S’il est bien un pays d’Amérique du Sud ou le football n’est pas roi, c’est le Venezuela. À l’inverse de ses voisins, les vénézueliens préfèrent le baseball au football. Néanmoins, sa pratique connaît un essor sous la présidence d’Hugo Chavez. La révolution bolivarienne fait la part belle au sport populaire et c’est en 2007 que le Venezuela organise pour la première fois la Copa America.
Systématiquement absente de la Coupe du monde ou du deuxième tour de la Copa America, la Vinotinto part de loin si elle veut briller durant son tournoi. Et pour ce faire, les autorités mettent le paquet. Si le sport est utilisé comme un instrument politique depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez en 1998, c’est naturellement vers le baseball que se tourne le Président vénézuélien.
Pourtant, l’organisation de cette Copa America transpire la démesure, l’État investit 700 millions d’euros pour construire les infrastructures nécessaires et compte bien faire de la Copa America la vitrine du Vénézuela, porteur d’un modèle alternatif de société. 6 stades sont construits et l’État communique abondamment sur l’événement. Car le bolivarisme prône une nouvelle libération du continent sud américain, trop habitué à être la cour arrière des Etats-Unis. À travers la mobilisation de la figure du libérateur de Simon Bolivar on cherche surtout à réinventer la démocratie, se libérer de la corruption, une véritable renaissance en somme.
Une démarche politique ?
Cette Copa America représente donc un enjeu politique majeur pour Hugo Chavez, tant sur le plan national qu’international. Réélu pour un troisième mandat en 2006, le Président vénézuelien reste contesté et craint que la gronde ne gagne les tribunes. Le gouvernement anticipe et fait fermer le principal média d’opposition. Le gouvernement restreint également les manifestations dans les stades, comme le permet le règlement de la FIFA, et déploie des militaires pour assurer la sécurité. L’opposition accuse même les chavistes d’accaparer les billets pour éviter tout incident.
Toutes ces mesures traduisent l’importance géopolitique de l’organisation de la Copa America, l’opportunité de montrer une alternative. Une attention dont Hugo Chavez profite pour attaquer les Etats-Unis, participant à la Copa America, en déclarant « Qu’ils restent chez eux. Ici, nous n’avons pas besoin d’impérialistes ». Des déclarations réaffirmant la position du Venezuela comme l’un des principaux opposants à l’hégémonie américaine. Les Américains feront finalement le déplacement quelques jours après avoir remporté la Gold Cup, mais avec une équipe B.
Pour le match d’ouverture, Venezuela – Bolivie, Hugo Chavez invite son ami Evo Morales, président de la Bolivie. Mais l’œil regarde davantage vers le troisième homme, Diego Maradona. El pibe de oro, également ami de Chavez, a fait le déplacement et le président en profite pour s’afficher ostensiblement avec la gloire argentine. Et on le comprend car malgré leurs liens d’amitié, la présence de Diego Maradona a un coût, 150 000 milles euros en l’occurrence. La cérémonie se déroule à merveille pour la joyeuse bande qui s’en va saluer, sur la pelouse, les deux équipes, le temps pour Morales et Maradona de taper quelques jongles.
Juste avant, le show n’a pas manqué de lier politique et football en mettant la pensée bolivarienne au centre du spectacle. Le chavisme triomphe et le public dévoile même un tifo au nom d’Hugo Chavez. Une animation qui sera tenue tout au long des trois semaines de compétitions.
La Vinotinto entend faire bonne figure et hérite d’ailleurs d’un groupe plutôt accessible composé de la Bolivie, de l’Uruguay et du Pérou. Accessible certes mais la Vinotinto n’apparaît pas favorite face à un Uruguay en reconstruction ou contre un Pérou porté par sa star, Claudio Pizarro. De son côté le Venezuela n’a pas de star à faire valoir mais une équipe déterminée pouvant s’appuyer sur quelques joueurs évoluant en Europe comme l’emblématique capitaine, Juan Arango. Les Vénézuéliens s’avèrent d’ailleurs convaincants contre la Bolivie en ouverture où ils concèdent le nul (2-2) après avoir mené à deux reprises.
