Icône de Manchester City, puis de Manchester United, Billy Meredith s’est construit une légende unique en Angleterre. Au début du XXe siècle, le Royaume-Uni a découvert la première star du football anglais. Redoutable sur le front de l’attaque, celui que l’on a surnommé au choix le « Vieux maigre », le « Roi du dribble » ou le « Magicien gallois », a lutté contre la fédération anglaise pour les droits des footballeurs. Portrait d’un joueur qui a révolutionné son époque à sa manière.
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Le 30 juillet 1874, les femmes et les enfants – entre 13 et 18 ans – obtiennent une réduction de leur journée de travail. Le Parlement britannique vote en faveur d’une nouvelle loi sur les manufactures – Factory Act -, ce qui leur permet de travailler dix heures maximums par jour. Une autre époque. Ce jour-là, dans la petite ville galloise de Chirk, Billy Meredith pousse ses premiers cris. Né dans une famille ouvrière, il n’a d’autre choix que de travailler dans la mine, dès l’âge de douze ans.
Passionné par le football, il veut marcher dans les pas de son grand frère, Sam, qui embrasse une éphémère carrière professionnelle à Stoke City pendant trois saisons. Employé dans les mines, son horizon est recouvert d’une épaisse fumée noire. Il connaît les baisses de salaire et l’épuisement, comme ses collègues d’infortune, il décide donc de s’engager dans les mouvements ouvriers pour participer aux grèves dans les mines de Chirk. Un engagement fondateur pour le jeune gallois. En 1892, l’adolescent de 18 ans effectue ses débuts avec le club local. Finaliste de la Coupe du Pays de Galles, la saison suivante, son aventure avec Chirk prend fin subitement.
La révolution industrielle poursuit sa marche forcée, la Grande-Bretagne se développe et l’industrie du charbon avec elle. Mais la chute du prix du charbon, depuis 1890, continue de faire dégringoler sa valeur, une perte économique qui retombe directement sur le salaire les mineurs. La colère gronde et la riposte s’organise sur tout le territoire. En 1893, toute la Grande-Bretagne est secouée par une grève massive de 300 000 mineurs, dont Billy Meredith fait partie. Et au milieu de cette lutte social, le club semi-professionnel de Chirk doit dire adieu à ses meilleurs joueurs : Bill Owen part pour Newton Heath – futur Manchester United – et Jos Davies prend la direction de Ardwick FC – l’ancien nom de Manchester City. Meredith trouve lui un compromis. Il joue en même temps pour trois clubs : Chirk, Wrexham, Northwich Victoria.
Héros du premier Manchester Derby
Fidèle à son club formateur, il soulève une Coupe nationale, mais l’appel du pied du football professionnel devient de plus en plus pressant. Il quitte son Pays de Galles natal pour traverser la frontière et découvrir une ville industrielle en pleine effervescence : Manchester. Il s’installe à Hyde Road, le stade du Ardwick FC pour exploiter ses talents en tant qu’amateur. Cette décision n’aurait pas été du goût de sa mère. En rencontrant un recruteur du club citizen elle aurait dit : « Nos enfants sont heureux et en bonne santé, content de leur emploi et de leur amusement innocent. Si Billy suit mon conseil, il s’en tiendra à son travail et jouera au football pour son propre amusement une fois le travail terminé. ». Le football professionnel souffre d’une mauvaise réputation. Autorisé depuis 1885 en Angleterre, cette évolution marque une rupture avec l’amateurisme, toujours en vigueur aux Jeux olympiques. Les footballeurs sont payés et peuvent vivre plus ou moins de leur passion.
Les débuts de la nouvelle recrue sont contrastés.
Défait par Newcastle United, puis par Newton Heath dans le premier derby de Manchester, il signe tout de même un doublé historique contre le rival mancunien dans le revers 5 à 2. Une maigre consolation pour la nouvelle vedette des Skyblues. La paire qu’il forme sur le front de l’attaque avec Billie Gillepsie s’apprête à tout détruire sur son passage. Du haut de ses vingt ans, il termine meilleur buteur du club lors de sa deuxième saison. Brassard de capitaine sur le bras, il est à nouveau décisif face à Newton Heath. Revanchard à Hyde Road, il plante un pion pour permettre aux Citizens de vaincre une première fois le rival. Ils s’adjugent la deuxième place, derrière Liverpool, battus à la différence de but. Il faudra attendre la saison 1898-1899 pour voir Manchester City terminer en tête de la deuxième division, bien aidé par les 30 buts de Meredith qui gagne le surnom de « Magicien gallois ». Auteur de trois triplés, il est le principal artisan de la saison canon de son club.
