À la retraite forcée depuis son licenciement du FC Nantes fin 2020, Christian Gourcuff laisse derrière lui près de trente ans d’exercice. D’abord comme entraîneur-joueur puis seulement dans la première fonction, il a une histoire intimement liée au FC Lorient. Le Breton a, en effet, entraîné trois fois cette équipe, de 1982 à 1986, de 1991 à 2001 et de 2003 à 2014. Ces vingt-cinq années cumulées lui ont permis de pouvoir travailler sur le long terme et de conserver une continuité dans le groupe des Merlus.
Le natif d’Hanvec a commencé sa carrière d’entraîneur-joueur du côté de Lorient, en 1982, avant de la poursuivre quelque temps avec les clubs du Mans et de Pont-L’Abbé. Mais en 1991, à 36 ans, son corps ne suit plus et le contraint à s’installer définitivement sur le banc. « Mon rôle exigera davantage de communication, d’autorité également, alors que sur le terrain il existait une certaine complicité », confie alors au Télégramme celui qui entre dans une nouvelle partie de sa vie.
Doucement mais sûrement
Cinq ans après le départ de Christian Gourcuff, le club du Morbihan est empêtré en Division 3. Le nouvel entraîneur n’évoque pas de résultats sérieux pour ses débuts mais a pour objectif premier de retrouver une identité forte au sein de l’institution lorientaise. Autour de cadres déjà présents durant sa première expérience comme Gilles Hado, Michel Le Lay ou Didier Le Tallec, il entend faire mûrir un groupe porté vers l’offensive.
Toute la saison, les Tango et Noir impressionnent les quelques 1500 spectateurs venant au Moustoir les week-ends. Les hommes de Gourcuff confisquent le ballon et le font vivre face à tous leurs adversaires. Même lorsque ceux-ci jouent dans l’équipe 2 du FC Nantes, qu’ils s’appellent Pedros, Karembeu, Ouedec et qu’ils sont entraînés par Raynald Denoueix. Grâce à un jeu reconnaissable à ce niveau, le FC Lorient retrouve la deuxième division dès la première saison de son coach.
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Difficile pourtant de se maintenir à ce stade. L’allant offensif lorientais entraîne un grand risque et coûte des points précieux dans un championnat plus relevé. La deuxième saison de Gourcuff est un difficile apprentissage puisque son équipe descend d’un échelon pour arriver dans la compétition qui s’appelle désormais National 1. Cette fois, l’ambition est claire : remonter le plus vite possible tout en maintenant un jeu attractif. Chose réussie lors de la saison 1994/95 en terminant champion.
Penser la défense
Le FC Lorient version Christian Gourcuff se fait, doucement mais sûrement, une réputation dans les championnats inférieurs français. Tout le monde ou presque commence à connaître son jeu vers l’avant et tente ainsi de lui causer des problèmes dans le dos de sa défense. Ainsi, pour se maintenir et voir plus haut, l’entraîneur breton se penche attentivement sur ce jeu sans ballon. Si le 4-4-2 de Gourcuff est aujourd’hui une référence en termes de couverture défensive et de défense en ligne, il ne s’était encore jamais trop penché sur le sujet préférant les phases de possession.
Le point de départ de cette réflexion s’est déroulé en février 1994 lorsque Lorient se prépare à affronter le Nantes de Jean-Claude Suaudeau. Pour surprendre son adversaire, au style similaire, Christian Gourcuff demande à son relayeur Jean-Marc Trinita de descendre près de ses centraux pour quadriller toutes les zones du terrain. L’entraîneur des Canaris confirme : « Les Lorientais, en ne nous laissant pas le moindre espace, ont su intelligemment nous contrarier ». Le match sera finalement perdu par le FCL mais le jeune coach complète sa palette tactique pour ses années futures.
Le pressing est encore hésitant mais on sent les intentions de l’équipe de Christian Gourcuff à la perte du ballon. Lorsque son emploi de professeur de mathématiques lui offre un peu de temps, l’entraîneur lorientais s’abreuve d’informations sur Arrigo Sacchi alors sélectionneur de l’Italie après avoir tout gagné avec l’AC Milan. Les deux hommes se rejoignent sur une idée commune du jeu collectif, de la défense en ligne et de la réaction à la perte de balle. Ce lien ne cessera de suivre le Français durant sa carrière.
Gourcuff et ses premiers obstacles
Jouer au football de manière offensive et, parfois, naïve au sein de la troisième division nationale est plutôt rare. Cela n’assure d’ailleurs pas que des amis. La première partie de la carrière d’entraîneur de Christian Gourcuff lui fait découvrir les spécificités de ce métier et les critiques qui vont avec. Lors de la saison 1992/93 où Lorient est relégué en National 1, beaucoup d’observateurs remettent en cause les risques entrepris par l’équipe en le qualifiant d’esthétisme gratuit de par son manque d’efficacité. Des remarques qui reviennent également après une série de défaite en début de saison 1994/95 auxquelles l’entraîneur répond dans les colonnes de Ouest France :
« Je me suis fixé une ligne de conduite. Et il est hors de question que j’en change tous les huit jours. Ou sinon, on est une girouette. Moi, je crois qu’il faut toujours viser la progression des joueurs. Et dans le cas de Lorient, je crois que c’est le système qui tire la quintessence des joueurs. C’est le système qui fait la différence. Si on revenait à une tactique classique, on deviendrait une équipe banale, car on n’a pas des individualités au-dessus. Et puis de toute façon, si on me disait qu’il faut mal jouer pour gagner, je partirais. »
Dans son ouvrage Christian Gourcuff, un autre regard sur le football, Loïc Bervas pointe du doigt un autre obstacle qui se dresse sur la route du tacticien lorientais : l’anti-football. Dans les divisions inférieures, les joueurs adverses ne trouvent souvent pas d’autres solutions que de stopper la progression du jeu cours des Merlus par la voie illicite. Entre violence verbale et agressions physiques, les hommes de Christian Gourcuff peinent parfois à mettre en place leurs mouvements privilégiés mais prouvent finalement que le jeu l’emporte toujours.
