L’Ecosse et ses étendues de verdure, ses châteaux tout aussi superbes les uns que les autres, ses traditions… cela fait rêver. Pour un fan de foot, c’est encore mieux : loin des paysages paradisiaques dignes du Seigneur des Anneaux, la ville de Glasgow abrite un match peu commun. Un match sans équivalent même. Un derby connu pour être le plus incroyable d’Europe : le Old Firm, opposant le Celtic et les Rangers. Décryptage de ce match qui n’a aucun égal sur le continent.
Un derby particulièrement vieux
Pour comprendre les origines de cette rivalité, remontons jusqu’à la création des deux clubs qui se disputent le titre de plus grand club d’Ecosse. Les Rangers, fondés en 1872 à Glasgow par quatre jeunes amis, sont les aînés du Celtic. Avant même la fondation de leur club rival, ils participent à deux finales de Coupe d’Ecosse, sans succès. Ils devront attendre 1899 pour enfin remporter ce trophée convoité. Entre-temps, le Celtic est fondé en 1888 par des immigrants irlandais. Le club est intimement lié avec la diaspora irlandaise et certains supporters se sentent plus proches de l’Irlande que de l’Ecosse. La première fois que ce match entre les Rangers et le Celtic se joue, nous sommes le 28 Mai 1888… et les Rangers se font laminer par le jeune club 5-2. Cela fait de ce match le derby le plus vieux d’Europe et l’un des plus vieux du monde. En 1890, les deux clubs font partie des dix fondateurs de la Scottish Football League et du premier championnat d’Ecosse, remporté par les Rangers et Dumbarton. Quant aux origines du terme Old Firm (littéralement : « vieille entente »), plusieurs explications sont possibles. La première viendrait de l’ambiance particulièrement détendue du premier match ayant opposé les deux équipes, que l’on aurait pu juger amies. La deuxième est plus complotiste : les deux clubs entretiendraient leur rivalité pour vendre plus de billets, de maillots et de produits dérivés et donc, chacun de leur côté, augmenter leurs revenus. Quant à la dernière, elle parle d’un éventuel prêt d’un gardien des Rangers au Celtic en finale de coupe, le Celtic ayant tous ses gardiens blessés. Aucune version n’est officielle à ce jour, et c’est à chacun de choisir celle qu’il préfère. Vous l’avez compris, la relation entre les clubs et leurs supporters était plutôt cordiale à cette époque… jusqu’à ce que tout dérape.
Au-delà du football : la religion s’en mêle, la mort aussi
Si l’Old Firm s’est longtemps passé dans le calme et que, actuellement, la violence semble avoir disparue de la circulation pour ce match, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, le derby de Glasgow a longtemps été une source de violence inexplicable entre les supporters des deux camps. Nous sommes dans les années 1920 quand l’ambiance change et que cette rivalité prend de bien plus grandes proportions. Lorsqu’en 1918, la loi sur l’éducation a donné le droit aux écoles catholiques d’être gérées par les autorités locales, les protestants écossais se sont indignés. Les catholiques étaient en effet pour l’immense majorité irlandais… et donc supporters du Celtic. Pour faire face, les supporters des Rangers se sont un peu plus ancrés dans leurs racines écossaises et protestantes. C’est à cette époque que les gangs se sont développés dans la ville, opposant les catholiques irlandais du Celtic aux protestants écossais des Rangers. La violence et le taux de criminalité étaient tels que Percy Silitoe, agent en chef de la police municipale de l’époque, a failli demander l’annulation complète et définitive du Old Firm. Il n’y a pas eu besoin d’aller jusque-là, mais des années plus tard, en 1980, une loi interdisant l’utilisation de bouteilles, de canettes et d’alcool dans les stades écossais a permis de régler une grosse partie du problème.
Cependant, tout n’est pas réglé. Grégory Sokol (@Gregory_Sokol sur Twitter), rédacteur freelance qui écrit principalement pour So Foot et qui a vécu en Ecosse, raconte.
