Troisième édition de l’histoire, la Coupe du monde 1938, disputée en France, aurait dû être la grande fête du football international. Elle ne sera cependant que le témoin de la montée des tensions géopolitiques fragilisant toujours plus la stabilité de la planète. Juste avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, de multiples exploits méritent pourtant de se rappeler de ce tournoi par le jeu. Retour sur un Mondial dont sort victorieuse l’Italie, pour un doublé jusqu’alors inédit.
19 juin 1938, stade de Colombes. La Squadra Azzurra italienne bat la Hongrie 4-2 et marque l’histoire du football. Cette Coupe du monde française est en effet inédite, à plus d’un titre. Cette troisième édition de la compétition inventée par Jules Rimet est la première à laquelle le tenant du titre participe : l’Italie. Équipe transalpine qui réussit l’exploit, là aussi du jamais vu jusqu’alors, de conserver son trophée. Grâce à un doublé de l’ailier Gino Colaussi et à un autre de l’avant-centre Silvio Piola, la Victoire ailée sculptée par Abel Lafleur est à nouveau soulevée par la légende Giuseppe Meazza. Le sélectionneur, Vittorio Pozzo, est lui porté en triomphe. Il est encore à ce jour le seul sélectionneur de l’histoire à avoir remporté deux Coupes du monde consécutives.
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Ce Mondial 1938 en France est donc, sans conteste, historique. C’est aussi toutefois sous un autre angle qu’il est possible de faire cette affirmation. Car au cours de cet été où le jeu bat son plein, c’est l’ombre de la guerre qui s’étend déjà au-dessus du football. Au-dessus de l’Europe et de la planète entière. Le rectangle vert devient alors un autre terrain sur lequel les antagonismes et les tensions internationales s’expriment. Preuve en est : comme avant chaque début de match, c’est en réalisant le salut fasciste pourtant conspué par le public que Giuseppe Meazza reçoit son trophée.
Coupe du monde 1938 : l’engrenage du second conflit planétaire déjà à l’œuvre
Un nom symbolise seul l’impact de la situation internationale toujours plus dangereuse en 1938 sur le monde du football : l’Autriche. Demi-finaliste du Mondial précédent, cette formation est encore, à l’époque, la Wunderteam, « l’équipe merveilleuse ». Son joyau, l’offensif Matthias Sindelar, un talent digne des meilleurs joueurs de tous les temps. Après sa victoire en éliminatoires contre la Lettonie, elle se qualifie d’ailleurs logiquement pour l’édition française… mais n’y participera pas.
La faute à l’Histoire, la grande, celle qu’imposent les dirigeants des grandes puissances de la planète aux peuples. Lançant son plan pour reconstituer sa « Grande Allemagne », le Führer Adolf Hitler annexe l’Autriche en mars 1938. C’est l’Anschluss. La nation autrichienne est avalée par le Reich nazi. La Wunderteam disparaît à jamais.
L’équipe allemande souhaite alors intégrer les meilleurs éléments autrichiens dans ses rangs. Propagande aryenne oblige, il faut prouver la supériorité de la race allemande en France. Quoi de mieux que de compter sur les artistes de Vienne pour cela, à une époque où la Nationalmannschaft n’est pas une référence ? Certains Autrichiens acceptent et doivent réaliser le salut nazi au Parc des Princes. D’autres, en revanche, refusent, dont le génial Sindelar. Quelques mois plus tard, ce dernier est retrouvé mort intoxiqué dans son appartement, dans des circonstances troubles jamais totalement élucidées. Sa sympathie pour les juifs n’était par contre un secret pour personne.
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Résultat : avec cette équipe remaniée et sifflée par le public parisien au moment du salut nazi, l’Allemagne ne passe même pas le premier tour. La Coupe du monde 1938 démarre en fait dès le stade des huitièmes de finale. En face, c’est l’humble Suisse pourtant, qui arrache le nul 1-1. Pas de tirs au but à l’époque, il faut un match d’appui… que l’équipe du Reich perd 4-2, après avoir pourtant mené 2-0. La grande Allemagne n’a plus qu’à battre en retraite, elle et sa soi-disant supériorité.
En 1938, la politique est partout. Les joueurs italiens également sont obligés de réaliser le salut fasciste pour rendre hommage à leur Duce et dictateur, Benito Mussolini. La pression qu’ils subissent pour vaincre et conserver leur trophée est véritable. C’est par contre la position inverse qu’adopte Franco, le dirigeant espagnol. N’ayant pas digéré la défaite (douteuse) des siens en 1934 face à l’hôte italien, il décide très vite que son pays ne participera plus au Mondial. C’est ainsi que l’Espagne boycotte la compétition française. Les journalistes ibériques reçoivent aussi l’ordre du Caudillo d’ignorer cet événement.
Du spectacle, des buts… une Coupe du monde 1938 enthousiasmante
Et le football dans tout ça ? Après une édition 1934 en Italie marquée par un jeu dur et pauvre en buts, le Mondial de 1938 renoue avec le jeu. C’est même une avalanche de buts à laquelle le public français assiste, enthousiasmé. En huitième de finale, la Hongrie inflige un énorme 6-0 aux Indes néerlandaises (actuelle Indonésie), pour leur première (et seule) participation.
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Autre novice dans la reine des compétitions internationales : Cuba. L’équipe caribéenne réussit l’exploit de se défaire de la Roumanie (3-3, puis 2-1 en match rejoué), avant d’encaisser un carton monumental en quart. La Suède atomise effectivement les Cubains 8-0, bien aidée par le fait qu’elle a alors deux matchs de moins dans les jambes… En huitième, elle aurait dû affronter l’Autriche, et a donc été qualifiée d’office, sans jouer, pour le tour suivant.
