Depuis plusieurs semaines, de nombreux passionnés de football, qu’ils soient journalistes, intellectuels, supporters, simples spectateurs ou même acteurs du monde professionnel se questionnent sur la répétition infernale des matchs. Le coronavirus et le confinement ont imposé un rythme au football qui se trouve très éloigné de ses standards. Après notre moral, nos peurs ou notre quotidien, notre passion expérimente une nouvelle épreuve. S’agit-t-il d’une déchéance ? D’une transformation ? D’un idéal ?
Confinement du corps, confinement de la passion ?
Nous avons été confinés à une dimension quasi-égale entre le 17 mars et le 11 mai. Le football s’est arrêté, nous n’avons pas eu d’autre choix que de nous adapter à cette situation exceptionnelle qui freinait notre passion au beau milieu des huitièmes de finale de la Ligue des Champions. Puis certains championnats ont repris, dans des conditions particulières mais néanmoins efficaces. Déjà, les passions avaient évolué : certains ne pouvaient pas s’accoutumer aux stades vides, aux pauses fraîcheur, au passage de trois à cinq changements, aux sonorisations comblant le manque de supporters… Cette situation a duré et malgré un retour éphémère du monde dans les stades, cela s’est à nouveau interrompu. Le football professionnel a voulu continuer pour des raisons économiques évidentes et notre passion a pu être de nouveau ranimée et mise à l’épreuve au quotidien.
Évidemment, même les sceptiques du restart, sont aujourd’hui de nouveau devant leur télévision pour regarder du football, encourager leur club et scruter les autres. Le passionné ne peut pas se permettre d’attendre un vaccin pour se réconcilier avec le football. Il est vacciné depuis trop de temps déjà. Ce football post-mars 2020, bien que dans des stades vides, est enthousiasmant. Il permet au passionné de quitter les nouvelles affreuses qui s’enchaînent en-dehors du monde du football. On voit de beaux matchs, des moins beaux, des joueurs se révèlent, des surprises se créent, on croirait presque à un quotidien footballistique d’une année normale. C’était sans compter sur le calendrier bourré jusqu’à l’implosion de matchs à n’en plus finir. Les surprises ont été de plus en plus nombreuses, le haut des classements des principaux championnats a une drôle de tête, des résultats sont curieux. L’enchaînement frénétique a fini par user les joueurs, les entraîneurs et les passionnés devant leur écran.
Comme un tas d’autres choses pendant le confinement, notre passion est remise en question. Elle persiste, bien sûr. Mais on prend du recul, on choisit ces matchs, on ralentit le rythme. Suivre aujourd’hui toutes les équipes et les championnats que l’on apprécie est une occupation à plein temps. Certains s’y adonnent, la majorité craint l’overdose. On repense alors notre consommation de football : on se souvient du temps où on voyait un match de Ligue des Champions, sur TF1, imposé par la chaîne, de celui où les sites de streaming peu développés nous obligeaient à suivre un football qui n’était pas forcément apprécié, du temps où beIN SPORTS, RMC Sport et Téléfoot n’étaient pas à l’ordre du jour. Cette liste a peut-être fait naître de la nostalgie chez certains, de la répulsion chez d’autres.
C’était mieux avant ?
Antoine Griezmann est un symbole idéal pour illustrer le questionnement de la passion du football et de sa consommation. En 2018, le numéro 7 des Bleus a réalisé une Coupe du Monde extraordinaire, étant le véritable métronome de l’équipe de Deschamps. Projetons-nous dans les années 1980 : nous aurions tous vu ce Mondial avec le même intérêt et aurions ainsi pu voir les exploits de l’ex-Colchonero. Nous aurions également appris son transfert au Barça aux côtés du grand Messi. Cependant, nous n’aurions certainement pas vu grand-chose de ses déboires en Catalogne. La télévision en France ne diffusait pas autant de matchs. On serait devant les pauvres matchs de l’Équipe de France et quelques grandes affiches de Ligue 1 comme le classique PSG-OM du 13 septembre dernier qui n’aurait pas enthousiasmé notre attachement au football. Pour le cas Griezmann, il y aurait bien sûr eu des échos de la presse espagnole pour nous dire que Grizi était méconnaissable, démoralisé, absent. Mais aurions-nous cru à ce portrait d’un joueur à l’opposé de ce que nous avions vu à l’été 2018 ? Ce n’est vraiment pas évident. D’autant plus en voyant, ce 14 novembre, sa belle prestation face au Portugal d’un João Félix passé à côté de son match. Bizarre, la même presse espagnole nous indiquait que le prodige portugais marchait sur l’eau en ce moment…
En clair, notre vision serait faussée. Inévitablement. Non, Griezmann n’est pas en ce moment le joueur que l’on a vu face au Portugal. Et Félix non plus. Seulement, ce mensonge nous aurait certainement donné le sourire. On aurait eu confiance en notre Grizou : « L’Espagne nous raconte n’importe quoi ! Notre taulier du Mondial est toujours le même ! ». Seulement, est-ce une bonne chose ? Assurément pas. Nous avons atteint un tel potentiel niveau de connaissance footballistique pour celui qui veut regarder du football tout le week-end. En payant le prix cher ou en préférant les plus ou moins fiables et illégaux moyens de transmission, nous pouvons regarder tous les championnats et choisir le match qui nous plaît parmi eux. On peut avoir un avis fondé sur Griezmann, Félix, Papu Gómez, Dimitri Payet, Jack Grealish ou Emil Forsberg et démentir la presse avec les mêmes armes si nous le souhaitons. C’est inespéré. Pour le passionné c’est un rêve : avoir une connaissance exhaustive de ce que l’on choisit de voir.
Alors, l’idéal de la consommation du football se situe-t-il dans les années 1980 ou au début des années 2020 ? Ces deux extrêmes remettent en perspective notre consommation personnelle et son évolution depuis le mois de mars. Certainement, nous ne voulons pas d’un retour à une dictature de la diffusion où nous serions tous devant le même match et ce seulement une à deux fois par mois. Notre passion est ainsi intacte. Pourtant, la volonté grandissante de freiner notre consommation de football peut nous renfermer vers quelques matchs : uniquement ceux de notre club, uniquement ceux correspondant au mieux à nos horaires, etc. Comme nos corps confinés, comme nos peurs ou comme notre moral, notre passion est forcément questionnée en ces temps troublés. Nous n’avons peut-être pas le même avis sur cette question et ne constatons pas les mêmes évolutions dans nos ressentis. Il faut s’en réjouir.
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