Esthétisme payant
Après la montée en deuxième division en 1995, le FC Lorient entend bien se maintenir et ne pas vivre la même désillusion que deux ans plus tôt. Pour cela, l’entraîneur rassemble tous les ingrédients absorbés depuis ses débuts pour réaliser une recette mêlant enthousiasme offensif et rigueur défensive. Petit à petit, ce jeu sans ballon est davantage compris par les joueurs qui ont une grande responsabilité dans la réussite du système.
Les mouvements sont primordiaux durant les phases de possession à l’instar du football total hollandais afin de créer le déséquilibre chez l’adversaire. Ils le sont également à la perte du ballon. Les courses de replacement se doivent d’être parfaitement huilées pour éviter toute contre-attaque. Le pressing lorientais se fait de manière à voir un premier joueur sortir sur le porteur de balle tandis que ses coéquipiers assurent une couverture latérale en se positionnant en ligne. Ces lignes doivent être obliques selon la zone dans laquelle le ballon se trouve afin de quadriller au mieux le terrain.
Avec le plus petit budget de deuxième division, Lorient se maintient et réussit à monter dans l’élite du football français en 1998. L’esthétisme de l’équipe de Christian Gourcuff existe toujours mais l’organisation collective est désormais viable avec une réelle efficacité comptable. Carlo Molinari, président du FC Metz, avoue même que Lorient est « la seule équipe de D2 qui ait un style ». La montée historique, c’est bien, la reconnaissance du football français, c’est mieux.
Apprentissage du haut niveau
1998 est l’année de la découverte de la Division 1 pour Christian Gourcuff et la majorité de son effectif. Depuis sept ans, le club et son entraîneur travaillent de concert pour arriver à ce stade-là tout en sachant que l’apprentissage allait être encore plus difficile. Les obstacles passés précédemment semblent décuplés avec cette accession à l’image d’un budget estimé à 66 millions de francs, bien loin de ceux de l’Olympique de Marseille et ses 220 millions ou du Paris Saint-Germain et ses 300 millions de francs.
La saison est difficile pour les Tango et Noir qui n’arrivent pas à mettre en place le jeu qui avait fait leur succès dans les divisions inférieures. De la même façon, les résultats ne suivent pas et l’ambiance s’en fait ressentir au sein du club. Dernier du championnat en novembre, le FC Lorient voit son président Louis Le Gallo être remplacé par Noël Couëdel. Pour Christian Gourcuff, cela ne change pas grand chose puisque le nouveau dirigeant dit lui donner encore davantage de responsabilités.
Malheureusement, l’électrochoc n’y fera rien, Lorient est relégué. L’apprentissage du haut niveau est cruel pour l’entraîneur qui doit, de nouveau, faire face aux critiques sur un potentiel plafond de verre sportif. Comme avant, cet échec lui sera formateur en quête d’une nouvelle montée vers l’élite. C’est justement après deux saisons en D2 que Lorient retrouve la tant attendue D1. L’ambiance n’est pourtant toujours pas au beau fixe à l’intérieur même du club où Christian Gourcuff est poussé de force dans une guerre institutionnelle entre le président et les actionnaires. Le tacticien breton affirme tout son soutien à Noël Couëdel pour préparer au mieux la saison suivante en première division.
Une première fin pour Gourcuff
Malgré l’assurance de la montée, les semaines de crise ont pesé sur le moral de celui qui officie à Lorient depuis, désormais, dix ans. Le nouveau succès lui permet de prendre une décision sereine connaissant l’état du club et en étant donc conscient qu’un départ de sa part ne serait pas préjudiciable. Longtemps courtisé par l’OM De Robert Louis-Dreyfus, Christian Gourcuff décide de s’engager avec le voisin rennais.
Avant de prendre ses valises, il lui reste un dernier match au Moustoir face à Créteil. La victoire (3-1) marque la fin d’une histoire qui reprendra finalement dès 2003. Les supporters lorientais ne le savent pas encore et offre à sa légende un véritable bain de foule en envahissant la pelouse.
De 1991 à 2001, Christian Gourcuff a multiplié les tâches au sein du FC Lorient pour en faire un club compétitif et reconnu. Cela notamment sur le plan du jeu auquel l’entraîneur accorde une grande importance. De la troisième à la première division, le Breton a su se réinventer pour faire face aux différents obstacles. Après un départ réussi, la carrière d’entraîneur de Christian Gourcuff est réellement lancée dix ans plus tard.
Sources :
- « Christian Gourcuff, un autre regard sur le football », BERVAS Loïc, 2013, Liv’éditons
- Dailymotion : « Football, l’intelligence collective »
- La Causerie : « Christian Gourcuff l’enseignant »
Crédits photos : Icon Sport