Sélectionneur du Sénégal de 2000 à 2002, le coach français Bruno Metsu a laissé une trace indélébile au pays de la Teranga. Pour preuve : décédé en France en 2013, il a, selon ses dernières volontés, été inhumé à Dakar, où un hommage national lui a été rendu. Retour sur son court mais mémorable passage à la tête des Lions du Sénégal.
En octobre 2000, Metsu sort d’une courte expérience en Guinée : nommé sélectionneur en début d’année, il voit sa mission s’achever prématurément. En effet, la FIFA est en passe de suspendre le Sily National de toutes les compétitions. Au Sénégal, le sélectionneur allemand Peter Schnittger vient d’être congédié. Il fait les frais d’une volonté de changement de la fédération, qui se met en quête d’un nouveau « sorcier blanc ».
Peu connu en Afrique, Metsu va bénéficier d’un entremetteur de choix pour obtenir le poste : Pape Diouf, agent de joueurs et conseiller officieux de la fédération, réussit à convaincre d’engager le coach français. Après accord du président de la république sénégalaise, Abdoulaye Wade, un contrat de deux ans est signé le 30 octobre 2000. A Dakar, la nomination de Metsu est accueillie froidement. « Qui est Bruno Metsu ? », demande la presse.
Un bon joueur de D1
Fils de docker, Bruno naît en en 1954 à Coudekerque, petite ville du Nord. Passionné de foot et encouragé par son père, il réussit à passer professionnel à Dunkerque, en D2. Milieu de terrain box to box, combatif et buteur, il joue ensuite sept saisons en première division à Valenciennes, Lille et Nice. Au total, il participe à plus de deux cents matchs de D1 et marque vingt buts : de bonnes stats, malheureusement au sein d’équipes qui jouent le maintien.
Dès cette époque, c’est son état d’esprit qui marque ses coéquipiers. Stéphane Plancque, milieu lillois raconte : « Il disposait vraiment d’une double personnalité. Bruno était très cool dans la vie, mais question football, il savait se montrer extrêmement exigeant. On peut parler d’un vrai compétiteur, d’un gagneur. Il ne lâchait rien et retrouvait son sourire et sa joie de vivre après le coup de sifflet final. »
Entraîneur de clubs, avec des hauts et surtout des bas
Après quatre dernières saisons en D2 et D3, Metsu raccroche les crampons en 1986, à trente-deux ans. Sa reconversion se fait naturellement dans son dernier club, Beauvais, d’abord comme directeur du centre de formation. Puis, rapidement, on lui confie l’équipe fanion. Il obtient tout de suite des résultats puisque l’équipe se maintient aisément en D2 malgré des moyens limités. En coupe, il atteint la finale de la Gambardella avec les juniors en 1988 et les quarts de finale de la Coupe de France avec l’équipe pro en 1989, en éliminant au passage trois clubs de première division. Il se révèle être un chef de bande hors pair : « Sa plus grande force c’est sa capacité à transmettre sa motivation et ses convictions », confie Etienne Mendy, jeune attaquant beauvaisien.
Après cinq années à Beauvais, Metsu s’engage avec Lille en D1. Mais la greffe ne prend pas : il est rapidement limogé. L’année suivante, il retrouve un poste en D2 à Valenciennes, qui sort de l’affaire VA-OM, mais il est de nouveau viré. En 1995, Metsu rejoint Sedan en National 1, où, avec des joueurs revanchards, il accède à la D2 en 1998. Olivier Quint, joueur sedanais, se souvient : « C’était un meneur d’hommes exceptionnel. On aurait tout fait et tout donné pour lui. Je n’ai que du positif à dire sur lui. » Pour des raisons restées obscures, malgré la montée, Metsu quitte le club. Il rebondit à Valence en D2, mais, englué dans les bas-fonds du classement, il est licencié en 1999. Il s’agit du dernier poste qu’il occupa en France.
En 2000, treize ans après ses débuts, Metsu a connu plus d’échecs que de réussites. Le scepticisme des médias sénégalais est donc fondé. En outre, le « style Metsu » divise : ses cheveux longs, son allure décontractée, sa jovialité le font passer pour un personnage bohème, qui manque de sérieux.
« Je m’éclate au Sénégal »
Malgré le doute ambiant, Metsu se sent bien sous l’effet de la Teranga sénégalaise, autrement dit l’hospitalité locale : « Ici, il y a de vraies valeurs comme l’amitié, la solidarité. Les rapports sont extraordinaires. » Cette ambiance le conforte dans ses convictions : joie, proximité et confiance ne s’opposent pas à performance et travail. « Le foot, c’est un jeu. Quand je suis avec mes joueurs, je ne me considère pas comme un entraîneur, mais comme un copain. Ce n’est pas parce qu’on gueule qu’on est respecté. »
Sur le plan football, sa vision est claire : utiliser la dynamique existante et ajouter sa touche personnelle, mélange de travail tactique et de team-building. Avant lui, Schnittger avait rajeuni l’effectif, où pointent des attaquants talentueux : El-Hadji Diouf, Khalilou Fadiga, Henri Camara. Dès sa prise de fonction, Metsu s’emploie à convaincre de nouveaux Sénefs de rallier la sélection. C’est ainsi qu’une dizaine de joueurs évoluant en France vont devenir des Lions en 2001 : parmi eux, Habib Beye (Strasbourg), Salif Diao (Sedan), Souleymane Camara (Monaco), Amdy Faye (Auxerre).
