Dans les années 1970, malgré les piètres performances de l’équipe de France, un deuxième club français se hisse en finale de Coupe d’Europe. Deux ans après la formidable épopée des Verts sur laquelle nous sommes revenus dans l’épisode précédent, un nouveau club français est en passe de tutoyer les cimes européennes : le Sporting Etoile Club Bastia.
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Club fondé en 1905, le Sporting ne passe le cap du professionnalisme qu’en 1965. Trois ans plus tard seulement, il rejoint la première division dans laquelle il s’installe progressivement. Moins d’une décennie plus tard, en 1977, les Bastiais se hissent sur le podium du championnat au terme d’une grande saison. Meilleure attaque du championnat, le Sporting est notamment porté par Jacques Zimako et Dragan Dzajic, tous les deux partants au terme de la saison. Mais le club corse sait rebondir et obtient de Saint-Etienne, en échange de Zimako, le renfort de trois hommes ; Vesir et Lacuesta d’abord, mais surtout Jean-François Larios, international français qui aura son importance au cours de la saison à venir. Surtout, le Sporting parvient à attirer un très grand nom : Johnny Rep. Le néerlandais, champion d’Europe avec l’Ajax au début de la décennie, finaliste de la Coupe du monde 1974 arrive de Valence où il a inscrit près de 40 buts en 80 matchs. Ces nouveaux arrivants viennent compléter une équipe où figurent déjà de très bons joueurs tels que Charles Orlanducci, le capitaine et aujourd’hui encore joueur le plus capé du club. Autre figure majeure : Claude Papi, meilleur buteur de l’histoire du Sporting. Cette équipe est coachée depuis 1971 par Pierre Cahuzac dont le petit-fils portera le brassard du club des années plus tard.
Fort de sa troisième place obtenue la saison précédente, le Sporting est donc qualifié pour la première fois pour la Coupe de l’UEFA. Cette compétition encore récente – elle fut créée en 1971 en remplacement de la Coupe des Villes de Foire – voit s’affronter les équipes européennes ayant fini aux places d’honneur dans leur championnat domestique. La France a alors droit a deux participants et ce sont le RC Lens et le SEC Bastia, respectivement deuxième et troisième qui s’apprêtent à disputer la compétition. Sur la liste de départ on compte des clubs comme le Bayern Munich, le FC Barcelone, l’Inter Milan, le Torino, le PSV Eindhoven ou encore le Standard de Liège. La compétition ne compte pas de phase de poule, elle s’ouvre par des 32ème de finale au format aller-retour. Il faut donc disputer 10 matchs avant d’atteindre la finale. Les Corses vont alors réussir l’authentique exploit de remporter leurs sept premiers matchs ! De plus, des 32ème au 1/4 de finales, ils se déplaçaient à chaque fois au match retour. La liste des victimes du SECB impressionne : au premier tour ils se défont d’un autre Sporting, le Sporting Portugal, second de son championnat la saison précédente. En seizièmes de finale c’est Newcastle, cinquième de First Division. Surtout, en huitièmes, les Corses rencontrent un ogre : le Torino, champion d’Italie 1976, dauphin de la Juve pour un point en 1977. C’est ce huitièmes de finale qui est certainement resté le plus célèbre dans l’épopée bastiaise.
Les Corses se déplacent dans le Piémont
Vainqueur 2-1 à Furiani sur des buts de Papi et Repp, les Corses se retrouvent menés sur le même score à Turin, sous la neige et devant 70 000 spectateurs. Ce sont pourtant bien les Corses qui ont ouvert le score au terme d’une superbe action conclue par Larios (voir vidéo) mais les Italiens sont revenus grâce à un doublé de Graziani. Peu après le retour des vestiaires les deux équipes se retrouvent à égalité parfaite. Mais un autre doublé va répondre à celui de Graziani, celui d’Abdlekrim Merry Krimau. Jeune joueur de 23 ans à l’époque, l’international marocain cumulera à la fin de sa carrière plus de 300 matchs et 100 buts en première division et joua pour huit clubs différents dans l’élite du championnat de France. Ce jour-là, il fut le sauveur du Sporting et combla de joie les 10 000 Corses qui avaient fait le déplacement en Italie. Bastia venait de mettre fin à près de deux ans d’invincibilité du Torino à domicile.
Au terme des huitièmes de finale, le SECB s’est donc défait du Sporting Portugal, de Newcastle et du Torino, en remportant chacun de ses six matchs.