La Coupe du monde 1938 est en fait le Mondial où il y a eu le plus grand nombre de triplés : quatre. Le plus célèbre d’entre eux est celui réussi par le fantastique attaquant brésilien Leonidas, face à la Pologne en huitièmes de finale. Cette rencontre est d’ailleurs le plus prolifique de l’épreuve, se terminant sur un formidable 6-5 pour les Auriverde ! Leonidas est technique, vif, rapide… un vrai danger permanent. Le Brésilien finit meilleur buteur de la compétition avec sept réalisations en cinq matchs. La classe.
Seul le Polonais Wilimwoski fait mieux que lui sur un match. Contre le Brésil justement, il inscrit quatre des cinq buts de son équipe ! Avec 84 buts au total, le Mondial affiche une moyenne impressionnante de 4,67 buts par match.
Belle perf’ pour la France, la victoire pour l’Italie
À domicile, l’équipe de France est pleine d’ambition. Elle ne déçoit pas les 31 000 spectateurs du stade de Colombes pour son entrée en lice face à la Belgique. Dès la première minute, l’attaquant Émile Veinante ouvre le score ! Ce n’est que le début d’une belle furia bleue puisque Jean Nicolas, son compère offensif, ajoute un 2e but neuf minutes plus tard. Alors que cinq matchs des huitièmes se jouent en prolongation ou par un match rejoué, les Français se qualifient largement (3-1).
Au rendez-vous des quarts de finale, l’équipe du capitaine Étienne Mattler défie alors les champions du monde italiens. Ces derniers avaient fini par percer le coffre-fort norvégien (2-1) au tour précédent. Pour l’occasion, ce sont près de 60 000 spectateurs endiablés qui comblent les travées de Colombes… et voient entrer des Italiens tout de noir vêtus. Une Marseillaise assourdissante s’oppose aux saluts fascistes et le match démarre tambour battant. Si Colaussi ouvre rapidement le score (7e), les Bleus répondent du tac au tac grâce à Oscar Heisserer dans la minute suivante. 1-1 à la mi-temps, l’espoir est possible.
Sauf qu’en deuxième période, l’Italie accélère. Supérieure techniquement, elle passe devant puis assure son succès grâce à un doublé de Silvio Piola, meilleur buteur de l’histoire de la Serie A. La France s’incline 3-1, l’Italie fonce vers son destin.
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En demi, les Transalpins retrouvent les Brésiliens de Leonidas. Ces derniers ont difficilement écarté les Tchécoslovaques après un premier quart dur et violent (1-1) et un deuxième plus enlevé (2-1). Mais pour ce match décisif, leur virtuose avant-centre n’est pas sur le terrain. Trop confiants, trop individualistes, les Sud-Américains sont dominés par le collectif italien. Et au jeu de la ruse, c’est Silvio Piola le plus fort. Celui-ci s’effondre tout seul dans la surface adverse et obtient le penalty victorieux transformé par Meazza.
L’Italie l’emporte 2-1 et retrouve la Hongrie en finale de la Coupe du monde 1938. Les Magyars, auteurs d’un parcours convaincant, ont éliminé la Suisse en quart (2-1) avant de surpasser les Suédois en demi (5-1). Devant 45 000 spectateurs, le duel s’annonce spectaculaire.
Il l’est. Colaussi ouvre d’ailleurs la marque dès la 5e minute, avant que le Hongrois Tiktos n’égalise deux minutes plus tard. Mais ce jour-là, l’Italie ne peut pas perdre. Ne doit pas perdre. C’est Benito Mussolini lui-même qui l’a affirmé à ses joueurs.
Juste avant le coup d’envoi, les Italiens reçoivent effectivement un télégramme de leur Duce. Le message (et la menace) sont on ne peut plus clairs : « Vaincre ou mourir ». Il est alors aisé de comprendre la pression qui pesait sur les onze joueurs de la Squadra Azzurra au moment de rentrer sur la pelouse… Piqués au vif, poussés peut-être par quelque chose de bien plus puissant que le « simple » enjeu sportif, ils réalisent en réalité ce jour-là leur plus belle prestation.
« Je ne me suis jamais senti aussi heureux de ma vie après un match. Les quatre buts que j’ai encaissés ce jour-là ont sauvé la vie à onze êtres humains ! », Antal Szabó, gardien hongrois, des années après la finale.
À la pause, l’écart est déjà fait pour les Italiens (3-1). Mais les Hongrois ne lâchent rien et reviennent à 3-2 à vingt minutes du terme. Il faut alors un dernier but libérateur de Piola pour sceller le sort de cette partie historique. Les Italiens, portés par un collectif huilé et un milieu dominateur où étincellent Meazza et Giovanni Ferrari, l’emportent 4-2. La Squadra Azzurra est invincible !
Reflet d’une autre époque gagnée peu à peu par le précipice de la guerre, la Coupe du monde 1938 n’en est pas moins inoubliable. Belle par le jeu et les scores-fleuves de ses matchs, des talents purs comme Leonidas, Meazza ou Piola l’ont marqué de leur empreinte. Elle se termine par un doublé italien mérité, ce que n’a ensuite réussi à réaliser que le Brésil en 1958 puis 1962. Après l’horreur du second conflit planétaire, c’est justement là-bas que renaîtront les joies du football international, en 1950.
Crédits photo : Icon Sport et Wikimédia Commons
Sources :
- « 1938, en attendant l’horreur », sofoot.com ;
- Calendrier et résultats de la Coupe du Monde 1938, lequipe.fr ;
- Olivier Margot (sous la direction de), L’Equipe, la Coupe du Monde 1930-1970 (Livre I), édité par l’Equipe, 1997.