Plus grand défenseur de l’histoire du football, la carrière du regretté Franz Beckenbauer est inévitablement liée à la Coupe du Monde 1974 en Allemagne. Cette année-là, la Mannschaft et le « Kaiser », son capitaine emblématique, remportent le plus beau des titres à domicile. Retour sur ce parcours historique et sur la trajectoire d’un joueur hors norme à la carrière exceptionnelle.
Olympiastadion de Munich, 7 juillet 1974. Ce sont deux géants du football qui s’affrontent dans l’ultime match de la Coupe du Monde en Allemagne de l’Ouest. Les formidables et artistiques Pays-Bas face à la solide et expérimentée RFA. Cruyff contre Beckenbauer. Le meilleur joueur offensif de la planète contre le meilleur défenseur du monde. Un duel fantastique entré dans l’histoire du jeu.
Une affiche mémorable qu’une seule de ces deux légendes qui manquent au football ne peut remporter. Et c’est Franz Beckenbauer, disparu le 7 janvier 2024, qui en sort victorieux. La RFA prend le dessus (2-1) sur les Néerlandais. Ce jour-là, le taulier du Bayern soulève le plus grandiose des trophées. Il est sur le toit du monde. Pour ne jamais en descendre.
Traiter du Mondial 1974 sans évoquer le triomphe de Beckenbauer est impossible. Né le 11 septembre 1945 à Munich, dans une Allemagne ravagée par la Seconde Guerre mondiale, il est le fils d’un modeste employé de poste municipal. Lorsqu’il commence, enfant, à jouer au football, combien auraient pu imaginer la trajectoire fulgurante de l’un des plus grands talents du ballon rond ? Peu de monde sans doute. Pourtant, la carrière de celui qui fut milieu de terrain avant de devenir un « libéro de charme » révolutionnaire n’a pas tardé pour le mettre sur le devant de la scène.
Il n’a même pas encore 21 ans lorsque, en 1966, il participe à la Coupe du Monde en Angleterre. Déjà, son élégance balle au pied et son intelligence de jeu frappent les esprits. Tout comme ses facultés offensives évidentes. Au total, il inscrit quatre buts dans la compétition, dont un en quart et un autre en demi-finale. Révélation du tournoi, il dispute une finale d’anthologie face à l’Angleterre, perdue après prolongations (4-2).
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Puis, en 1970, c’est la confirmation. L’image de Beckenbauer, le bras en écharpe dans une demi-finale de légende face à l’Italie, fait aussi partie de l’histoire du football. Malheureusement pour lui, la RFA échoue une nouvelle fois en prolongations, lors du fameux « match du siècle » (4-3). Il est alors encore milieu de terrain, même s’il ne marque qu’à une reprise dans le tournoi mexicain, dans un quart de finale aux airs de revanche face aux Anglais (3-2). Sans doute est-ce là le signe de son évolution de footballeur, l’amenant à occuper un poste toujours plus reculé sur le terrain. Pour mieux organiser le jeu des siens. À l’occasion de la Coupe du Monde 1970, Beckenbauer s’est hissé parmi les tout meilleurs joueurs de la planète. Très bientôt, il sera le « Kaiser », l’Empereur, dominant l’ensemble de la planète football.
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Un début de compétition délicat pour la RFA de Beckenbauer dans sa Coupe du Monde 1974
En 1974, Beckenbauer a 29 ans et se trouve au sommet de sa carrière. Devenu libéro, il mène une équipe de RFA qui fait office de favori pour cette compétition à domicile. Et pour cause : l’équipe d’Allemagne est championne d’Europe en titre après son succès à l’Euro 1972 face à l’URSS (3-0). Cette année-là, il devient le premier défenseur à remporter le prestigieux Ballon d’Or, deux ans après son compère d’attaque Gerd Müller. Il en ajoutera un deuxième en 1976. C’est simple, le « beau Franz » est le seul défenseur de l’histoire à avoir gagné à deux reprises la récompense individuelle suprême.
La moisson de trophée de Beckenbauer ne s’arrête pas à l’équipe nationale allemande. 1974 est également synonyme de première victoire en Coupe des Champions pour le Bayern Munich, son club de (presque) toujours. Au bout d’une finale rejouée et remportée face à l’Atlético de Madrid (1-1 puis 4-0), c’est lui, capitaine de l’équipe bavaroise, qui a l’honneur d’aller soulever la coupe aux grandes oreilles. Ce n’est là que le début d’un formidable triplé puisque Beckenbauer et les siens remporteront aussi les deux éditions suivantes, en 1975 et 1976.
