Si aujourd’hui, jouer en Premier League semble être devenu le graal de tous les pensionnaires de centre de formation, il fût une époque pas si lointaine où ce sont parfois les sujets de sa majesté qui sont venus s’offrir un peu de gloire de ce côté-ci de la Manche. Les années 80-90 en ont vu passer quelques uns: Glenn Hoddle et Mark Hateley à Monaco ainsi que Graham Rix qui passa par Caen et Le Havre. Mais aucun n’a marqué son club comme Chris Waddle qui enchanta la cité phocéenne pendant trois saisons.
Jusqu’à la fin des temps, les supporters de l’OM se souviendront de ce moment… 20 Mars 1991, Stade Vélodrome. L’OM reçoit le Milan AC d’Arrigo Sacchi, tenant du titre, en quart de finale de la coupe d’Europe des clubs champions après un nul 1-1 prometteur à l’aller. Infiltré sur le côté gauche, Pelé centre pour Jean-Pierre Papin, qui, un peu court, remet de la tête pour son ailier droit Chris Waddle qui frappe instantanément du droit et bat Sebastiano Rossi au ras du second poteau. L’OM vient d’entrer dans la cour des grands d’Europe grâce un joueur que 95% de la France du football connaissait à peine dix-huit mois plus tôt. Mais ils ont une excuse. Chris Waddle a bien failli ne jamais faire carrière dans le football.
Des débuts difficiles
Né en 1960 à Gateshead dans la région du Tyneside, Christopher Roland « Chris » Waddle n’est pas de ces footballeurs dont le destin était tout tracé. Très doué balle au pied dans les équipes scolaires, le jeune Chris est rapidement repéré par Coventry City, à l’époque en First Division (l’appellation Premier League ne sera créée qu’en 1992). Mais le jeune Chris est limité sur le plan physique, notamment au niveau de sa puissance et de sa taille. Dans une Angleterre seventies qui jure avant tout par l’impact, les tacles virils et le kick & rush, ses dribbles soyeux qui sentent plus le Brésil que la bitter ale ne sont pas suffisants pour être conservés. Waddle a seize ans et voit ses rêves de gloire s’envoler. Il est alors embauché comme ouvrier à la chaîne dans une usine du Tyneside qui fabrique des saucisses et des tourtes à la viande et signe en amateur à Tow Low Town, un club de la région.
Pourtant en fin d’adolescence, il grandit et rattrape son retard de taille par rapport aux autres joueurs, tout en se musclant tous les jours à l’usine. Sa transformation physique, couplée à son toucher de balle toujours impeccable et ses dribbles déroutants, terrorise ses adversaires dans des ligues amateurs devenues clairement trop petites pour lui. Newcastle et Sunderland, les deux grands clubs de la région, alertés par la rumeur, finissent par envoyer des observateurs. Supporter des black cats depuis l’enfance, Waddle rêve évidemment de jouer pour Sunderland. Mais c’est le rival Newcastle, en deuxième division à cette époque, qui va finir par lui offrir sa chance avec un contrat d’un an en 1980.
Au sein d’une attaque clairement bâtie pour le niveau supérieur composée de lui-même, Kevin Keegan (double ballon d’or en 1978 et 79) et Peter Beardsley (qu’il retrouvera ensuite en équipe d’Angleterre), le jeune Chris progresse vite. Au bout de six mois, son salaire est doublé et son contrat prolongé de deux ans. Newcastle United monte en First Division à l’issue de la saison 1983-1984 et Waddle continue de régaler à l’étage supérieur. Au point qu’il se voit offrir sa première sélection en équipe d’Angleterre en 1985.
Désireux de viser plus haut, Waddle est transféré à Tottenham pour £590.000 en 1985 après 170 matchs et 42 buts pour les Magpies.
Dans le nord de Londres, Waddle s’affirme comme une valeur sûre et consolide sa place en équipe nationale où sans être un titulaire indiscutable, il participera au mondial 1986 et à l’Euro 1988. En club, il atteindra une finale de Cup en 1987.
