, tout comme l’Uruguay qui réitère sa colère vis-à-vis des sélections européennes.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Coupe du monde reprend. En 1950, la FIFA a du mal à motiver les troupes pour rejoindre le Brésil. Seize nations sont initialement prévues, mais seulement treize feront le déplacement. Les défections vont s’enchaîner en pleine guerre froide. Derrière le rideau de fer, l’Union Soviétique, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, tous deux finalistes en 1934 et 1938, boycottent le tournoi. Sur le continent asiatique, l’Inde obtient l’unique billet pour la zone Asie. Bénéficiant du retrait de la Birmanie, des Philippines et de l’Indonésie, les Indiens ont l’occasion de participer à leur première Coupe du monde. Mais les dirigeants de la fédération vont refuser d’envoyer leurs joueurs. Un regret pour l’ancien capitaine, Sailen Manna, qui explique à Sport Illustrated que l’équipe n’avait jamais écho de l’importance de ce tournoi. « Si nous avions été mieux informés, nous aurions pris l’initiative nous-mêmes, regrette-t-il. Pour nous, les Jeux olympiques étaient tout. Il n’y avait rien de plus grand ».
Le conflit palestinien s’invite à la table
En Europe, une autre nation va refuser de faire le voyage en Amérique du Sud. Invités par la FIFA, les pays du Royaume-Uni avaient jusqu’alors refuser de prendre part à la compétition. La position isolationniste des sélections d’outre-Manche va évoluer en 1950. Le traditionnel British Home Championship oppose, chaque année, le Pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande et l’Angleterre. L’instance internationale propose aux Britanniques deux places pour le Mondial. Mais la Tartan Army va poser une condition pour partir au Brésil. S’ils ne finissent pas champions du tournoi, ils n’iront pas au Mondial. L’engagement pris par l’Écosse va s’avérer infructueux. Défaits, 1-0, dans l’ultime match à Hampden Park, les Écossais peuvent techniquement rejoindre les Anglais au Mondial. Les deux nations terminent, respectivement, à la deuxième et première place du classement. Les joueurs de la Tartan Army mettent la pression sur leurs dirigeants pour qu’ils reviennent sur leur décision, mais ça ne fonctionne pas. « Le secrétaire de la Scottish Football Association, George Graham, a affirmé que l’Écosse avait donné sa parole et qu’elle ne reviendrait pas dessus », explique la BBC.
LIRE AUSSI : Just Fontaine, buteur de record lors de la Coupe du monde 1958
Un boycott plus politique va prendre forme à partir de 1958. La FIFA accorde une place pour l’Asie et l’Afrique. Les qualifications dans ces deux zones vont donner lieu à des tensions diplomatiques sans précédent. Le titrage au sort oppose la Turquie à Israël pour un match aller-retour du premier tour. Mais les Turcs vont refuser de jouer, prétextant la volonté de jouer en zone Europe. Automatiquement qualifiés, les Israéliens se retrouvent contre l’Égypte, le Soudan et l’Indonésie. Pourtant, ils ne joueront aucun match, suite à la défection des trois pays qui refusent de jouer sur le sol israélien, en raison des tensions géopolitiques que les pays entretiennent avec Tel-Aviv. Les trois pays soutiennent la Palestine, un territoire occupé par Israël pour l’organisation de la Ligue arabe, dont font partie l’Égypte et le Soudan. La FIFA se retrouve alors en difficulté, car elle refuse qu’une autre nation que le pays hôte se qualifie sans jouer. Un énième tirage au sort oppose la Belgique à Israël. Mais, là encore, l’adversaire refuse la place et ce sera finalement le Pays de Galles qui l’emportera sans trembler.
L’Afrique, vent debout
Un autre tournant se produit en 1966. Avant le début des qualifications en Afrique, un vent de révolte souffle les bureaux de la FIFA à Zurich. Les quinze sélections du continent et la Confédération africaine de football militent pour que le continent bénéficie d’au moins une place qualificative pour le Mondial. La formule que propose l’instance internationale est loin de convaincre. Puisque pour espérer se frayer un chemin jusqu’en Angleterre, les sélections africaines doivent se départager entre elles pour jouer un match de barrage contre une équipe asiatique. Un parcours du combattant qui est loin d’offrir toutes les garanties nécessaires. En ce sens, le président de la CAF, Ydnekatchew Tessema, et ses alliés mettent la pression à la FIFA. Dans un mémo envoyé à Zurich par l’instance africaine, les dirigeants avertissent que si le nécessaire n’est pas fait « les associations africaines ne peuvent, pour les raisons mentionnées, participer à la Coupe du Monde 1966 ».
Le président de la FIFA, Sir Stanley Rous, commence à prendre les choses au sérieux. Dans un contexte politique bouillonnant, une décennie dans laquelle nombreux de pays du continent obtiennent leurs indépendances, le message sportif dépasse les frontières du rectangle vert. « Dès le début, c’était une histoire de politique culturelle dans une période post-coloniale », rappelle l’historien Alan Tomlison à la BBC. Autre point de discorde : l’Afrique du Sud. Bannie des compétitions internationales en 1958, en raison de la politique d’apartheid en vigueur, la possibilité de rencontrer l’équipe blanche sud-africaine en qualification ne passe pas auprès des sélections africaines.
A l’origine, la FIFA intègre l’Afrique du Sud à la zone Asie/Océanie, ce qui fait craindre une confrontation face à une autre nation du continent pour le match de barrage. Un scénario inconcevable, ce à quoi la FIFA propose une solution osée. Elle souhaite que les Bafana Bafana jouent avec des joueurs blancs en 1966 et des joueurs noirs en 1970. « Ce n’était pas acceptable et cela a certainement compliqué les choses », reconnaît Fikrou Kidane, membre de la délégation éthiopienne à la CAF dans les années 1960. La sourde oreille dans les bureaux de Zurich précipite le boycott de l’Afrique. Les quinze équipes, dont le Ghana, double champion d’Afrique en titre, renoncent au Mondial. L’effort diplomatique de la CAF va finir par porter ses fruits. Deux ans plus tard, un billet direct pour l’Afrique et l’Asie sera décerné. Aujourd’hui, l’Afrique possède cinq places pour le Mondial et en comptera au moins neuf pour la Coupe du monde 2026.
LIRE AUSSI : Apartheid et football, division et union au pays des Bafana Bafana
Les éditions qui suivront le titre de l’Angleterre en 1966 connaîtront aussi leur lot de tensions politiques. En 1978, le Mondial argentin, organisé sous la dictature militaire de Jorge Videla, ne va pas donner lieu à un boycott. Quatre ans plus tard, le conflit pour les Îles Malouines entre l’Angleterre et l’Argentine va laisser planer le doute sur la participation des Three Lions, au plus haut sommet de l’État. Mais la situation finira par s’apaiser à la veille du tournoi. Toujours est-il que la Coupe du monde reste un lieu d’expression politique pour des pays qui ont utilisé le ressort du boycott pour faire entendre leurs revendications politiques sur la scène internationale.
Sources :
- BBC, How Africa boycotted the 1966 World Cup, 11 juillet 2016.
- Los Angeles Times, Did India withdraw from the 1950 World Cup because they were not allowed to play barefoot ?, 19 juillet 2011.
- BBC, Scotland and the 1950 World Cup, 16 octobre 2014.
- FC Cymru, The bizarre twists of fate behind 1958 World Cup qualification
Crédits photo: Icon Sport