Il y a un peu plus de trente ans, l’Allemagne était coupée en deux, et des clubs émergeaient de part et d’autre de la frontière. Côté RDA, le FC Carl Zeiss Iéna était l’un des plus brillants d’entre eux.
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1er mars 1973, le Sporting Club de Bastia dispute le match aller de son quart de finale de coupe de l’UEFA. Son adversaire, le FC Carl Zeiss Iéna, troisième du dernier championnat d’Allemagne de l’Est. Après 90 minutes, les Corses réalisent une véritable démonstration et s’imposent 7 buts à 2. Leur épopée s’arrêtera en finale. Un dernier échelon que les joueurs est-allemands connaîtront quelques années plus tard.
Car Iéna, bien que vaincue à deux reprises par les Corses, après la victoire des armées de Napoléon en 1806 mettant un coup sévère à la Prusse, et en coupe d’Europe donc, n’en reste pas moins l’un des plus grands clubs de la RDA. Si ce n’est le plus grand si on se fie à sa régularité entre 1948 (zone d’occupation soviétique) et 1991 : 1097 points marqués en 929 matchs (35 saisons), un record.
La domination régionale
Mais le club apparaît bien évidemment avant la scission de l’Allemagne en deux. C’est d’ailleurs le 13 mai 1903 que le FK Carl Zeiss Iéna (ou Jena) est fondé. Ses membres sont des employés de l’entreprise « Carl Zeiss », spécialisée dans l’optique.
Comme tout club à l’époque, Iéna dispute tout d’abord des compétitions régionales. Le club y est d’ailleurs dominant. Entre 1910 et l’arrivée d’Hitler à la tête du pays, en 1933, le club est titré 12 fois champion de Thuringe orientale. Le Iénois Willy Krauss est d’ailleurs sélectionné avec la Nationalmannschaft en 1911 pour une rencontre remportée 6-2 face au voisin suisse.
Il faut toutefois attendre 1925 pour voir le 1. SV Jena, renommé ainsi huit ans plus tôt, disputer le tour final du championnat d’Allemagne. Le FC Nuremberg mettra pourtant vite fin à ses espoirs avec une victoire 2-0 au premier tour.
En 1933, les Nazis réorganisent les championnats après leur accession au pouvoir, avec le système des Gauliga. En 1935, le 1. SV Jena remporte celle de la région « Centre » et participe donc aux phases finales du championnat. Elle réitère la performance en 1936, 1940 et 1941, mais sans grands succès pour la suite de la compétition. Heinz Werner et Ludwig Gärtner sont néanmoins honorés de séjours en sélection nationale.
Une Allemagne divisée
À la libération, les clubs de la zone d’occupation soviétique sont interdits. Mais en juin 1946, d’anciens membres du 1 SV créent une communauté sportive, la SG Ernst-Abbe Jena. Puis la BSG (association sportive d’entreprise) Carl Zeiss Jena en mai 1949, la BSG Mechanik Jena en janvier 1951 et enfin la BSG Motor Jena en mai de la même année.
Depuis 1949, le club est bien évidemment lié à la situation de la région. Débutant dans la zone d’occupation soviétique, il est désormais imbriqué dans le championnat de la République démocratique allemande. Il faut pourtant attendre la saison 1952-1953 pour voir le BSG Motor Jena atteindre la première division, avant une relégation aussi furtive. Le joueur de Iéna, Karl Schnieke est toutefois le premier buteur de la sélection est-allemande, lors d’un match perdu 3-1 en Roumanie.
Les premiers titres nationaux
Le club, renommé SC Motor Jena retrouve l’Oberliga (première division) en 1957. Et cette fois-ci, l’aventure se prolonge. L’année suivante, le club thuringeois termine même deuxième du championnat avec Helmut Müller, meilleur buteur d’Oberliga (17 buts). Sur cette lancée, le SC Motor Iena remporte le premier trophée majeur de son histoire. En 1960, il affronte le SC Empor Rostock en finale de la coupe de RDA et s’impose 3-2 en prolongations.
Il peut donc participer à des matchs européens l’année suivante. Et pour sa première en Coupe des vainqueurs de coupe, il élimine Swansea, Dudelange puis Leixoes. En demi-finale, il s’incline 1-0 puis 4-0 face à l’Atlético de Madrid.
Mais après cette belle aventure, retour au championnat et en 1963, Peter Ducke devient meilleur buteur de l’Oberliga (19 buts) et Iéna remporte sa première couronne nationale. La seconde suivra en 1968, puis la dernière en 1970. La moisson en coupe, elle, se poursuit avec des titres en 1972, 1974 et 1980.