En 1989, Waddle se réengage avec les Spurs pour sept saisons. Pourtant, un homme va faire basculer son destin : Bernard Tapie.
La gloire marseillaise
Au cours du premier semestre de 1989, le président phocéen se rend à White Hart Lane pour superviser Paul Walsh, l’avant-centre de Tottenham. La suite, il la raconte dans le documentaire C’est l’histoire d’un but :
« Je vois trois joueurs. Walsh, pour qui j’étais venu mais qui ne me convainc pas. Gascoigne, phénoménal. Mais on a déjà des joueurs comme lui. Dans un style différent, peut-être pas aussi bon, mais on a. Et puis je vois Waddle. Il passe la plupart de son temps les yeux en l’air parce que ses coéquipiers jouent en kick & rush. Mais à chaque fois qu’il touche la balle… C’est magique, d’un autre monde. Donc outre son efficacité, il ajoute le spectacle. Et les gens qui viennent au stade viennent pour le spectacle. »
Tapie retient le nom du joueur. Sauf qu’à l’été 1989, son objectif est de signer rien moins que Diego Maradona. Mais même la somme, impensable pour l’époque, de 100 millions de francs (15 millions d’euros environ) ne parvient pas à décider les dirigeants napolitains à vendre leur génie argentin. Disposant donc d’une place en attaque et d’une place inutilisée pour un étranger dans l’effectif (jusqu’à l’arrêt Bosman en 1995, il était interdit d’en avoir plus de trois) Bernard Tapie décide alors de faire venir ce fantasque ailier anglais quasi inconnu en France qui lui avait tapé dans l’œil.
Tottenham demande alors quatre millions et demi de livres à l’OM (environ sept millions d’euros) persuadé, tout comme Waddle lui-même d’ailleurs, que la somme va dissuader Tapie. Mais ce dernier accepte le deal sans broncher et Waddle devient marseillais à la grande surprise du public qui se demande comment son président a pu mettre un montant pareil (le troisième plus gros transfert de l’histoire à l’époque) sur un joueur quasi inconnu en France.
Son intégration à l’effectif phocéen vire d’abord au cocasse. Le jour de son arrivée, Waddle est interviewé à sa descente d’avion par un journaliste qui lui demande s’il est impatient de découvrir le vélodrome. Waddle lui répond en souriant qu’il en a évidemment très envie. Le journaliste lui demande ensuite quelle chanson il compte chanter. Très surpris de la question, Waddle répond au journaliste qu’il fait sans doute une erreur de personne. Et pour cause, ce dernier pensait interviewer le chanteur du groupe Pink Floyd qui devait se produire le soir même dans l’enceinte des ciel et blanc. La suite est à peine moins conventionnelle. Arrivé sans entraînement au sein d’un groupe qui avait déjà un stage d’avant-saison dans les jambes, Waddle ne tient pas la cadence sur le plan physique. La chaleur caniculaire de l’été 1989 n’arrange rien pour un joueur qui, hors match de sa sélection, n’a jamais évolué hors d’Angleterre et de son climat frais. Par ailleurs, Waddle doit vivre à l’hôtel le temps de trouver un logement et a du mal à communiquer dans la vie de tous les jours puisqu’il ne parle pas un mot de français. Et enfin, dernier problème et non des moindres, Gérard Gili, l’entraîneur des ciel et blanc, ne sait pas où positionner un joueur qu’il ne connaît pas et que son président a recruté sur un coup de tête sans le prévenir. Comme le raconte Waddle lui-même :
« Au début, on m’a mis à gauche puisque j’étais gaucher. Puis en soutien derrière Jean-pierre Papin. Et un jour, lors d’un entraînement de milieu de semaine après quelques journées, Gili vient me voir avec Jean-pierre Bernès (le directeur général de l’OM) pour traduire ses propos. Ils me tendent une feuille avec un terrain dessiné et un stylo et me demandent où je veux jouer. Je fais une croix sur l’aile droite, mon poste habituel en Angleterre. Ils me demandent si je suis sûr et j’insiste. Et c’est comme ça que j’ai retrouvé mon vrai poste. »
Par ailleurs, pour faciliter son intégration, Papin, seul anglophone de l’effectif, décide de loger son partenaire d’attaque chez lui pour quelques semaines.
