Le triomphe de la France au mondial 2018 a étoffé le palmarès bien rempli d’une nation qui a joué un rôle phare dans l’histoire et le développement du football. Ce sport a conquis une place importante dans le cœur de la population et dans la culture française. Si aujourd’hui le ballon rond est considéré comme le sport national, cela n’a pas toujours été le cas et son implantation fut longue et difficile.
Les débuts sont poussifs. Le football professionnel s’organise rapidement en Angleterre. Ce sont en effet les Anglais qui introduisent le jeu en France et fondent les premiers clubs, notamment à Paris. Cependant, l’heure n’est pas au professionnalisme. L’USFSA (l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques, fédération omnisports qui a vocation à gérer l’ensemble du sport français) privilégie son amateurisme et son indépendance, ce qui pèse sur l’expansion du football en France. L’essor des patronages catholiques, des clubs patronaux et de l’ouverture de l’USFSA contribuent peu à peu à la popularisation du football. Très tôt, le football se dote d’un organisme international. Le point culminant de l’USFSA est l’année 1904 avec la fondation à Paris de la Fédération internationale de football association (FIFA). Cette même USFSA est chargée de représenter le football français à l’étranger. L’équipe de France est fondée de ce fait en 1904. Le football connaît un changement d’orientation en 1905 avec la montée en puissance de la Fédération de Gymnastique Sportive des Patronages de France (FGSPF). Cette fédération regroupant les clubs sportifs est mise en place au sein des patronages catholiques et décide de faire du football le sport référence.
Les débuts sont compliqués car les succès ne sont pas au rendez-vous. Le tout premier match international de l’Equipe de France, en mai 1904, se solde sur un match nul, 3 à 3, contre la Belgique. Divisée entre USFSA et FGSPF, la France enchaîne une série de quatorze défaites entre 1908 et 1914, dont la plus large de son histoire sur le score de 17 à 1 contre le Danemark en 1908.
L’impact de la Première Guerre mondiale
La Grande Guerre contribue à diffuser le football. Il est le sport préféré des Poilus dans les tranchées car le sport permet de lutter contre la démoralisation des troupes et les soldats ont besoin de s’occuper pendant leur temps libre. Des terrains sont alors aménagés le long du front français. Ainsi, celui-ci représente un lieu d’acculturation footballistique, notamment pour des poilus issus des campagnes et donc peu enclin aux pratiques sportives.
C’est pendant la guerre que naît la Coupe de France. Depuis le début du XXème siècle, la Coupe d’Angleterre est la compétition exemplaire des footballeurs français. Lorsque Charles Simon, dirigeant sportif français, secrétaire général de la FGSPF, meurt au front en 1915, les instances souhaitent lui rendre hommage. Sa mort donne l’occasion de créer une compétition, sur les mêmes bases que la Coupe d’Angleterre, ouverte à tous les clubs. La première édition, qui a lieu en 1917, prend le nom de Coupe Charles Simon et est alors la seule épreuve à caractère national.
L’essor du football passe aussi par l’engagement des femmes. Le premier match est disputé à Paris entre les membres du club Femina Sport. Le football féminin connait petit à petit un essor, surtout à Paris, auprès de joueuses d’origine populaire ou petite bourgeoise. En 1920, la sélection des meilleures joueuses françaises est invitée à disputer des rencontres contres l’équipe nationale féminine anglaise. Un certain engouement apparaît et des foules se rassemblent pour assister à ces matches. Cependant, le regard porté vers le football féminin est encore ambigu, car c’est un sport qui réunit en essentiellement des hommes et ceux-ci désapprouvent la pratique d’une activité qui menacerait les fonctions procréatrices ainsi que la reconnaissance de l’émancipation de la femme.
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Vers la naissance d’un football-spectacle pendant l’entre-deux-guerres
La guerre et la création de la Coupe Charles Simon accélèrent l’unification du monde du football, qui ne voit plus l’intérêt de rester dans une organisation omnisports. La Fédération française de football est donc créée en 1919.
