« Je m’en vais en vous maudissant. À partir d’aujourd’hui et pendant 100 ans, Benfica ne remportera pas une Coupe d’Europe. » Depuis le départ de Béla Guttmann, entraîneur du Benfica de 1959 à 1962 et double vainqueur de la Coupe des Clubs Champions en 1961 et 1962, les Águias n’ont plus remporté le moindre trophée européen malgré huit finales disputées depuis. Décryptage.
Un technicien expérimenté
Quand Béla Guttmann est nommé à la tête de Benfica, il possède déjà une grosse expérience dans le football. Âgé de 60 ans, il exerce depuis déjà plus de vingt ans. Cet ancien milieu de terrain est un baroudeur. En tant que joueur (de 1917 à 1933), Guttmann a évolué au MTK Budapest (meilleur club hongrois à l’époque), au Hakoah de Vienne avant d’émigrer aux États-Unis face à la montée de l’extrême-droite en Europe et d’endosser les couleurs du Hakoah All-Stars à New-York City. Puis, il retourne en Autriche pour y terminer sa carrière de joueur au Hakoah de Vienne et prendre les commandes du club.
Fidèle à sa réputation, Guttmann bouge beaucoup. Après deux ans à Enschede, il revient au Hakoah de Vienne mais le club est dissout en 1938 suite à l’Anschluss. Le technicien se réfugie alors en Hongrie et s’installe sur le banc de Újpest. Il inaugure son palmarès avec le titre de champion et la coupe Mitropa remportée face à Ferencváros. Une période trouble s’ouvre désormais avec le conflit mondial de 39-45. Personne ne sait exactement ce que fait Guttmann pendant la Guerre. Exilé en Suisse ou au Brésil, caché par son futur beau-frère ? Une partie de sa famille dont son frère est victime des nazis. Quand il était interrogé sur ce thème son unique réponse était : « seul Dieu m’a aidé ».
Après la Guerre, Béla reprend son activité et continue son tour du monde : Roumanie, Hongrie, Italie, Argentine, Chypre, Brésil et Portugal. Son tempérament de feu et sa haute opinion de lui-même ne lui permettent pas de rester plus de deux saisons au même club comme il aime à le souligner : « La troisième saison est fatale ». Mais il est considéré comme l’un des meilleurs entraîneurs de l’époque grâce à ses différents titres glanés ici ou là. Sa mentalité offensive et ses bons résultats avec … Porto. Le jeu des Dragões sous Guttmann séduit les dirigeants de Benfica, qui l’embauchent en 1959 en lui offrant un salaire faramineux. Rapidement, les Águias sont champions du Portugal avec l’expérimenté Mário Coluna à l’issue de la saison 1959/60. Béla mise sur un jeu résolument offensif comme il le déclare : « Je ne me suis jamais inquiété de savoir si l’adversaire avait marqué, car j’ai toujours pensé que nous pouvions marquer à nouveau. »
Il intègre de nouveaux éléments comme José Augusto, António Simões et bien sûr Eusébio en mai 1961 au terme d’un transfert rocambolesque. La légende raconte que Guttmann ait eu connaissance du jeune prodige dès 1960 par l’intermédiaire de son ancien joueur à São Paulo José Carlos Bauer. Le Brésilien lui vante tellement le talent de cet attaquant racé (il court le 100 m en moins de 11 sec, tire des deux pieds et possède une grande capacité de dribble) que Béla chipe le Mozambiquais au nez et à la barbe du Sporting Club Portugal dont Lourenço Marques était un club filiale. Sans Eusébio, Benfica remporte la finale de la Coupe des clubs champions 1961 face au FC Barcelone (3-2) de Luis Suárez, László Kubala, Sándor Kocsis et Zoltán Czibor. En rupture avec le WM, Guttmann impose un 4-2-4 innovant. Il voulait que son équipe joue en passe courte dans les trente derniers mètres mais fasse des passes longues en défense pour mettre le danger le plus rapidement possible chez l’adversaire. Le succès de cette tactique réside dans le démarquage des offensifs en phase de possession et par le marquage en phase défensive comme il l’explique : « Quand on a le ballon, il faut se démarquer, faire des appels dans les intervalles. Et quand on ne l’a pas, on marque l’attaque adverse. »
Benfica conserve sa couronne nationale (1961) devant le Sporting et Porto grâce à une attaque de feu (92 buts marqués). La saison suivante, le club lisboète n’arrive pas à être performant dans les deux compétitions. Si les Encarnados laissent le titre 1962 au Sporting malgré la meilleure attaque du championnat avec 69 buts, ils affrontent le Real Madrid en finale. Dans une rencontre totalement débridée, et malgré le triplé de Puskás, les Portugais s’imposent finalement grâce à un doublé de Eusébio (5-3). Avec ce nouveau succès, Guttmann a transformé Benfica en une grande puissance européenne. Sous sa houlette, cette équipe jeune et dynamique pratique un football offensif à une touche de balle comme il le détaille : « Le une-deux suivi d’une frappe était l’une des armes les plus redoutables de mon Benfica. » Bien que le Hongrois veuille poursuivre l’aventure à Lisbonne, il se déchire avec ses dirigeants au sujet du versement d’une prime refusée par la direction et déclare : « j’ai reçu quatre mille dollars de moins pour avoir gagné la coupe des champions que pour avoir gagné le championnat portugais. Aucune tentative n’a été faite par la direction pour changer cela. »
Les deux parties campent sur leur position. Béla Guttmann décide de partir vers de nouvelles aventures en Uruguay. Mais avant de partir, il maudit le club et prophétise que Benfica ne gagnera plus aucune coupe d’Europe pendant 100 ans. Cette malédiction frappe les Lisboètes dès la saison suivante, et est toujours d’actualité 59 ans plus tard.