Précédemment, l’Uruguay a sombré de manière surprenante (0-3) ne laissant rien présager de bon pour la Celeste récemment reprise par Oscar Tabarez. Les locaux poursuivent leurs bonnes performances, battent le Pérou et font nul contre l’Uruguay. Un dernier match qui permet à la Vinotinto d’accéder à la phase à éliminations directes pour la première fois en Copa America. Le succès est total. L’Uruguay accroche aussi la qualification à la faveur d’une troisième place qualificative mais fait pâle figure dans un groupe normalement largement à sa portée.
Une compétition coincée entre deux époques
Le Brésil, tenant du titre, se présente pour la première fois depuis dix ans avec un statut écorné à la Copa America. Depuis 10 ans, le Brésil a remporté toutes les éditions sauf celle de 2001 en Colombie où une équipe réserve avait été envoyée. Une décennie de domination sans partage où les stars brésiliennes font l’étalage de leur talent. Pourtant, la Coupe du Monde 2006 a fait descendre le Brésil de son piédestal, trop sûre d’elle, la seleçao est tombée sur un écueil. Une contre performance qui incite le géant sud-américain à faire table rase en nommant Dunga sélectionneur. Peu réputé pour son amour de l’esthétisme, le nouveau sélectionneur propose une liste de rupture et part au Venezuela sans Ronaldo, Ronaldinho, Adriano et Kaka.
Les Brésiliens misent donc légitimement beaucoup d’espoir sur leur dernier prodige et récemment champion d’Espagne, Robinho. La révolution souhaitée par Dunga n’a finalement pas lieu, du moins pas instantanément puisque les auriverde sont surclassés par le Mexique. Un Mexique instinctif, proche de la plus pure tradition du joga bonito sur le premier but inscrit par Nery Castillo. Un but magnifique au diapason des réalisations inscrites tout au long de la compétition. La solide victoire des mexicains montre qu’ils ne sont pas venus faire de la figuration au Venezuela quelques jours après leur défaite en Gold Cup face aux Etats-Unis.
Contrairement au puissant voisin, les Mexicains envoient l’équipe A et malgré leur statut d’invité compte bien jouer les troubles fêtes. Complété par le Chili et l’Equateur, le groupe B est le plus relevé de la Copa America. Le Mexique domine la concurrence et s’extirpe en première position. Le Brésil, après son triste revers, se ressaisit à la faveur d’un triplé salvateur de Robinho. Une victoire trois zéros, acquise dans les dernières minutes, qui redonne la confiance nécessaire aux hommes de Dunga pour enchaîner et se qualifier en deuxième position. Le Chili accède également aux quarts de finale en finissant, avec 4 points, parmi les deux meilleurs troisièmes. L’Equateur, huitième de finaliste du dernier mondial n’inscrit pas le moindre point et ravale ses ambitions continentales.
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Le dernier groupe, le C, accueille le véritable favori de la compétition. La longue liste d’absents brésiliens fait mécaniquement de l’Argentine la sélection la mieux placée pour mettre fin à la domination auriverde. Malgré une qualité de jeu certaine, l’Argentine s’est arrêtée en quarts de finale du mondial Allemand, mais l’espoir de décrocher un premier titre depuis 1993 persiste. Le traditionnel alliage entre joueurs confirmés (Veron, Zanetti, Crespo, Ayala) et futurs grands (Messi, Mascherano, Tevez, Gago) semble prêt à briller. Peu utilisé en 2006, Lionel Messi (20 ans) suscite énormément d’attentes. Et pour son premier tournoi international dans la peau d’un titulaire, la pulga ne déçoit pas, le 4-4-2 mis en place par Alfio Basile le place dans les meilleures dispositions pour briller.