« Le problème principal que la ligue aimerait éradiquer reste celui du sectarisme, et tout particulièrement à cause de paroles de certains chants jugés trop offensants, en particulier, il faut bien l’admettre, des supporters des Rangers. Si certains de ces chants ont des paroles officiellement, les fans continuent régulièrement de chanter les versions sujettes à polémiques. Par exemple les paroles « If they go to Dublin we will follow on », tirées du refrain de l’hymne du club « Follow Follow », sont remplacées par « F*** the Pope and the Vatican ». Le chant le plus contestable et interdit reste « Billy Boys » […] invitant cordialement à trucider du catholique jusqu’à se baigner dans leur sang jusqu’aux genoux. »
Le problème du sectarisme est effectivement loin d’être réglé, puisqu’en 1995, Mark Scott, 16 ans, coupable d’avoir porté un maillot du Celtic, est assassiné par un supporter des Rangers. Il est aujourd’hui le symbole d’une lutte sans relâche contre le sectarisme.
Une ambiance unique
Loin de la violence et des crimes, l’un des éléments qui compose l’Old Firm est bien évidemment l’ambiance créée par les supporters. Les jours de derby, la ville de Glasgow ne respire plus : seuls les chanceux qui ont réussi à dégoter une place au stade font du bruit et chantent pour leur club. Grégory Sokol nous confirme : « La ville est clairement beaucoup plus calme un jour de derby avant et pendant le match. Les heureux élus vont au stade, tandis que les autres font la queue devant un pub soigneusement sélectionné selon l’allégeance (la plupart des pubs en ville sont « strictly no football colors« ), car même là les places sont chères. D’autres, enfin, préfèrent l’intimité du chez-soi et regardent ça entre proches. » Un derby c’est sacré, et les habitants de la ville l’ont bien compris. Loin des ambiances de fêtes que l’on peut voir dans d’autres lieux de football, on joue la sécurité. Le calme est privilégié… mais l’approche d’un Old Firm se fait ressentir dans Glasgow au moins une semaine avant le match : tout le monde en parle et les billets partent comme des petits pains. Grégory Sokol, qui a eu à deux reprises la chance d’assister à un derby à Celtic Park, raconte.
« Le premier était un replay de Cup en 2011 un soir de semaine, dans un climat extrêmement tendu sur le terrain avec en fin de match les deux entraîneurs à deux doigts de se mettre sur la tronche. Un contexte particulier car c’était la troisième confrontation entre les deux clubs en trois semaines. Le stade n’était pas tout à fait plein et des places étaient en vente pour tous, chose plus que rarissime pour une telle affiche souvent réservée aux abonnés et proches. Le second était le dernier match avant la descente des Rangers en quatrième division pour raisons administratives, en 2012. Cette fois-ci aucune chance d’avoir une place sauf en étant abonné ou en s’octroyant les bonnes grâces de l’un d’eux, tous les fans du Celtic bien déterminés à venir passer 2h à se foutre de la gueule des Rangers nouvellement relégués. »
Les railleries sont souvent nombreuses lors du derby : chants, discussions, tweets… le club qui l’emporte peut critiquer sans relâche l’adversaire battu. Dans l’histoire contemporaine cependant, très rares ont été les débordements liés à ce match. Cela n’a pas empêché, bien au contraire, les supporters du Celtic FC d’avoir été élus meilleurs supporters du monde par la FIFA. Rien que ça.
Le Old Firm en chiffres
Il faut savoir que ce derby a été joué 415 fois dans l’histoire. Le Rangers FC est, de justesse, devant le Celtic FC avec 160 victoires contre 156, pour 99 matchs nuls. Cependant, les palmarès des deux clubs se ressemblent grandement : difficile de savoir qui possède l’histoire la plus glorieuse… faites-vous une idée.
Sectarisme, religion, crimes et meurtres sont les ingrédients de ce derby qui a longtemps été bien trop violent. Aujourd’hui, la tension s’est calmée, restée enfouie dans l’histoire, pour de longues années nous espérons. Le Old Firm est le match de l’année en Ecosse. Celui qu’il ne faut pas manquer, celui qu’il ne faut pas perdre, celui qu’il faut à tout prix gagner.