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1963 – AC Milan 2-1 SL Benfica
Un an seulement après le départ fracassant de Guttmann, les Lisboètes atteignent à nouveau la finale de la Coupe des clubs champions disputée à Wembley. Depuis la création de la compétition, la domination ibérique est totale avec les victoires du Real Madrid (de 1956 à 1960) et de… Benfica (en 1961 et 1962). Les Encarnados visent le triplé comme les Merengues et l’ouverture du score par l’inévitable Eusébio (1-0), déjà auteur d’un doublé l’année précédente, place son club dans de bonnes dispositions. L’équipe dirigée par Nereo Rocco s’appuie pourtant sur une défense solide avec Cesare Maldini et un milieu travailleur avec Mario David et Giovanni Trapattoni.
Si José Torres manque le break pour Benfica, les Rossoneri ne laissent pas passer l’occasion d’égaliser, quelques minutes tard, aux alentours de l’heure de jeu. Bien servi par Gianni Rivera, José Altafini trompe enfin Alberto Costa Pereira (1-1). Déjà auteur de douze buts lors des tours précédents, il dépasse le record détenu par Ferenc Puskás (12). Et l’Italo-Brésilien signe avec une nouvelle réalisation sur une autre offrande de Rivera (2-1) pour atteindre les quatorze buts. Un record seulement dépassé par Cristiano Ronaldo (17, 16 et 15) et Robert Lewandowski (15). En dépit des efforts de Eusébio pour recoller au score, le trophée est soulevé par Maldini. C’est la première victoire transalpine dans la compétition. La première finale perdue par Benfica.
1965 – FC Internazionale Milano 1-0 SL Benfica
Deux ans après Wembley, Benfica fait face au tenant du titre milanais. L’Inter de Helenio Herrera a le privilège de disputer cette dernière manche à domicile. Si les Portugais possèdent dans leur rang les deux meilleurs buteurs de la compétition avec Eusébio et José Torres (9 buts chacun), ils ne peuvent rien face au bloc bas et compact des Italiens qui procèdent en contre. Les fortes pluies tombées la veille ont rendu le terrain très lourd, à la limite du praticable, et avantagent les locaux. Eusébio est bien marqué par Gianfranco Bedin. Peu avant la mi-temps, le Brésilien Jair reçoit une passe de Mario Corso dans l’angle droit de la surface de réparation. Sa frappe, basse et axiale, fuse sur la pelouse. Bien avant Arconada en 1984, Costa Pereira laisse échapper le ballon qui roule derrière la ligne malgré une ultime tentative désespérée et vaine du portier lusitanien (1-0).
Après la pause, un tir de Sandro Mazzola heurte le montant. Pourtant, Benfica n’est pas verni. La blessure de Pereira oblige l’entraîneur Elek Schwartz de placer le défenseur Germano dans les buts. Les remplacements ne seront autorisés qu’en 1967. En infériorité numérique, Benfica continue de pousser pour égaliser mais la solide ligne défensive parfaitement gérée par le libero et capitaine de l’Inter, Armando Picchi annihile leurs tentatives. Il s’agit de la troisième victoire italienne consécutive et du second revers pour les Portugais.
1968 – Manchester United FC 4-1 (a.p) SL Benfica
Février 1958, un crash aérien à Munich coûte la vie à 23 personnes dont huit joueurs de United. Pourtant, dix ans plus tard, Matt Busby, lui-même blessé dans la catastrophe, parvient à reformer une équipe victorieuse. Le succès à domicile de la Three Lions en Coupe du Monde deux ans auparavant a décomplexé les Anglais. Après une première mi-temps tendue où George Best subit quelques tacles violents, où Sadler manque de belles opportunités et où Eusébio frappe la barre, c’est le capitaine Bobby Charlton qui débloque le score de la tête au retour des vestiaires (1-0). La défense de United tient bon malgré les assauts des attaquants portugais. Suite à un mouvement initié par José Augusto, José Torres remise de la tête vers Jaime Graça. Ce dernier égalise d’une frappe croisée (1-1).