Associé à Crespo, Milito ou Tevez en pointe, Messi peut surtout s’appuyer sur un Riquelme, récemment revenu à Boca, rayonnant. L’Albiceleste tourne bien et écrase sa poule composée des Etats-Unis, de la Colombie et du Paraguay. Les argentins démarrent les matchs au ralenti concédant l’ouverture du score contre les USA puis contre la Colombie mais se reprennent toujours, respectivement 4-1 puis 4-2. Des bons résultats qui permettent à Alfio Basile de faire tourner contre le Paraguay. L’Albiceleste fait carton plein avec 3 victoires et 9 buts inscrits durant la phase de poule, confirme son statut de favori et la forme certaine de Riquelme auteur d’un doublé contre la Colombie.
La Vinotinto, seule véritable surprise de ces quarts de finale, hérite de l’Uruguay contre qui, joie de la Copa America oblige, elle a déjà joué son dernier match de poule. Un match bien terne (0-0) où les deux équipes avaient intérêt au match nul. La revanche, bien différente, est l’une des affiches les plus disputées tant les autres laisseront peu de place au suspens. Outsider absolu, les Vénézuéliens subissent d’entrée de jeu la Garra charrua de leurs adversaires. Dans les dix premières minutes l’Uruguay se procure, par l’intermédiaire de Diego Forlan, trois occasions franches. Largement en dessous techniquement, la Vinotinto cède une première fois devant Diego Forlan à quelques minutes de la pause, mais 3 minutes plus tard Juan Arango inscrit un coup franc surpuissant qui transperce le mur uruguayen.
Les locaux ne se laisseront pas faire et veulent y croire. Le public vénézuéliens se plaît à imaginer la poursuite d’une compétition qui à su séduire au pays du baseball. Il n’en sera finalement rien, même si la Vinotinto tient bon, Pablo Garcia envoie un missile dans la lucarne de Renny Vega peu après l’heure de jeu. Cristian Rodriguez tue le suspens à la 87ème d’une frappe sèche au premier poteau. Le parisien célèbre la qualification dans le silence du stade de San Cristobal. Abasourdis, les 42 000 spectateurs assistent dépités à l’ultime but de Diego Forlan.
La performance de la Vinotinto est pourtant la meilleure de son histoire et son parcours est encourageant. Des prémisses favorables qui se confirment en 2011 où un Vénézuela renouvelé par des joueurs comme Thomas Rincon ou Salomon Rondon atteint le dernier carré de la Copa America. Une véritable réussite pour le football vénézuélien qui profite de l’organisation de la Copa America pour gagner en popularité au-delà des aficionados déjà existants.
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Le reste du tableau confirme les statuts de prétendants de l’Argentine, du Brésil et du Mexique. Dans le onze de Dunga, seuls Gilberto Silva et Juan étaient présents lors du quart de finale de coupe du monde contre la France. Le Brésil, très laborieux en phase de poule, étrille le Chili 6-1. Robinho, unique buteur brésilien en poule, en profite pour inscrire son 5ème et son 6ème but de la compétition. Le Brésil déploie enfin son potentiel offensif et les coéquipiers de Claudio Bravo s’en vont par la petite porte malgré le golazo de Humberto Suazo.
L’autre favori, l’Argentine, met, comme à son habitude, du temps à rentrer dans son match contre le Pérou. Une première mi-temps molle qui laisse la place à un second acte endiablé. Dès la 47ème, Riquelme marque d’une frappe petit filet après avoir mystifié la défense péruvienne. Le début d’un récital pour l’Ultimo diez qui offre un véritable caviar à Messi pour son premier but en Copa America puis inscrit le quatrième et dernier pion argentin (4-0). Dans le dernier quart, le Mexique pulvérise le Paraguay 6-0 à la faveur d’un carton rouge et d’un pénalty dès la 5ème minute.
Suprématie brésilienne face au drame argentin
À Maracaibo, le tenant du titre retrouve l’Uruguay, un adversaire toujours autant redouté chez les auriverde. Dans un match ouvert et rythmé, les deux équipes se rendent coup pour coup. Chacune des accélérations du trio Robinho – Julio Baptista – Vagner Love désoriente la défense uruguayenne, et dès la 13ème, Maicon, à l’affût, ouvre le score. Côté uruguayen, les attaques passent par Recoba à la baguette sur coup de pied arrêté, il tente plusieurs corners directs, comme dans le jeu.