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A peine revenu en première division, City ne fait pas long feu. Le marquage à culotte sur Meredith et l’agressivité de ses adversaires empêchent la star des Skyblues de jouer son football. Au bout de deux ans, les spectateurs de Hyde Road doivent se contenter d’une relégation synonyme de licenciement pour Sam Ormerod. En 1902 le nouveau coach, Tom Maley, transforme l’équipe et de nouvelles têtes débarquent dans le vestiaire : Sam Turnbull et Jimmy Bannister. L’équipe construite autour de Meredith et Gillepsie – 52 buts à eux deux – fonctionne à merveille. Première du championnat, elle réalise une saison de haute voltige qui la mène en finale de la FA Cup. Contre Bolton Wanderers, le « Magicien gallois » fait des étincelles sur son aile pour inscrire l’unique but du match.
Pots-de-vin et suspension
La Fédération anglaise (FA) qui encadre le football professionnel permet aux footballeurs pros de gagner environ 4 £ par semaine. Une maigre somme qui va générer une économie souterraine, où les arrangements entre joueurs et clubs sont monnaies courantes. Le scandale qui éclabousse Manchester City et la Ligue en 1904 en est l’exemple type. Tout juste de retour au sommet de la pyramide du foot anglais, les Skyblues jouent les premiers rôles en championnat. Lors de la dernière journée contre Aston Villa, les hommes de Tom Maley n’ont besoin que d’une victoire pour remporter leur premier championnat de First Division. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Au terme d’une rencontre hachée, où tous les coups sont permis, les Villans mettent fin au rêve des Mancuniens en l’emportant 3-1. L’histoire aurait pu s’arrêter-là. Mais le capitaine de Villa, Alex Leake, balance une bombe : Billy Meredith lui aurait proposé 10 £ pour qu’ils les laissent gagner. Les accusations sont lourdes et la FA se saisit immédiatement du dossier.
La sentence ne tarde pas à tomber : 18 joueurs de City, dont Meredith, sont suspendus pendant un an. S’ajoute à cela une amende 900 £ pour le club et un bannissement à vie pour l’entraîneur Tom Maley. Bien qu’il nie dans un premier temps, Billy finit par reconnaître sa culpabilité. Les faits sont graves mais la star des Skyblues l’a mauvaise, car pendant sa suspension il ne reçoit aucune aide financière de son club. Un abandon qui le pousse à vider son sac au sujet de la gestion du club. « Quel était le secret du succès de l’équipe de Manchester City ? s‘interroge-t-il. À mon avis, c’est le fait que le club ait mis de côté la règle selon laquelle aucun joueur ne devrait recevoir plus de quatre livres par semaine… ». Il poursuit en dénonçant les petits arrangements financiers entre joueurs et dirigeants :
« Ce qui ouvre la porte aux paiements irréguliers, c’est l’injustice flagrante de la limite de 4 £ par semaine et du système de transfert qui donne à un club 1000 £ pour un joueur (…) Si les 10 £ allaient au club et les 1000 £ à l’homme dont c’est la valeur convenue, il y aurait plus de justice. »
Billy Meredith dans le Thompson’s Weekly News en décembre 1909.
Il ressent un profond sentiment d’injustice face à la mauvaise rémunération des joueurs et la lâcheté des dirigeants. Le douloureux souvenir de la mort de son ancien coéquipier Di Jones remonte à la surface. Alors joueur de City, il s’entaille le genou pendant un entraînement en présaison en 1902. Mais malgré les soins, il meurt dans l’indifférence de son employeur qui ne verse aucune indemnité à sa famille. La même année, un ancien coéquipier, Jimmy Ross, meurt sans le sou, laissant sa famille sans rien. Cette précarité financière qui pèse sur les footballeurs outre-Manche est symptomatique du chemin qu’il reste à faire avant que les footballeurs n’obtiennent de descentes conditions de travail.