Après quelques semaines difficiles au cours desquelles il perd les kilos superflus qui le gênent en termes de vitesse et d’accélération, Waddle est enfin prêt à se faire connaître du public français.
Sa naissance à la gloire aura lieu contre le PSG. Si, à l’époque, la rivalité entre les deux clubs n’existe pas encore, c’est un choc sur le plan sportif entre un OM tenant du titre et un PSG vice-champion. Waddle va profiter de ce match retransmis en direct, fait rare à l’époque, pour exposer son talent.
Sur une passe en cloche d’Éric Di Meco dans la surface, Waddle se présente seul face aux gardien international parisien Joël Bats qu’il élimine d’un sombrero précédé d’un contrôle poitrine avant de marquer au ralenti dans la cage vide.
Ce match et ce but télégénique vont alors marquer le début d’une histoire d’amour entre Waddle et les supporters phocéens. Ultra-spectaculaire du fait de ses dribbles déroutants, toujours de bonne humeur et capable d’attaquer les matchs les plus importants le sourire aux lèvres, il entretenait en sus sa complicité avec le public en multipliant les pitreries visibles depuis les gradins. Au point que même les supporters adverses avaient souvent une affection particulière pour ce joueur attachant. Sa popularité déclenchera d’ailleurs une impensable hype pour la coupe de cheveux à nuque longue dite « mulet ». Des dizaines de milliers d’enfants (dont l’auteur de cet article), surtout dans les environs de Marseille, débarquaient alors chez les coiffeurs en demandant une coupe « à la Waddle » ou plutôt « Ouadeule » avec l’accent phocéen. À une époque où le terme merchandising commence à peine à être entendu dans le football et où la starification des joueurs est loin d’être ce qu’elle est devenue, ce joueur aussi spectaculaire qu’attachant était une vedette. « On a fait plein de produits divers à mon nom comme du vin. Des adolescentes de quinze ans me couraient après alors que j’en avais trente. La folie à Marseille, c’était dingue » se remémore-t-il en riant dans un documentaire qu’OMTV lui a consacré il y a quelques années. Il ira même jusqu’à enregistrer un disque avec son coéquipier Basile Boli (qui, pour être honnête, ne restera pas dans les annales de la musique).
Par ailleurs, son entente avec Papin s’affine. Canonnier hors pair, JPP apprend très vite à profiter des caviars offerts sur un plateau et des espaces ouverts par son nouveau partenaire. Il finira d’ailleurs la saison à 30 buts en championnat, une large part avec des passes décisives signées Magic Chris.
Au cours de cette saison 1989-1990, Chris Waddle découvrira aussi les joutes européennes. N’ayant jamais pu jouer de coupe d’Europe ni avec Newcastle car non qualifié. Ni avec Tottenham puisque son arrivée chez les Spurs fut consécutive au drame du Heysel qui vit les clubs anglais se faire suspendre de coupe d’Europe pour cinq ans par l’UEFA.
L’OM fit cette année là un grand parcours qui vit le club s’incliner en demi-finale face à Benfica sur un but marqué de la main par l’attaquant angolais Vata.
Un autre grand match de Waddle est entré dans les mémoires cette saison-là. Après une défaite à Lescure contre le rival historique bordelais, l’OM grignote petit à petit son retard semaine après semaine. Quand les girondins se présentent à Marseille, l’OM voit enfin la possibilité de reprendre seul les commandes du championnat. Waddle va alors faire découvrir à la France du foot une autre facette de son talent. En marquant deux buts tous les deux sur coup franc, le fantasque anglais offre sur un plateau à son club une tête de championnat qu’il ne quittera plus. Waddle gagne là, à presque trente ans, le premier titre de sa carrière.
