Au classement des familles de footballeurs, les Laudrup se placent en bonne position. Finn, d’abord, fût un valeureux attaquant du championnat danois, revêtant à dix-neuf reprises la tunique de la sélection nationale. Michael, son fils, a été désigné meilleur footballeur danois de tous les temps par la fédération. Brian, de cinq ans le cadet de Michael, a dû faire avec la pression qui allait de paire avec son nom de famille, auquel il a finalement fait honneur.
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Lorsque Brian Laudrup effectue ses débuts professionnels à Brøndby, en 1986, son frère Michael a déjà quitté le club depuis trois ans pour rejoindre la Juventus. Nom de famille oblige, le jeune homme de dix-sept-ans est attendu au tournant depuis ses premières apparitions avec les équipes jeunes des Drengene Fra Vestgnen : « Les gens me demandaient toujours : ‘Quand vas-tu partir à l’étranger ? Quand vas-tu devenir un professionnel ? Es-tu aussi bon que ton frère ? Es-tu aussi bon que ton père ?’”, raconte-t-il. Si beaucoup ne supportent pas le jeu des comparaisons et auraient craqué sous cette pression, Brian n’est pas de cette trempe là. En 1987, pour sa deuxième saison professionnelle (il dispute seulement deux matchs en 1986), il inscrit 11 buts en 24 rencontres, éclaboussant alors le championnat danois de son talent, et mène Brøndby jusqu’au titre de champion. Des débuts brillants qui le portent déjà en sélection nationale, à l’âge de 18 ans. En 1988, une fracture de la clavicule le prive non seulement d’une saison aussi rayonnante que la précédente, mais aussi et surtout d’une présence dans la liste danoise à l’Euro. Un an après ce rendez-vous manqué, le jeune prodige a déjà tout prouvé au sein du championnat danois, qu’il a remporté à deux reprise, et décide de quitter le pays pour se frotter aux meilleurs ligues d’Europe. Direction le Bayer Uerdingen et la Bundesliga.
Sur les pas du grand frère
Si Uerdingen a bien connu ses années les plus fastueuses au cœur des années 1980 (une Coupe d’Allemagne et une demi-finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe), les saisons précédant l’arrivée de Laudrup ont plus rimé avec luttes pour le maintien qu’avec rêves européens. Accueilli au club par l’international danois Jan Bartram, Brian s’intègre rapidement à ce contexte nouveau. L’Allemagne découvre alors un ailier, capable de jouer dans l’axe dans une attaque à deux pointes, aussi grand par la taille (1m86) que par le talent. Dribbleur redoutable, droitier mais très à l’aise sur son pied gauche, Laudrup est une menace pour chacune des défenses allemandes, peu importe le côté sur lequel il évolue. Résultat : une première saison à six buts en 35 rencontres, le maintien pour Uerdingen, le titre de meilleur joueur danois de l’année 1989, et celui de la meilleure recrue du championnat allemand de la saison 1989/90, attribué par le magazine Bild. À 21 ans, le cadet des Laudrup est déjà trop grand pour son club, et devient le joueur le plus cher de l’histoire de la Bundesliga, à l’époque, en rejoignant le Bayern Munich pour environ 6 millions de Deutsche Mark.
En mettant les voiles vers le club le plus titré d’outre-Rhin, Brian s’expose alors à une pression médiatique bien plus forte. « Dans le Bild Zeitung, le grand journal, à chaque fois que je ne jouais pas bien, j’étais un flop de six millions et quand je jouais bien, c’était : ‘Bon, c’est ce à quoi on s’attend pour ce genre d’argent’ « , se souvient-il. Pour autant, le pessimisme des médias n’empêche pas le jeune attaquant de briller pour sa première saison en Bavière. Le Danois continue de polir son jeu, inscrivant 9 buts en 42 matchs, tout en délivrant 11 passes décisives en championnat, mais manquant de remporter le titre de champion d’Allemagne. À l’issue de la saison, un sondage du magazine Kicker le désigne même comme le joueur le plus populaire du pays. À 22 ans, Brian Laudrup a tout de la future superstar du football, mais son corps va malheureusement commencer à en décider autrement. Sa deuxième saison à Munich commence pourtant sur les mêmes bases que la première. Sauf que fin août, à Drusden, Laudrup est victime de la blessure redoutée de tous : la rupture des ligaments croisés. Sans son prodige, le Bayern gagne seulement quatre de ses dix-sept matchs de championnats, disant au-revoir à tout espoir de titre. S’il revient dès le mois de février et participe aux quinze derniers matchs de Bundesliga, sa blessure ainsi que ses désaccords avec Franz Beckenbauer et Karl-Heinz Rumenigge, qu’il accuse d’être trop sévère avec les jeunes, marquent la fin de son aventure bavaroise.
