Contrairement à ce que la plupart des gens croient, le statut de footballeur de haut, voire de très haut niveau reste précaire. Risques de blessure pouvant mettre prématurément un terme à la carrière, mauvais placements compromettant l’après-football… les obstacles sont nombreux. Arrivé au sommet dans les années 80 quand l’argent des droits télé commençait à envahir le football, Bruno Bellone connût le triste privilège d’être le premier joueur français ruiné.
28 juin 1984, Parc des princes, finale du championnat d’Europe des nations. Le match vient de rentrer dans les arrêts de jeu et la France mène 1-0. Amoros récupère le ballon et le transmet instantanément à Jean Tigana qui lance dans la foulée Bruno Bellone dans la profondeur. Arconada, le gardien espagnol, ferme bien l’angle, mais Bellone pique le ballon juste comme il faut et marque. La France ne peut plus être rejointe et sera sacrée championne d’Europe. Bellone a à peine vingt-deux ans et vient déjà d’atteindre le sommet de sa carrière.
Né en mars 1962 à Toulon, Bruno Bellone intègre le centre de formation de l’AS Monaco en 1976. Le jeune ailier gauche déroutant progresse vite et joue son premier match en pro en 1979 à seulement dix-sept ans. En 1981, à dix-neuf ans, c’est la première sélection chez les Bleus et à seulement vingt ans, il est champion de France avec Monaco puis sélectionné dans les vingt-deux pour le Mondial 1982 qui soit se dérouler en Espagne. Il ne jouera certes que le match pour la troisième place mais le train est lancé. Bellone paraît parti pour un long bail en bleu.
À l’époque, ce jeune ailier ultra rapide et doté d’un centre précis et d’une frappe redoutable a un surnom : Lucky Luke. Surnom trouvé par Didier Roustan lors d’un numéro de Téléfoot où il fera poser le joueur dans un jardin monégasque avec la tenue du célèbre cow-boy. Lucky Luke qui chantait d’ailleurs qu’il était un pauvre cow-boy solitaire. A croire que la suite était déjà écrite…
Après 1982, la progression de Bellone continue. Il devient un des cadres des Bleus d’Hidalgo jusqu’au sacre de 1984 et gagne la Coupe de France avec Monaco en 1985. En 1986, il est sélectionné pour le Mondial mexicain et marquera notamment son tir au but lors de l’épique quart de finale contre le Brésil.
Sa carrière va alors décliner. Il quitte Monaco pour Cannes en 1987. Puis Montpellier en 1988. Dans l’Hérault, il connait une terrible fracture de la cheville. Il ne joue que 14 matchs dans la saison et retourne à Cannes au bout d’un an seulement et où il ne restera qu’une année de plus (côtoyant au passage, un jeune milieu de terrain débutant nommé Zinedine Zidane). Insuffisamment remis de sa blessure à la cheville, Bellone met fin à sa carrière en 1990, à seulement vingt-huit ans. Mais avec un capital amassé équivalent à environ quinze millions de francs de l’époque, Bellone pense être à l’abri des ennuis.
C’est là que la galère commence. Propriétaire de plusieurs biens immobiliers qu’il avait intégralement payés, Bellone est supposé ne pas avoir de souci à se faire. Jusqu’à ce qu’une connaissance de sa famille, supposément compétente en la matière car promoteur immobilier, lui propose d’investir dans une villa de plusieurs centaines de mètres carrés dans les environs de Cannes. Un krach immobilier s’ensuit et Bellonne se retrouve à devoir de l’argent aux banques. Devenu entre temps recruteur pour l’AS Cannes, il ne roule pas sur l’or et les impayés s’accumulent.
Bellone se retrouve alors quasiment sans domicile fixe. Croulant sous une dette de cinq millions de francs, il dort parfois dans sa voiture. Son salaire de recruteur à l’AS Cannes est tout juste suffisant pour payer les intérêts de sa dette. Problème aggravant, il a divorcé et doit aussi payer une pension alimentaire.
Canal + annoncera même son décès en avril 1998, entraînant un malaise de son père.
Au fond du trou, l’ancien monégasque essaie alors de médiatiser son cas en allant sur le plateau de Julien Courbet pour plaider sa cause. Face à son écran, Jean-Luc Etorri, ancien gardien de l’AS Monaco devenu entraîneur de ces mêmes gardiens au sein du club princier, découvre les ennuis de son ancien coéquipier et en parle à Jean Tigana, l’entraîneur du club, ancien coéquipier de Bellone chez les Bleus. Ce dernier décide d’aider son ami. Ils vont ensemble chez le banquier créancier de Bellone. Et grâce à une pression de Tigana sur la banque, qui est aussi un sponsor du Mondial 1998 en préparation, la dette est ramenée à 500 000€.
Tigana organise en sus un jubilé pour Bellone avec des champions du monde 1998 dont les bénéfices lui serviront à solder les 500 000€ en question et ses arriérés de pension alimentaire.
Invité à raconter son histoire dans l’émission Le Vestiaire sur RMC sport en mars dernier, Bellone qualifiera Tigana de frère.
Une fois remis debout, il doit réorganiser sa vie. Il trouvera d’abord un emploi d’animateur de lotos dans lequel il avait, de son propre aveu, « un petit salaire mais [il] s’éclatait ». Puis deviendra conseiller technique au service des sports de la mairie du Cannet, sa ville de résidence. Certes appauvri, mais sans amertume. « Je suis l’homme le plus heureux de la terre, j’ai aujourd’hui une vie normale. » Il publie son autobiographie en 2018 sous le titre Les matchs de ma vie.
Il essaie même de lancer depuis plusieurs années un réseau social dédié au football amateur. « On vient tous du monde amateur, et c’est bien de pouvoir rendre à ce monde ce que nous leur devons, nous les professionnels. »
Le cas Bellone fut le premier cas médiatisé de joueur riche s’étant retrouvé au fond du trou. D’autres ont suivi, plus ou moins connus auprès du grand public. Ils sont en tous cas la preuve que les footballeurs sont particulièrement démunis face aux requins de toute sorte qui en veulent à leur argent. Et l’explosion des salaires ces dix dernières années risque d’amplifier le phénomène.
Crédits photos : Icon Sport