Benfica rate sa chance quand Alex Stepney s’interpose à deux reprises face à Eusébio avant le coup de sifflet final. Les deux équipes doivent en passer par la prolongation. À la 93′, Best récupère un ballon de Brian Kidd pour défier José Henrique. Le fantasque attaquant Nord-Irlandais élimine le portier d’un superbe crochet et marque dans le but vide (2-1). Deux minutes plus tard, United accentue son avance grâce à Brian Kidd qui trompe Henrique de la tête en deux temps (3-1). Enfin, Charlton reprend un centre de Kidd pour conclure (4-1) sept minutes de folie et offrir le premier titre européen aux Anglais à Wembley.
1988 – PSV Eindhoven 0-0 (6-5 t.a.b.) SL Benfica
Après une longue traversée du désert de vingt ans, les Diabos vermelhos accèdent à nouveau en finale. Leur opposant est la redoutable équipe néerlandaise formée par l’ossature et la colonne vertébrale de la sélection Oranje (van Breukelen, R. Koeman, Vanenburg et Kieft) et déjà vainqueur du titre et de la coupe des Pays-Bas. Cette formation possède une dualité forte. Offensive et joueuse sur ses terres (117 buts marqués en Eredivisie), elle est paradoxalement solide et défensive en Europe.
En effet, le PSV parvient en finale sans avoir remporté aucun de ses matchs depuis les huitièmes de finale. Au Neckarstadion de Stuttgart, les Boeren s’appuient sur une défense hermétique. Benfica et Magnusson se heurtent à van Breukelen et Koeman. Dans une finale fermée, l’une pirs de toute l’histoire de la compétition, les deux équipes conservent leur cage vierge au-delà du temps réglementaire et de la prolongation. Le sort de cette rencontre va se décider aux tirs au but. Si tous les Néerlandais convertissent leur tentative, António Veloso tire trop mollement sur le côté droit de van Breukelen qui détourne facilement et offre la victoire au PSV. Comme dans les années 60, Benfica échoue à nouveau de peu aux portes du succès.
1990 – AC Milan 1-0 SL Benfica
Pour cette 35e édition de la Coupe des clubs champions, et comme en … 1963, Benfica retrouve Milan après avoir éliminé Marseille grâce au but controversé de Vata. Face au tenant du titre, vainqueur du Steaua l’année précédente (4-0), ils sont logiquement les outsiders. Pour conjurer le mauvais sort, Eusébio himself s’est rendu sur la tombe de Guttmann pour demander pardon et défaire le club de la malédiction. Pourtant, les Lisboètes résistent bien à l’armada rossonera. En première période, les occasions franches sont rares (hormis une percée de van Basten) et les attaquants n’inquiètent ni Galli ni Silvino.
En seconde mi-temps, Gullit tire puissamment sans troubler le gardien des Águias. Valdo tente sa chance à son tour. Sans succès. Finalement, il faut un rush axial de Rijkaard, bien servi par une habile déviation de van Basten, pour ouvrir la marque (1-0). La défense milanaise, parfaitement dirigée par Baresi, repousse les offensives désordonnées des Portugais. Le score ne bouge plus et Milan conserve sa couronne continentale. À quelques mois de Coupe du Monde, l’Italie s’offre un triplé sans précédent avec les victoires de la Sampdoria en coupe des vainqueurs de coupe et de la Juventus en UEFA. De son côté, Benfica poursuit son calvaire avec une nouvelle finale perdue. Depuis cette année là, l’ancien club de Béla Guttmann n’a plus jamais atteint ce niveau en C1.
En plus des cinq finales de coupe des clubs champions perdues, Benfica a également échoué en coupe de l’UEFA contre Anderlecht en 1983 (1-0 / 1-1), contre Chelsea en 2013 (2-1) et Séville en 2014 (0-0 / 4-2 tab). Les dirigeants portugais ont bien essayé d’enrayer le mauvais sort. À l’occasion des 110 ans du club, une statue de deux mètres de haut du technicien portant les deux trophées conquis en 1961 et 1962 est importée de Hongrie et installée à l’Estádio da Luz. Néanmoins, rien n’y a fait et Benfica a encore perdu contre les Andalous. L’ombre de Guttmann plane toujours au-dessus de Lisbonne pour encore 41 ans.
Sources :
- uefa.com
- Footballski.fr : « Béla Guttmann et la malédiction de Benfica », de Pierre-Julien Pera
- « Les entraîneurs révolutionnaires du football », de Christophe Kuchly, Julien Momont et Raphaël Cosmidis
Crédits photos : Icon Sport