« Avec 1974, Franz a vécu, au sens figuré, sur une autre planète », Paul Breitner, latéral allemand champion du monde 1974.
C’est donc avec le plein de confiance que la RFA entame l’épreuve mondiale devant son public. Les forces de cette équipe complète ressemblent aux qualités de son légendaire capitaine : athlétique et puissante, expérimentée et mature, disciplinée et solide. Mais aussi dotée d’une belle intelligence de jeu, d’un sens tactique développé et de qualités techniques indéniables. De son poste de libéro, Beckenbauer est le « meneur de jeu de l’arrière ». Il n’hésite pas à monter pour apporter le surnombre, réalise de superbes ouvertures de son fameux extérieur du pied, organise le jeu de son équipe avec assurance et brio. Tel un chef d’orchestre aussi inspiré offensivement que rigoureux défensivement. Il est tout simplement le meilleur joueur du monde, que seul Johan Cruyff peut concurrencer.
Toutefois, Beckenbauer et la RFA font aussi face à une attente populaire et à une pression énorme. C’est sans doute pour cette raison que le début de compétition allemand est délicat. L’entrée de la Nationalmannschaft se fait sur la pointe des pieds, avec une petite victoire 1-0 contre le modeste Chili sur un but de Breitner.
Face aux novices Australiens, le deuxième match est plus aisé. Grâce à une victoire maîtrisée (3-0), la bande à Beckenbauer se qualifie pour le second tour. Toutefois, c’est la dernière rencontre de cette poule 1 qui va poser question et se muer également en symbole géopolitique de taille. Car le hasard a placé l’Allemagne de l’Est, ou RDA, dans la même poule que la RFA. En pleine période de Guerre froide, cet affrontement cristallise les oppositions : le bloc de l’Est contre celui de l’Ouest, le communisme face au capitalisme, l’ogre allemand occidental face au petit poucet travailleur oriental.
La RFA est effectivement la grande favorite de cette partie fratricide entre les deux Allemagnes. Mais surprise : avec un but de Sparwasser, c’est la RDA qui l’emporte 1-0, jetant un gros coup de froid sur Beckenbauer et les siens. Ces derniers verront bien le second tour, mais en terminant seulement deuxièmes de leur groupe…
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Un deuxième tour en guise de montée en puissance pour le Kaiser et les siens
La Coupe du Monde 1974 introduit une nouvelle formule de compétition. Les deux premiers de chaque poule qualifiés pour le deuxième tour sont versés dans deux poules de quatre équipes. À la clé, pour chaque vainqueur de groupe : la qualification pour la finale.
Portés par Beckenbauer, l’élégance et la classe incarnée, les Allemands de l’Ouest passent alors à la vitesse supérieure. Le buste haut, le regard toujours tourné vers le jeu et jamais sur le ballon, le génial libéro est inimitable. Avec lui et les autres cadres, comme Müller, Maier ou Breitner, la RFA écarte d’abord avec autorité la Yougoslavie (2-0). Celle-ci avait pourtant terminé première de son groupe devant les tenants du titre brésiliens.
Ensuite, c’est la Suède qui est au menu, seule équipe à avoir réussi l’exploit de ne pas perdre face aux Pays-Bas. Match dantesque sous la pluie battante de Düsseldorf. Les Scandinaves ouvrent le score et mènent 1-0 à la pause. La Nationalmannschaft rentre au vestiaire sous la bronca de son public. Ce dernier n’est pas le seul à être mécontent. Beckenbauer est en colère, et il le fait savoir. À la reprise, l’ensemble de l’équipe allemande montre rapidement de nouvelles intentions. Et le match devient fou.
Poussée par la rogne et la soif de vaincre de son capitaine, la RFA marque deux buts en deux minutes (51e et 52e), renversant totalement le cours du match. Mais dans la minute suivante, la Suède égalise (2-2) ! Il en faut cependant plus pour faire lâcher les Allemands. Au bout de l’une des plus belles rencontres du Mondial, ils l’emportent finalement 4-2, se plaçant idéalement pour accéder à leur finale.
Beckenbauer n’est pas le capitaine de la RFA pour rien. Après la défaite humiliante du premier tour face à la RDA, la sélection était en fait au fond du trou. Son sélectionneur, Helmut Schön, très affaibli. C’est un discours mobilisateur et sans langue de bois du Kaiser, devant tout le groupe, qui le remet à l’endroit.