La marche vers la finale
Les deux adversaires suivants du Sporting portent des noms moins clinquants, chacun d’eux battra néanmoins le club corse à une reprise dans leurs confrontations. En quarts de finale se dressent les est-allemands du Carl Zeiss Iéna. Cet adversaire plus modeste que le Torino est battu 7-2 à Furiani, la septième victoire en autant de matchs pour les Corses. Le match retour est remporté par les Allemands qui mettent ainsi fin à cette formidable série mais le plus important était déjà acquis : Bastia est en demi-finale de Coupe d’Europe.
Pour la première fois, en demi-finale, les Corses reçoivent au match retour. Pour la première fois, ils perdent le premier match. C’est à Zurich, face au Grasshopper, seize fois champion de Suisse, habitué des Coupes d’Europe, que Bastia s’incline 3 à 2. Le résultat est néanmoins loin d’être catastrophique puisque les deux buts à l’extérieur laissent entrevoir de belles possibilités pour le retour à Furiani. Ainsi, le 11 avril 1978, Claude Papi, le meilleur buteur corse, permet à son club de se qualifier pour la première finale de Coupe d’Europe de son histoire en s’imposant sur le plus petit des scores. Rappelons qu’à l’époque, le format aller-retour valait alors encore pour la finale de C3.
Un match aller gâché par la pluie et immortalisé par Jacques Tati
Le 25 avril 1978, le ciel pleure sur Bastia. Le lendemain doit pourtant se dérouler le match aller de la finale de Coupe de l’UEFA opposant le club local au PSV Eindhoven. Vainqueur du championnat en 1975 et 1976, vice-champion en 1977, demi-finaliste de la C1 deux ans plus tôt, le PSV, qui vient de se défaire difficilement du FC Barcelone, apparaît comme un sacré défi pour Bastia. Sur un terrain totalement détrempé, la finale a bien lieu, l’arbitre donnant son aval. Sur les images filmées par Jacques Tati et sa fille à la demande du président du SECB pour garder mémoire de cette finale, on voit bien l’état déplorable du terrain de Furiani. Le célèbre réalisateur s’amuse d’ailleurs au montage en ajoutant des bruitages qui rendent comiques les scènes où des assistants tentent d’éponger un terrain vraisemblablement impraticable (on peut l’apercevoir sur la photo d’avant-match illustrant cet article). Ce petit court-métrage disponible en ligne est au-delà de cela un formidable document rendant compte de la ferveur qui s’était alors emparé de la ville corse en ce mois d’avril 1978. Malgré cette ferveur, malgré la présence de Jacques Tati pour filmer le potentiel exploit, malgré leur formidable maillot à tête de maure porté uniquement pour la compétition, et surtout malgré ce qui ressembla à une domination corse, le score finale fut de 0-0. La décision allait se faire dans le pays de Johnny Rep.
Trois matchs en six jours
Entre le 26 avril 1978 et le 9 mai, soit le match aller et le match retour, les Bastiais disputent leurs trois derniers matchs de championnat, les deux derniers à trois et six jours du match retour. Cette fatigue physique et mentale accumulée a raison des Corses qui s’inclinent devant la supériorité néerlandaise sur le score de 3 à 0, mettant fin à leurs rêves de victoire européenne, ce qui aurait alors constituer une première pour un club français.
Grâce à cette formidable épopée 1978, le Sporting Etoile Club Bastia devient le troisième club français finaliste de Coupe d’Europe, le premier en C3 et surtout le premier et seul club corse à atteindre un tel résultat. Les coéquipiers de Papi contribuent ainsi à porter haut la tête de maure qu’ils portent sur leur maillot dans un contexte de réveil du nationalisme corse. En effet deux ans plus tôt des affrontements entre militants et forces de l’ordre dans une exploitation viticole accordée à un ancien pied-noir avaient provoqué des émeutes à Bastia et dans toute la Corse et fut le point de départ d’une nouvelle vigueur du nationalisme corse.
Sources :
- Détail de la saison 1977-78 du SECB, Corse Football.
- L’épopée européenne et l’apogée du SEC Bastia, Spriritu Turchinu.
- L’épopée de Bastia en coupe UEFA 1977-78, The Vintage Football Club.
- « Maillots de légende » : SEC Bastia, The Vintage Football Club.
- Claude Papi et l’épopée de 1978, L’Equipe.
- Forza Bastia, Jacques Tati, Sophie Tatischeff, 28 minutes.