C’est avec des vacances bien méritées que Brian Laudrup pense récupérer de cette saison frustrante. Mais l’histoire est désormais connue de tous : à l’été 1992, le Danemark, pas qualifié pour l’Euro, est repêché au profit de la Yougoslavie, exclue pour des raisons géopolitiques. C’est en rentrant chez lui anodinement que Brian apprend sa sélection, par la bouche de sa femme.
“Je me disais : ‘Je ne le fais pas, je ne suis pas en forme, je ne suis pas prêt pour ce tournoi’. Dans huit jour, nous devions jouer l’Angleterre. Une blague parmi les joueurs était de se dire qu’on était prêt pour jouer 90 minutes : 30 contre l’Angleterre, 30 contre la Suède et 30 contre la France.”
Toujours est-il que l’attaquant du Bayern jouera cet Euro. Et plutôt bien. Jusque-là, son histoire avec les De Rød-Hvide est controversée. Après des débuts prometteurs, il manque l’Euro 1988 puis se brouille avec le sélectionneur danois, Richard Møller Nielsen, et refuse de jouer pour son équipe nationale. Son frère, Michael, lui aussi en mauvais termes avec Nielsen, ne disputera pas l’Euro 1992. Fer de lance offensive du petit poucet de la compétition, Brian Laudrup contribue grandement au conte de fée danois. S’il n’inscrit aucun but et ne délivre qu’une seule passe décisive (contre les Pays-Bas en demi-finale), ses dribbles stupéfiants, ses talonnades dont lui seul a le secret et sa vision du jeu hors pair suffisent à le placer dans l’équipe-type de la compétition. Alors âgé de 23 ans, il est devenu une légende du pays et a mis l’Europe a ses pieds. Qui pourra stopper l’ascension du prodige ?
Redescente et renaissance
Si Laudrup a pu se refaire une santé le temps de l’Euro, son histoire au Bayern ne se prolongera pas. C’est à la séduisante Fiorentina de Gabriel Batistuta et Stefan Effenberg que Brian tente de se relancer. Mais le Danois débarque dans un bateau en plein naufrage : neuvième la saison précédente, la Viola coule à la seizième place, synonyme de relégation. L’ailier a beau produire une saison honorable (35 matchs, 6 buts), cela ne suffit pas à calmer la colère de fans qui voient le maison chuter en deuxième division après 54 ans dans l’élite. “C’était une expérience choquante. En Italie, les joueurs étrangers peuvent être idolatrés, mais si les choses ne se passent pas bien, ils sont haïs”, se souvient encore l’intéressé. Hors de question, donc, de rester dans cet environnement et de chuter en deuxième division pour celui qui, un an plus tôt, envoyait son pays au panthéon du football européen. Un prêt à l’AC Milan, champion d’Italie en titre, lui donne une nouvelle opportunité de briller dans l’un des meilleurs clubs du Vieux Continent. Mais entre la faible rotation mise en place par l’entraîneur, Fabio Capello, et la règle en vigueur des trois étrangers maximums sur le terrain (dans un club qui compte, entre autres, Marco van Basten, Marcel Desailly et Jean-Pierre Papin), Brian Laudrup cire le banc. Neuf petits matchs de Serie A, deux de Coupe et sept de Ligue des champions peinent à combler l’appétit du prodige Danois. Si l’expérience lui permet de garnir sa vitrine à trophée (une Serie A, une Ligue des Champions sans jouer la finale contre le Barcelone de son frère), elle ne convainc pas l’ailier de prolonger l’expérience à l’issue de son prêt.
Pas question, non plus, de revenir à Florence. L’expérience italienne se solde par un échec, et la cote du champion d’Europe en a pris un coup. Les Glasgow Rangers flairent la bonne affaire et raflent la mise pour un peu plus de deux millions de livres sterling. À raison : le Danois tombera amoureux de l’Écosse, des ambiances inégalées des Old Firms, et y jouera son meilleur football. L’optimisme des supporters locaux, tranchant avec les critiques acerbes reçues en Italie, lui redonne l’envie de se transcender pour son équipe.