La question de l’adoption du professionnalisme se pose juste après la guerre, dans un contexte économique favorisé par l’essor du football spectacle. Les joueurs français qui ont à l’époque un travail et doivent faire face aux exigences de leur employeur, ne peuvent s’absenter trop longtemps. C’est pourquoi ils demandent à leurs dirigeants un remboursement de leur manque à gagner dû à leur absence au travail. Très vite, deux camps se font face : l’un se refuse à adopter le professionnalisme, l’autre voit dans l’adoption du statut professionnel un facteur de démocratisation du football de haut niveau. Quand en 1929, le FC Sochaux est créé, son président engage grand nombre de vedettes françaises qu’il déclare payer pour leurs prestations sportives. Le club assure ainsi la promotion du professionnalisme. Il est désormais difficile de résister à ce tournant que prend le football en France. En 1932, le statut professionnel est rédigé et le premier championnat professionnel voit le jour.
Le développement du football spectacle et plus particulièrement du sport spectacle en France a participé à la constitution d’une culture sportive française. C’est à cette période que le football-spectacle fleurit en même temps que la culture de masse. La finale de la Coupe de France attire tout au long des années 1920 plus de 25 000 spectateurs.
L’information sportive progresse toujours plus à cette époque grâce aux médias en plein développement. La presse populaire apparaît dans les années 1930 et le sport fait le succès de ces journaux. Les grands matchs de foot donnent lieu à un nouveau style radiophonique. Le reporter doit alors décrire, commenter et restituer l’ambiance dans les stades. La rencontre de la France à la Coupe du Monde 1934 face à l’Autriche est, dès lors, couverte par deux radios françaises.
Quand football, initiatives étatiques et enjeux idéologiques ne font qu’un
La guerre a eu des conséquences profondes sur le domaine d’action de l’Etat. A présent, les pouvoirs publics intègrent la question des exercices physiques dans les politiques nationales et cela a des retombées sur le football. Les politiques publiques se développent aussi dans les colonies françaises où le sport y est introduit. Le football association se développe, grâce aux missionnaires et aux militaires, et véhicule l’acculturation sportive aux populations locales. Entre 1920 et 1937, le nombre de clubs de football de l’Afrique Occidentale française passe de 659 à 5828.
A partir des années 1930 le monde du football fait face à l’émergence et à l’instrumentalisation du sport des régimes totalitaires. Le football est un moyen de se promouvoir à l’international : on multiplie donc les rencontres sportives à l’étranger. Cet activisme français doit être associé à la créativité dans les organisations de football internationales. En effet, la capacité de la France à créer des grandes compétitions internationales s’illustre notamment par la première Coupe du Monde de football, disputée en Uruguay en 1930, dont Jules Rimet et Henri Delaunay – tous deux français – ont été les principaux investigateurs.
Sur le terrain cependant, les résultats demeurent compliqués. L’Equipe de France ne parvient pas à honorer l’influence de ses dirigeants. A l’inverse d’eux, elle se montre peu efficace comme en témoignent ses éliminations au premier tour des deux premières Coupes du Monde. La France accueille la troisième Coupe du monde de l’histoire, en 1938. Pour cela, les édifices sont réaménagés. La compétition s’avère être un succès populaire, mais la France perd face à l’Italie en quart de finale. Si la France est un pays influent sur les instances internationales, elle n’est cependant pas encore un pays de football.
Le régime de Vichy a pour objectif de redresser moralement et physiquement la jeunesse française. C’est pourquoi le football ne s’arrête pas et continue d’occuper une place de plus en plus active chez les Français. La question du sport et de l’éducation physique devient une préoccupation pour le pouvoir en place, et des compétitions sportives continuent d’être organisées. Tout au long de l’Occupation, une forte pratique du football se confirme. La FFF gagne d’ailleurs de nombreux licenciés entre 1938 et 1944, en passant de 188 760 à 277 832.
Le retour en force du football professionnel et l’arrivée d’un football compétitif
La guerre finie, le football-spectacle est de retour pour s’épanouir et le professionnalisme, un temps supprimé par le régime de Vichy, réapparaît. Avec les nouveaux enjeux internationaux, les compétitions de football disputées ou inventées en France ont une connotation européenne. En 1955, le journal l’Equipe et Gabriel Hanot – alors journaliste – mettent en œuvre la Coupe d’Europe des clubs champions, qui deviendra par la suite la Ligue des champions. Le Stade de Reims, le plus grand club français de l’époque, atteint la finale par deux fois. Cette affirmation se renforce par les performances de l’Equipe de France qui réalise une grande Coupe du Monde en 1958, finissant troisième. L’équipe se distingue par son jeu offensif de qualité, auquel est mêlé une grande technique. Toutefois, les années 1960 sont marquées par une période creuse du football français, puisque la France échoue à se qualifier au Mondial 1970. Les clubs, quant à eux, ne réussissent pas à franchir les premiers tours des Coupes d’Europe.
