Les quatre Beatles, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Star étaient produits par George Martin. Les trois mousquetaires, Athos, Portos et Aramis étaient, eux, associés à d’Artagnan. La Quinta del Buitre (la quinte du vautour, ou l’escadron du vautour) est un autre groupe ayant marqué l’histoire. Ni sur les scènes liverpuldiennes, ni dans les pages du roman de Dumas mais en foulant la pelouse du célèbre Santiago-Bernabéu. Eux étaient bien cinq : Emilio Butragueño, Míchel, Rafael Martin Vazquez, Manolo Sanchis et Miguel Pardeza. Seulement, le dernier, seul à ne pas être né à Madrid, ne s’imposa pas au Real. Tout le contraire de ses quatre amis qui formèrent quand même une « quinte » mythique dans l’histoire du club. Retour sur celle-ci entre exploits sur le terrain et récupérations dans la presse.
Les périodes fastes du Real sont nombreuses. Ses joueurs de légende également. Du quatuor Puskas-Di Stéfano-Kopa-Gento à la période de Cristiano Ronaldo en passant par l’ère galactique de Zidane, Raúl, Ronaldo, etc. Durant la seconde partie des années 80, ce n’est pas un quatuor qui va faire parler du club mais une quinte. Ce n’est pas l’assemblage de grandes recrue mais un groupe de joueurs formés au centre. Ce n’est pas une individualité mais un collectif huilé autour de gamins de la ville. En effet, avant d’être cinq joueurs de football, ils étaient enfants. Hormis Pardeza, ils sont tous nés dans la capitale espagnole. Ils ont tous tapés leur premier ballon sur les pavés de Madrid, ils ont tous été socios du Real Madrid et ont tous l’amour du club autant que celui du jeu. Un jeu rapide où les dédoublements sont aussi nombreux que les buts.
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Le début d’un mythe
Pour ces cinq garçons de Madrid, la popularité débute le 14 novembre 1983 grâce à un papier de Julio Cesar Iglesias dans El País. Le journaliste ibérique découvre de jeunes talents et fait naître le renouveau de la Maison Blanche. Sur un terrain boueux de la banlieue madrilène, il est attiré par la lumière des gamins insolents et frais. Iglesias compare ce vent de fraîcheur à « une conjonction unique entre l’émotion populaire, le goût du public pour la fantaisie, un escadrons d’ailiers fulgurants et de milieux fins et géométriques« . Il ne tarit pas d’éloges sur les jeunes footballeurs qui ont alors entre 19 et 21 ans.
Les ailiers et les milieux dont il parle sont décrits comme lors d’une ode. Chacun à le droit à son passage mélioratif au sein de l’article. Míchel et son « imaginatif jeu d’étudiant« , Sanchis « défenseur qui porte un roman noir inscrit sur le front« , Vazquez qui est « la nouvelle frontière du football » et Pardeza « pour qui le but est un pressentiment avant d’être une action« . La « quinta » (quinte pour le nombre de joueurs talentueux et escadron si l’on suit Iglesias) est dégotée. Encore fallait-il trouver le vautour. Celui qui transpercera les filets et qui nommera cette génération aux pieds dorés. Sur le terrain, c’était évident. Sur la feuille de match également car son nom ressemble étrangement à celui de l’animal royal : El Buitre Emilio Butragueño.
Le match suivant l’article d’El País, les cinq joueurs et leurs coéquipiers ont pu se rendre compte de leur popularité soudaine. En effet, 8 000 madrilènes ont assisté au match de la réserve au sein de l’ancienne Ciudad Deportiva. Sanchis et Vazquez débutent les premiers en A sous l’égide d’Alfredo Di Stéfano. Butragueño, lui, connait sa première à Cadiz. Il rentre au moment où le Real perd 0-2, deux buts et une passe décisive plus tard, Madrid l’emporte et le mythe est lancé.
Une naissance dans la crise
Les cinq jeunes intègrent progressivement l’équipe première du club madrilène qui est alors dans une des périodes les moins glorieuses de son histoire. Malgré quelques succès nationaux, il ne performe plus sur la scène européenne, en témoigne la dernière victoire en C1 datant de 1966. S’il se tourne d’ailleurs vers les jeunes issus du centre de formation, c’est car ses finances sont aux abois. Au regard de son passé légendaire, le Real Madrid semble en crise. Mais c’est le football espagnol, plus largement, qui est en difficulté, avec une élimination sans éclat au second tour de son Mundial 1982. La génération dorée naît à une période où se mêlent rock, attentats de l’ETA et soulagement suite à la fin du franquisme.