« Après trois défaites pour ma première semaine de compétition, plusieurs supporters m’ont interpellé alors que je sortais du stade en voiture. Je me suis demandé ce qu’il allait se passer, mais en réalité, ils m’ont encouragé : ‘Allez, allez, on est derrière toi, derrière l’équipe, tu vas réussir. ’ Cela m’a détendu, car j’étais habitué aux fans italiens beaucoup plus radicaux. À ce moment, je me suis dit : ‘Je dois donner à ces merveilleux supporters de bonnes raisons de sourire.' »
Laudrup, libéré et star de l’équipe, plane sur une ligue écossaise trop tendre pour lui. Si bien que cinq mois après son arrivée, le Barça, qui vient de voir Michael rejoindre le rival madrilène, tente de l’attirer. Sans succès. L’intéressé l’avouera à son entraîneur, Walter Smith : il est si bien au club qu’il préfère jouer des déplacements à Falkirk que des Clàsicos. En quatre saisons à Glasgow, Brian plante 44 buts en 150 matchs, remporte trois championnats et deux coupes nationales, et marque, aux côtés Paul Gascoigne et Ally McCoist, une des plus belles pages de l’histoire des Rangers.
Le rêve et les blessures
Vient alors l’heure de la Coupe du Monde 1998. Après l’épopée victorieuse de 1992, les Danois avaient déçu : non qualifiés au Mondial 1994, ils avaient été incapables de défendre leur titre à l’Euro 1996, éliminés dès la phase de poule. Pour Brian, à 29 ans, voilà l’occasion de disputer la première Coupe du Monde de sa carrière. Son frère, absent en 1992, rêve d’un premier titre avec sa sélection. Les De Rød-Hvide partent dans la peau de l’outsider qui leur sied à la perfection. Deuxième de leur groupe derrière la France, puis vainqueur 4-1 du Nigéria en huitième de finale grâce à un but de Brian et deux passes décisives de Michael, le Danemark défie l’ogre brésilien en quarts de finale. Ce jour-là, Brian livre un récital. Un centre à raz-de terre bien dosé, d’abord, permet à Martin Jørgensen d’ouvrir le score dès la deuxième minute. Après deux buts brésiliens, une demi-volée puissante dans un angle fermé offre l’égalisation au Danemark. La célébration du cadet de la fraterie, allongé, coude sur le terrain et tête dans la main, restera dans la légende. Mais il n’y aura pas d’exploit à la Beaujoire. À l’heure de jeu, Rivaldo marque le but du 3-2, brisant les rêves des frères Laudrup.
Comme après 1992, Brian reviendra difficilement de la parenthèse danoise. Le départ de Glasgow pour Chelsea est difficile. Chez les Blues, Brian ne s’impose pas, apparaissant seulement sept fois en Premier League. L’expérience est si dure à vivre qu’il quitte le club au bout de six petits mois, pour retourner au pays, du côté du FC København. Mais alors qu’il entre seulement dans la trentaine, les blessures empêchent l’ailier de briller comme à sa plus grande époque. Une dernière saison convaincante du côté de l’Ajax (38 matchs,15 buts), ne lui donnera pas pour autant l’envie de pousser son corps au-delà de ses limites. Au printemps 2000, âgé de seulement 31 ans, Brian Laudrup prend sa retraite. Une fin de carrière frustrante pour un joueur d’un tel talent.
L’histoire de Brian Laudrup est donc celle d’un homme qui s’est fait un prénom, malgré la pression inhérente à son nom de famille. Si, puisqu’il ne s’est jamais véritablement imposé dans l’un des plus grands clubs d’Europe, il paraît difficile de le classer au rang de son frère et des autres légendes de ce sport, sa carrière mérite d’être retenue. Icône en son pays, joueur fantasque, emblème des Rangers… Brian Laudrup collectionne les victoires. Sa plus belle ne surviendra que 20 ans après sa retraite, lorsqu’il remporte son match contre un cancer lymphatique.
Sources :
- « Brian Laudrup« , Football-The-Story
- « Brian Laudrup : ‘A l’entraînement, on m’avait taillé une cravate verte en pièces’« , So Foot
- FriulConnection, « Brian, l’autre Laudrup« , Nordisk Football
- Ross Hutton, « The Road to Rangers – Brian Laudrup« , Heart&Hand
- Steven Scragg, « Michael and Brian Laudrup : How the brillant brothers left Europe Mesmerised« , These Football Times
- Trevor Murray, « Remembering the artistry of Brian Laudrup for Rangers« , These Football Times
Crédits photos : Icon Sport