Dès son arrivée, Metsu se montre ambitieux, puisqu’il vise les qualifications pour la CAN et la Coupe du monde, compétition à laquelle le Sénégal n’a jamais participé. Malgré les problèmes logistiques, il ne se plaint pas. Il s’adapte, il travaille. Il instaure des séances vidéos avec les moyens du bord, il supervise les adversaires, il suit les Sénefs dans leurs clubs respectifs.
En dehors du terrain, Metsu fait du Metsu : les joueurs le tutoient, il leur claque des bises, il s’intéresse à leur vie privée. Pour le tester, un soir, ils s’invitent chez lui à l’improviste : il leur ouvre ses portes et ils festoient tous ensemble ! La presse s’étonne de ces méthodes, mais Metsu assume : « Ils sont libres de sortir, répond Metsu, d’aller danser s’ils veulent, tant qu’ils sont bons sur le terrain ». Rapidement, les joueurs tombent sous le charme de leur coach, qui a d’emblée une grande emprise sur son groupe.
Forts de ce nouvel élan, les Lions se qualifient pour la CAN 2002 en écartant l’Ouganda. La campagne de qualification pour le Mondial s’avère autrement plus difficile. En effet, après deux matches nuls, ils se déplacent à Rabah affronter le favori marocain. Mais les Sénégalais font mieux que résister, ils dominent largement. Malgré les occasions, le match se termine par un nouveau 0-0 et le déclic se produit : les joueurs prennent conscience qu’ils peuvent se qualifier. Et c’est ce qu’ils vont faire. Avec cinq victoires et quatorze buts marqués sur les six derniers matchs, ils coiffent le Maroc à la différence de buts. Les Lions iront à la Coupe du monde en Asie ! A Dakar, c’est la liesse. El-Hadji Diouf, le fantasque attaquant lensois, auteur de huit buts lors des qualifications, est élu Ballon d’Or Africain 2001. Il vante les mérites de Metsu, dont il est proche : « C’est l’homme idéal. C’est un frère pour nous. »
Les pénaltys gâchent la CAN
En janvier 2002, les Lions sont parmi les favoris de la phase finale de la CAN. Au Mali, ils assument leur nouveau statut en atteignant sereinement les demi-finales. Ils affrontent le Nigeria, meilleure équipe africaine, emmenée par les stars Okocha et Kanu. Face aux Super Eagles, les Lions sont rapidement réduits à dix. Mais, solidaire et opportuniste, le Sénégal fait l’exploit et l’emporte 2-1 en prolongations. Une grande victoire, fêtée en boite de nuit à Bamako malgré la finale qui approche…
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Le Sénégal arrive en finale en confiance et compte bien ramener le trophée en battant le Cameroun de M’Boma et Eto’o. Le match est âpre. Le Sénégal domine mais ne marque pas. Il faut donc les tirs au but pour désigner le vainqueur. Une éventualité qui n’a pas été préparée par Metsu. Cinq joueurs finissent par s’auto-désigner, mais sans conviction. Et cela va se payer : trois tireurs échouent et voient le Cameroun remporter la coupe. Une grande déception pour les joueurs, qui nourrissent aussi beaucoup de regrets. Immédiatement, la presse sénégalaise ressort les critiques : on reproche à Metsu de ne pas avoir envisagé les tirs au but et surtout on pointe son supposé laxisme. Face à la presse, Metsu tient bon, sans se renier : « On doit garder notre fantaisie. La force de cette équipe c’est qu’elle ne se prend pas au sérieux. En dehors du terrain, on s’amuse et on rit, et sur le terrain on travaille. » Désormais, pour Metsu, il faut tourner la page. Un seul objectif compte : bien figurer en Coupe du monde.
En phase de préparation, Metsu est encore plus proche de ses joueurs. Souleymane Camara témoigne : « Il était comme un poisson dans l’eau. On avait l’impression qu’il s’agissait d’un joueur tant il se fondait bien dans le groupe. » Parallèlement, il impose une préparation physique lourde. Il fixe un objectif : passer le premier tour. Peu de gens y croient, d’autant plus que le tirage au sort a désigné la France, championne du monde et d’Europe en titre, comme premier adversaire.
France-Sénégal, la victoire historique
Pour faire face aux Bleus, Metsu insiste tactiquement sur la mise en échec de Vieira et Petit, les milieux français. En défense, il travaille spécifiquement le marquage de Trezeguet, capocannoniere 2002 et expert pour se faire oublier. Une scène mémorable se produit à l’entraînement : voyant que Diatta est un peu lâche au marquage, il hurle sur son joueur, l’exclut de la séance et finit par déchirer son maillot. Cette colère marque les joueurs, qui mesurent la détermination de leur coach.