« Il a pris les choses en main alors que la situation était épouvantable, que l’équipe était sur le point de s’effondrer. Il a protégé Schön et a rebâti l’équipe avec lui », Günter Netzer, champion du monde allemand, en parlant de Franz Beckenbauer lors du Mondial 1974
Après la victoire aux dépends des Suédois, il ne reste qu’une étape à passer : celle des surprenants mais redoutables Polonais, révélations du tournoi. Après un penalty de Breitner stoppé par le portier adverse, les Allemands ne sont libérés que par un but tardif de l’inévitable Gerd Müller (76e). Cette victoire 1-0 ouvre à Franz Beckenbauer les portes du plus grand match de sa vie.
Cruyff contre Beckenbauer : deux géants face à face dans la finale de la Coupe du Monde 1974
Cette finale du Mondial 1974 est une véritable opposition de styles. Le football total chatoyant batave ou la solidité réaliste germanique ? L’offensif Cruyff ou le défensif Beckenbauer ?
La première minute, la première action, mythique, semble indiquer que les dieux du football ont choisi leur camp. Au bout d’une longue phase de possession de balle suivant l’engagement, les Allemands n’ayant pas encore touché la balle, celle-ci parvient à Cruyff au milieu du terrain. Le « Pelé Blanc » accélère, s’infiltre dans la surface. Avant d’être fauché par Berti Vogts. Penalty indiscutable. Tiré en force et au milieu par Johan Neeskens, Maier ne peut rien. 1-0 pour les Pays-Bas.
« Johan [Cruyff] était le meilleur footballeur ; mais moi, je suis champion du monde », Franz Beckenbauer.
Cependant, alors que tout le monde s’attend à une envolée irrésistible des Néerlandais, ce n’est pas ce qu’il se passe, ce 7 juillet 1974 à Munich. Parce que les Allemands, guidés et rassurés par leur Kaiser, ne paniquent pas. Pilier de sa formation, Beckenbauer organise sa défense à merveille. Les Oranje ne parviennent pas à s’exprimer aussi facilement que lors de leurs démonstrations face à la Bulgarie (4-1), l’Argentine (4-0) ou le Brésil (2-0). Qui d’autre que lui aurait pu s’interposer face au génie de Johan Cruyff, tout en se projetant vers l’avant pour impulser des actions dangereuses ? Le libéro est même à deux doigts de marquer sur un coup franc tiré d’une balle piquée, sorti d’une claquette salvatrice par le portier adverse.
L’Allemagne finit malgré tout par revenir puis par passer devant, le tout avant la mi-temps. D’abord, sur un penalty inscrit par Breitner (26e). Ensuite, par un but de renard de Müller, d’un tir en pivot à la 44e. Le quatorzième but en deux Coupes du monde pour celui qui fut longtemps le meilleur buteur de l’histoire du Mondial.
Virtuellement champions, Beckenbauer et ses coéquipiers ne lâchent alors plus leur proie. Rien ne sera plus marqué dans cette finale de rêve, les Néerlandais perdant leur football face à la maîtrise allemande insufflée par son capitaine. Comblé et heureux, Kaizer Franz peut aller soulever la Coupe du Monde au milieu d’un public ivre de bonheur. Merveilleuse consécration pour celui qui fut l’un des plus grands comme la personnification de la classe, de l’élégance et de l’esprit sportif sur le terrain.
Vainqueur de la Coupe du Monde 1974, Franz Beckenbauer a porté son équipe à la victoire suprême comme rarement un champion l’a fait dans l’histoire. Passé ensuite par le New York Cosmos puis le HSV Hambourg en fin de carrière, il a tout remporté : titres, respect et reconnaissance éternelle. En 1990, le Kaiser réalise même l’exploit de devenir une deuxième fois champion du monde, cette fois-ci comme sélectionneur. Un parcours et une trajectoire absolument extraordinaires, pour un homme à jamais au sommet du panthéon du football.
Sources :
- Sylvain Cacheux, « Rétro Coupe du monde : Beckenbauer entre dans la légende (1974) », topmercato.com
- « Mort de Beckenbauer. Ballon d’Or, Coupe du monde… Le « Kaiser » en six grandes dates », ouest-france.fr
- Charles Alf Lafon, « La marche de l’Empereur », dans « Beckenbauer, 70 ans de règne », sofoot.com
- « Le Kaiser a 75 ans », fifa.com
Crédits photos : Icon Sport.