Et c’est notamment grâce à un corner rentrant mal dégagé par Doni repris de volée par Diego Forlan que la Celeste recolle au score. Cinq minutes plus tard, Julio Baptista reprend un coup franc de Maicon, lui aussi en grande forme, et renouvelle l’avance brésilienne. En deuxième mi-temps, Sebastian “El loco” Abreu conclut de manière chanceuse un magnifique mouvement collectif. La peau de l’Uruguay se vend chèrement, si cher qu’il faut en passer par les pénalties. La Celeste loupe la balle de match, puis le capitaine Diego Lugano rate encore et entérine la qualification brésilienne. Tragique mais nécessaire pour une génération dont les plus belles années sont à venir sous la houlette d’Oscar Tabarez.
Les Mexicains d’Hugo Sanchez ne peuvent rien faire pour empêcher l’Albiceleste d’accéder à la finale, un match qui confirme la montée en puissance progressive de la pulga dans le collectif argentin. Parfaitement servi par Tevez, Messi marque le deuxième but argentin d’un lob d’une finesse outrageuse. Les coéquipiers de Javier Zanetti s’imposent tranquillement 3-0 et s’apprêtent à défier le Brésil en finale.
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Le 15 juillet, pour ce remake de la finale de 2004, l’Argentine aborde la partie en favori et se comporte comme tel en monopolisant le cuir tandis que les joueurs brésiliens semblent privilégier un jeu de transition. Confirmation instantanée puisqu’au bout de trois minutes, Josué renverse totalement le jeu vers Julio Baptista légèrement excentré au coin gauche de la surface. L’enchaînement est limpide, Baptista contrôle, fixe, crochète et rentre dans l’axe avant d’envoyer une frappe puissante dans la lucarne opposée d’Abbondanzieri.
Le Brésil de Dunga, réputé peu séduisant, douche une Argentine que l’on annonçait bien au-dessus. Messi lance la résistance cinq minutes après et initie un bon mouvement côté gauche que Riquelme conclut d’une frappe sur le poteau, insuffisant. Une entame de match mal négociée qui va cette fois coûter cher puisque l’Albiceleste ne parvient pas à s’en remettre et sombre face à son éternel rival. En difficulté côté droit, Roberto Ayala marque contre son camp en voulant dégager un centre de Dani Alves. En deuxième période, les argentins tentent bien de revenir mais ce Brésil est clinique. Sur un nouveau contre, Vagner Love fixe la défense argentine avant de lancer Dani Alves qui conclut tranquillement. Le Brésil remporte une quatrième Copa America en dix ans, un baroud d’honneur tant la décennie qui suit sera difficile pour la Seleçao.
Une Copa America à la croisée des chemins, le dernier épisode d’une décennie de domination brésilienne, une édition qui préfigure également le rééquilibrage des forces pour l’avenir. Une compétition dans laquelle s’illustre jeunes prodiges comme vieilles gloires nous gratifiant d’une qualité de jeu plus qu’appréciable et de buts mémorables. Mais aussi et surtout le vrai début du succès du football au pays d’Hugo Chavez, à n’en pas douter un tournant dans l’histoire du Vénézuela.
Sources :
- Marie Delcas, « La politique s’invite à la Copa America », Le Monde, 30 juin 2007.
- « Dunga transforme le Brésil », Eurosport, 17 juillet 2007
- Stéphane Kohler, « Copa America 2007: indispensable Messi », L’Équipe, 10 juillet 2007
- Pedro Puerta, « La Copa America, une affaire d’Etat », Les cahiers du football, 2 juillet 2007
- Ariel Ruya, « Venezuela 2007, de la Copa america del « chavismo » al primer gran golpe de Messi en la seleccion en una final », La Nacion, 15 juillet 2020
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