Juste avant le match, Metsu relaie les propos d’un journaliste français (« Au Sénégal, il n’y a que Youssou N’Dour, il n’y a pas de football »), ceux de Michel Platini (« Les deux équipes ne boxent pas dans la même catégorie »), de Marcel Desailly (« France-Sénégal c’est un match folklorique »). Ces phrases condescendantes attisent la fierté des Lions, qui sont remontés comme jamais : « On va leur marcher dessus », confie Aliou Cissé.
Le match se déroule comme l’avait espéré Metsu : les Lions tiennent tête aux Bleus, qui jouent sans Zidane, blessé. Le duo Bouba Diop-Diao domine le milieu de terrain. En attaque, El-Hadji Diouf martyrise Leboeuf, lent et déboussolé. Serait-il perturbé par les provocations verbales de Diouf qui lui répète qu’il a bien « connu sa femme la veille à l’hôtel » ? A la trentième minute, Diouf déborde et centre pour Bouba Diop, qui marque de près. Le Sénégal mène ! La France attaque mais balbutie son football, orpheline de Zidane. La chance s’en mêle aussi, quand une frappe d’Henry heurte la barre. La fin de match est finalement bien maîtrisée par les Lions, qui dominent physiquement. 1-0 score final ! Ce succès retentissant fait l’effet d’une bombe dans le monde du foot, qui voit la 42ème équipe du classement FIFA battre le favori de la compétition. Au Sénégal, cette victoire dépasse le cadre du football, car elle constitue une revanche contre les ex-colonisateurs.
https://youtu.be/cC26ZG7DwSI
La coupe du monde du bonheur
Vainqueur du match tactique contre son homologue Roger Lemerre, Metsu voit enfin ses compétences reconnues. Il enfonce le clou : « Nos résultats n’arrivent pas parce que je suis sympa. Je suis un entraîneur qui travaille. ». Pour la suite de la compétition, il capitalise sur la confiance acquise. Ainsi, grâce à deux nuls contre le Danemark et l’Uruguay, les Lions se qualifient pour les huitièmes contre la Suède de Larsson et du jeune Ibrahimovic. Le match est serré. Diouf fait encore une grosse impression, mais c’est Henri Camara qui qualifie l’équipe grâce à un but en or : victoire 2-1. Les Lions sont en quart de finale, niveau le plus haut jamais atteint par une sélection africaine. Cette équipe prend et donne du plaisir, et elle incarne à merveille les valeurs chères à Metsu : la joie, l’audace, la solidarité.
En quart, le Sénégal affronte la Turquie. Mais, l’aventure s’arrête là : moins frais physiquement, les Lions sont éliminés sur un nouveau but en or. Un match qui laissera des regrets éternels à Metsu. Cette défaite n’efface pas l’essentiel : les Lions ont réussi une Coupe du monde exceptionnelle, procurant bonheur et fierté à un peuple tout entier. A l’instar des joueurs, Metsu est un héros, on le surnomme « le lion blanc ». De retour à Dakar, ce sont des jours et des jours de fête que les Lions vont vivre.
Reconnu, heureux et épanoui, Bruno Metsu va pourtant choisir ce moment pour quitter le Sénégal : contacté par Al-Aïn, club des Emirats, il accepte une offre financière mirobolante et part pour le Golfe. Son projet est de reprendre en main les Lions quelques mois après, dès l’été 2003, une fois sa pige aux Emirats achevée. Projet qui ne verra jamais le jour : en effet, la fédération s’opposera à son retour. Plusieurs fois, dans les dix années qui suivirent, il sera question que Metsu reprenne les Lions, suscitant à chaque fois l’excitation chez les joueurs et les supporters. Mais jamais ce retour ne se fera pas, laissant un éternel goût d’inachevé.
Au moment de son décès, alors qu’il luttait contre la maladie depuis quelques mois, tout le peuple sénégalais a rendu hommage à celui qui était devenu l’un des siens. Habib Beye, un des Sénefs de 2002, a eu ces belles phrases : « Bruno a su comprendre la façon de vivre des Africains. Il était proche comme un copain, un père, un frère. Il a su fédérer. Rentrer dans cette équipe c’était rentrer dans sa famille. »
Bien qu’improbable, la rencontre entre Bruno Metsu et la sélection du Sénégal fut une véritable histoire d’amour : entraîneur-copain au profil atypique, il obtint des résultats inespérés, qui remplirent de fierté le peuple sénégalais. Faite de respect, de joie et de passion, l’union entre Metsu et les Lions de la Teranga rappelle que le football est avant tout une aventure humaine.
Sources :
- « Je m’éclate au Sénégal », chanson du groupe Martin Circus, 1971
- Footballia.net
- Libération, Bruno Metsu du cœur à l’ouvrage
- TFM, « Questions directes », interview TV de Bruno Metsu par Alassane Samba Diop
- So Foot, Le jour où Metsu faisait tomber la France
- So Foot, « Olivier Quint : à Sedan, ils vendaient leurs mobylettes pour acheter un abonnement »
- « Rencontre entre un homme et une patrie », film de Mame Fatou N’Doye, 2014
Crédits photos : Icon Sport