Vivier de la sélection est-allemande
Mais entre-temps, le club a retrouvé son nom initial en 1966. Et plusieurs de ses joueurs brillent à l’international. Peter Rock tout d’abord qui remporte la médaille de bronze aux Jeux olympiques d’été de Tokyo en 1964, imité en 1972 par Peter Ducke, Harald Irmscher, Lothar Kurbjuweit, Eberhard Vogel et Konrad Weise.
Mais l’événement le plus marquant pour la sélection de RDA, est sans nul doute sa participation à la Coupe du Monde 1974, la seule d’ailleurs. Si l’Allemagne de l’Est échoue au second tour, elle a marqué les esprits en terminant la première phase de poule devant sa voisine et rivale la RFA. L’ossature de l’équipe est composée de joueurs du FC Carl Zeiss Iéna. On retrouve sept joueurs : Wolfgang Blochwitz, Peter Ducke, Harald Irmscher, Lothar Kurbjuweit, Eberhard Vogel, Konrad Weise et Bernd Bransch.
Pour terminer le tour des médaillés, Hans-Ulrich Grapenthin, Lothar Kurbjuweit et Konrad Weise rapportent l’or des J.O. de Montréal en 1976, et Rüdiger Schnuphase, l’argent de Moscou en 1980.
Des parcours en coupe d’Europe
Sur le plan européen, Iéna a échoué deux fois au premier tour de la Coupe des clubs champions européens : en 1963 face au Dinamo Bucarest, et en 1968 par forfait face à l’Étoile rouge de Belgrade. Elle fait bien mieux en 1970-1971 avec un quart de finale, mais elle est une fois de plus éliminée par les Yougoslaves.
Mais la plus belle performance arrive en 1981. Engagé en Coupe des vainqueurs de coupe, Carl Zeiss Iéna se défait au premier tour de la Roma (4-3 au cumul des deux matchs), puis de Valence (3-2) ; Newport Country (3-2) et Benfica (2-1) en demi-finale. Après Magdebourg en 1974, Iéna est la deuxième équipe de RDA à accéder à une finale européenne. Mais contrairement à leurs compatriotes, les Iénois s’inclinent 2-1 face au Dinamo Tbilissi. Cruelle fin de parcours.
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La fin d’une époque à Iéna
Dix années plus tard, le championnat de RDA disparaît réellement, après une réunification qui a eu lieu en 1990. Grâce à leur sixième place, ils obtiennent le droit de participer à la Bundesliga 2 l’année suivante. Le club est finalement relégué en 1994 en ligue régionale du nord-est avant de refaire l’ascenseur l’année suivante.
Mais une nouvelle descente en 1998 lui fait rejoindre les échelons amateurs. Un chemin de croix de plusieurs années avant un retour en Bundesliga 2, en 2006, puis une nouvelle descente à l’issue de la saison 2008. Cette même année, l’équipe parvient à créer l’exploit lors de la coupe d’Allemagne en éliminant deux clubs de Bundesliga, à savoir l’Arminia Bielefeld en huitièmes de finale, puis Stuttgart en quarts. Un joli parcours qui s’achèvera finalement en demi-finale face au Borussia Dortmund.
Depuis, le FC Carl Zeiss Iéna collectionne les montées et descentes entre les troisièmes et quatrièmes divisions allemandes. Fin 2013, le club est en D4 allemande et il est racheté par Roland Duchâtelet, qui détenait alors les clubs de Saint-Trond, le Standard de Liège et Ujpest, avant d’acheter Charlton ou encore Alcorcon dans les semaines qui suivirent. Depuis 2020, les joueurs d’Iéna se battent dans le haut de tableau de la Regionalliga Nordost. Un échelon bien loin de leur gloire passée.
Club phare de la période est-allemande, le FC Carl Zeiss Iéna est rentré dans le rang avec la réunification. Face à la forte concurrence, il a perdu du poids au niveau sportif et est aujourd’hui bien loin de goûter de nouveau aux titres nationaux ou aux affiches de gala en coupe d’Europe.
Sources :
- Site officiel du club.
- MG, « Roland Duchâtelet, acte 6 », sofoot.com, 11 janvier 2014.
- PICKX, « Les clubs endormis: Carl Zeiss Iéna », proximus.be, 13 mai 2020.
Photos : Icon Sport