Il faut attendre les années 1970 pour voir le ballon rond devenir le sport numéro un en France. Les pratiquants sont de plus en plus nombreux et les médias investissent le monde professionnel. L’affiliation sportive augmente. La culture footballistique se forme aussi en grande partie devant la télévision grâce aux progrès de la médiatisation du sport. De plus, le football bénéficie du désir de sport et de l’offre municipale d’équipements. Le sport de masse prend de l’ampleur et attire les plus jeunes ; la FFF double ses effectifs dans les années 1970. Entre 1965 et 1975, des milliers de terrains de football apparaissent dans les zones urbaines. Petit à petit, la population française se « footballise » et le développement de la télévision renforce cette tendance. Cette mutation médiatique est aussi bien qualitative que quantitative. Les matchs sont retransmis dans leur intégralité dès le Mondial 1966. Au début des années 1970, de nouvelles innovations offrent au spectateur une manière révolutionnaire de voir le football. Le spectacle est davantage dramatisé, les caméras en couleur se multiplient et le ralenti est introduit. Cette scénarisation est mise en paroles par des duos de commentateurs charismatiques. Saint Etienne marque le football français des années 1970, et l’épopée formidable des Verts en Coupe d’Europe force les autres clubs français à se surpasser. En 1978, Bastia atteint la finale de la Coupe UEFA contre le PSV Eindhoven. De plus, l’ossature stéphanoise profite à l’équipe nationale, prête à jouer de nouveau les premiers rôles avec l’arrivée d’une génération de joueurs talentueux qui laisse présager d’un bel avenir. Ces exploits sportifs attirent les retransmissions télévisées et le public. Grâce à l’explosion des médias, des émissions sportives spécifiques apparaissent. Téléfoot est diffusé pour la toute première fois en 1977 et son succès permet à l’émission d’être reconduite et de toujours être projetée à l’heure actuelle.
Le football : une pratique de masse hypermédiatisée
Les années 1980 sont marquées par la démocratisation de l’accès au football. Le taux de pratique augmente. Malgré tout, le football reste encore largement pratiqué par des hommes.
Le football prend alors une place nouvelle en France. En remportant les Euros 1984 et 2000 ainsi que la Coupe du Monde 1998, la France passe désormais pour un pays de football, une nation qui sait remporter des compétitions importantes. Ce sport semble illustrer l’intégration « à la française » de ses joueurs qui deviennent des personnages publics. L’intégration se symbolise par cette équipe « black blanc beur » qui représente la France métropolitaine, celle des DOM TOM et celle des anciennes colonies. Ces grandes performances offrent aux Français des émotions uniques, qu’aucun autre sport ne procure, à savoir cette fierté d’être Français. Une nouvelle identité nationale caractérisée par une intégration réussie se met en place.
Le succès du football ne peut s’expliquer sans l’aide des médias. Leur augmentation au cours des années 1980 et 1990 renforce sa visibilité notamment sur les écrans car il est le sport maître en termes d’audience. L’apparition de Canal+ change la manière de filmer en multipliant les caméras au plus prêt du terrain et des joueurs. Les radios, de leur côté, ont élargi la place réservée à ce sport dans leurs programmes en dédiant certaines soirées uniquement au football et à des débats.
C’est ainsi que le football est devenu le sport de référence en France. Cependant, encore à l’heure actuelle, la France n’est pas perçue par tous comme un pays de football, avec une culture footballistique et ce, malgré son récent sacre au Mondial 2018. Les mauvaises performances des clubs français en Coupe d’Europe contribuent à dégager cette impression. De plus, le supportérisme français n’est pas réputé des plus actifs, hormis dans certains stades, à cause d’un manque d’identités collectives autour de ce sport. Reste également à s’occuper du football féminin encore aujourd’hui décrié et qui a du mal à attirer un public nombreux et fidèle. La Coupe du Monde de football féminin, organisé en France en juin 2019 changera peut-être un peu la vision et les jugements à son égard.
Sources :
- Sport, société et culture en France du XIXème siècle à nos jours, Paul Dietschy et Patrick Clastres, Paris, Hachette, 2006.
- Fédération française de football.