Les exploits les plus notables de Waddle à l’OM
Waddle part au mondial 1990 où il se fera remarquer en jouant…avec les cheveux courts qu’il a coupés en soutien à un enfant malade (la mode du mulet durera quand même à Marseille) et en envoyant dans les tribunes son tir au but en demi-finale face à l’Allemagne.
La saison suivante, Waddle attaque sur les mêmes bases: dribbles déroutants, caviars pour JPP, et coups francs dévastateurs. Auxquels il faut évidemment rajouter le but contre Milan qui demeurera le sommet de sa gloire.
L’OM atteindra cette saison-là la finale de la C1, perdue aux tirs au but face à l’étoile rouge de Belgrade, et celle de la coupe de France, perdue 1-0 face à Monaco, tout en gardant son titre de champion.
Une fin en pente douce au pays
En 1991-1992, l’OM écrasera comme jamais le championnat. Mais l’objectif ouvertement avoué d’être champion d’Europe se fracassera dès le mois d’octobre au deuxième tour face au modeste Sparta Prague pour une compétition dénommée pour la première fois Ligue des champions et qui inaugurera, sans l’OM éliminé avant, sa première phase de poule.
Cette défaite aura des conséquences importantes. Privé de ressources financières prévues au budget, du fait de son élimination précoce en C1, l’OM doit se séparer de certains joueurs pour dégager de l’argent. Papin, élu ballon d’or quelques mois plus tôt, signe au Milan AC et s’offre des adieux émouvants lors de la dernière journée contre l’AS Cannes.
Waddle lui, comprend qu’il va sûrement devoir partir, mais est dans l’incertitude :
« C’était une période étrange. À l’évidence, le club avait besoin d’argent. On m’a donc dit que j’allais sûrement devoir partir. J’aurais aimé rester en France, mais Tapie ne voulait pas. Donc il a mis un prix élevé sur ma tête, mais le prix était plus faible si un club anglais voulait me rapatrier. Le prix élevé a dissuadé les clubs français, surtout que j’avais déjà trente-deux ans. Mais pour les clubs anglais, c’était un bon prix. Et donc du jour au lendemain, je me suis retrouvé à Sheffield Wednesday.
Je suis juste déçu parce que j’aurais aimé avoir un moment pour annoncer mon départ aux supporters. Là, je n’ai rien pu faire pour montrer ma sympathie au public et le remercier. »
Waddle signe donc à Sheffield Wednesday avec qui il jouera une finale de Cup en 1993, perdue 2-1 contre Arsenal en rematch après un nul 1-1.
Tapie l’invitera même à la préparation de la finale victorieuse de l’OM en C1. Finale que son acolyte Papin vivra…dans le camp d’en face.
Après quatre saisons à Sheffield, Waddle signera à Falkirk en Écosse puis jouera dans cinq clubs différents des divisions inférieures jusqu’à l’âge de…42 ans ! Il fera notamment un court passage de seulement sept matchs dans son club de cœur, Sunderland, en 1997.
Puis à partir de 2002, il cumula un poste de consultant TV à la BBC et une licence amateur au club de Glapwell où il jouera jusqu’à l’âge de 49 ans en 2009 avant de raccrocher les crampons….puis de reprendre à nouveau une licence au club de Hallam (le deuxième plus vieux club de football du monde) à 52 ans. Et il joue toujours (très épisodiquement) en loisir à l’aube de ses 60 ans. Tout en mettant la main à la pâte au club comme n’importe quel joueur de district.
Aujourd’hui toujours amoureux du foot et consultant reconnu, Waddle est assez philosophe sur sa vie. « J’étais parti pour vivre une vie en usine, alors si on m’avait dit que je finirais avec 62 sélections en équipe d’Angleterre… C’est toujours allé en s’améliorant. J’ai joué des matchs fantastiques, dans des stades fantastiques avec des supporters fantastiques… Je n’ai que de bons souvenirs que personne ne pourra me prendre. C’est le plus important. »
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