Un footballeur syndiqué
Au centre de Manchester, le Queens Hotels, bâti dans le quartier de Piccadilly, accueille une vente aux enchères un peu particulière. Parmi les lots, les joueurs de Manchester City font saliver les clubs de First Division présents. Une situation ubuesque qui profite au rival historique des Citizens : Manchester United. Forcé de vendre ses joueurs, le président de City doit se séparer de ses meilleurs éléments : Jimmy Bannister, Herbert Burgess, Sandy Turnbull et Billy Meredith. Tous rejoignent l’ennemi mancunien. Un coup de poignard pour les supporters des Skyblues qui donne encore plus de poids à la rivalité entre les deux clubs de Manchester.
Moins décisif devant les cages, le « Magicien gallois » participe aux premiers succès des Red Devils sur la scène nationale. Champion d’Angleterre en 1908 et 1911, il remporte un nouvelle fois la FA Cup en 1909, soit les trois premiers trophées de United. Malgré son succès sur les pelouses, ses coéquipiers et lui vont faire les gros titres de la presse sportive britannique pour leurs actions en dehors du rectangle vert. Le 2 décembre 1907, ils se rassemblent à l’Imperial Hotel de Manchester pour donner naissance à l’Association Football Players Union (AFPU), le deuxième syndicat de joueurs professionnels dans le pays. Soutenu par plusieurs joueurs de Newcastle United, Tottenham, Bradford City ou encore Manchester City, le syndicat obtient le soutien des dirigeants de United. C’est le début d’une lutte acharnée contre la fédération anglaise.
« Si je peux gagner 7 £ par semaine, pourquoi devrais-je être empêché de les recevoir ? J’ai consacré ma vie au football et je suis devenu un meilleur joueur que la plupart parce que je me suis privé de beaucoup de ce prix pour les hommes. Un homme qui prend soin de lui comme je l’ai fait et qui combat les tentations de tout ce qui peut nuire au système mérite sûrement une certaine reconnaissance et récompense ! »
Billy Meredith dans le Thompson’s Weekly News en décembre 1909.
Le syndicat réclame des meilleurs salaires, alors que ces derniers sont plafonnés à 4 £ par semaine. Une somme dérisoire face aux profits de plus en plus conséquents réalisés par les clubs qui possèdent un pouvoir énorme sur les joueurs. Un autre point épineux s’articule autour des compensations financières des clubs octroyées aux familles des joueurs décédés. En février 1908, le syndicat de joueurs se mobilise pour venir en aide à la veuve de Franck Henry – attaquant du Sheffield United – emporté par une pneumonie. Ils lui versent 20 £ et font pression sur le club du Yorkshire pour débloquer des fonds.
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Le combat de l’AFPU pour le droit des joueurs ne plaît pas à la fédération anglaise. Décidés à mettre fin aux revendications des footballeurs, les dirigeants vont pousser les joueurs à quitter le navire syndical. En juin 1909, la FA va donner un mois aux joueurs dissidents pour quitter l’AFPU, sous peine d’être exclus du championnat anglais. Mais le bras de fer engagé par les autorités prend fin deux mois plus tard.
La fédération reconnaît officiellement le syndicat, et les joueurs ne sont plus sous le coût d’une suspension. Sauf que la victoire à un goût amer pour Meredith qui ira de sa petite pique à destination de ses collègues. « Ce qui est malheureux, c’est que tant de joueurs refusent de prendre les choses au sérieux mais se contentent de vivre une sorte de vie d’écolier et de faire exactement ce qu’on leur dit… au lieu de penser et d’agir pour lui-même et sa classe. ».
Légende de United et City, Meredith a lutté sur et en dehors des pelouses pour défendre ses couleurs et ses idées. A une époque où les footballeurs n’étaient pas les idoles que l’on connaît aujourd’hui, l’attaquant gallois a été l’un des premiers à faire figure de vedette au Royaume-Uni. Décédé en 1958, deux mois après le crash de Munich, laissant derrière lui en héritage, un combat social qui ne cessera de se développer dans la planète football, au fil des années.
Sources :
- John Simkin et Billy Meredith, Spartacus Educationnal, 1997
- Malgorzata Amankowicz, Billy Meredith : Football Superstar’s, 2021
- Yann Dey-Helle, « Quand les footballeurs anglais se syndiquaient pour contrer la toute-puissance des dirigeants« , Dialectik football, 2018
- Dan Williamson, « In celebration of Billy Meredith, the maverick who staddled the Manchester divide« , These Football Times, 2017