Les principaux intéressés sont d’ailleurs lucides sur le fait que la quinte soit née en période trouble. « Nous avons coïncidé avec une époque de changement en Espagne, dit Miguel Pardeza. Le pays se réveillait petit à petit dans une forme d’ébullition culturelle et de désir de liberté. Le football espagnol aussi avait besoin de se réinventer« . Míchel, quant à lui, analyse l’aspect financier : « le club était dans une situation économique très délicate et ne pouvait pas recruter. D’une manière ou d’une autre, la Quinta est le produit de la crise économique« .
Malgré ce contexte délicat, les jeunes joueurs n’ont pas peur et ambitionnent de s’imposer durablement dans le club de leurs rêves. C’est le cas de Butragueño, Míchel, Martin Vazquez et Sanchis. Pardeza, le seul à ne pas naître à Madrid, verra ses espoirs avortés en étant prêté au Real Saragosse en 1985, avant d’y être définitivement transféré deux ans plus tard. Ainsi, les cinq amis formant la véritable Quinta del Buitre n’ont jamais joué de rencontres professionnelles ensemble. La presse espagnole va pourtant récupérer l’expression d’Iglesias pour parler du Real Madrid de la dernière moitié des années 1980 dans son ensemble, ne s’arrêtant pas qu’aux, désormais, quatre prodiges.
La Quinta, les autres et les titres
S’ils ne sont plus que quatre sur les cinq du départ, ils ne sont cependant pas tous seuls. L’équipe première est un collectif bien huilé mélangeant plusieurs catégories de joueurs. Les prodiges du centre de formation, les joueurs expérimentés comme Juanito, Santillana ou Camacho, et des recrues de talents telles Valdano, Hugo Sanchez, Schuster ou Gordillo. Une équipe bourrée de classe qui est notamment entraînée par le célèbre hollandais Léo Beenhakker (de 1986 à 1989 puis de 1991 à 1992).
Cet effectif va quasiment tout rafler sur son passage. En effet, de 1986 à 1990, la Casa Blanca remporte cinq Ligas consécutives, la Coupe du Roi 1989, et les deux seules Coupe de l’UEFA de son histoire, en 1985 et 1986. Malgré ces huit trophées, le club faillit à sa principale quête : remporter la Coupe d’Europe des Clubs champions après une vingtaine d’années à manger du pain noir. Cependant, sur le terrain c’est bien du caviar que servent Míchel et sa bande.
Plus qu’un jeu léché, la Quinta caractérise une véritable tempête offensive. L’exemple le plus concret est celui d’Emilio Butragueño, qui inscrit 180 buts en 450 matchs entre 1983 et 1994. Les buts d’Hugo Sanchez, les passes de Míchel, l’intelligence de Valdano ou les changements d’ailes de Vazquez sont les parfaits compléments du vautour. Le théoricien Jorge Valdano s’exprime à propos des évolutions que le jeu pratiqué lors de son aventure madrilène a provoqué :
« Pendant de nombreuses années, le football espagnol fût associé à la furia, un sentiment mêlant agression et football direct. Ces dernières étaient les qualités les plus respectées et les plus recherchées, mais il est plus difficile de les convertir en un style. C’est alors qu’apparaît Emilio (Butragueño), qui incarne exactement le contraire de la furia. Il est devenu subitement une idole. Avant lui, les Madridistes avaient toujours eu un faible pour les joueurs qui donnent 110% d’eux-mêmes. Aujourd’hui, s’ils aiment autant les stylistes, c’est grâce à lui. Il a changé la manière dont le Bernabéu voit le football »
La Quinta del Buitre est avant tout un mythe. Un mythe d’abord fondé sur une imprécision journalistique faisant passer le surnom affublé à une bande de cinq gamins de Madrid à toute l’équipe première de la meilleure équipe du monde. Un mythe surtout sportif où le jeu pratiqué a ravi les foules. Les pluies de buts ont ramené du monde au Bernabéu et ont remis du baume aux cœurs d’Espagnols meurtris par la dictature franquiste des décennies précédentes. Huit titres mais pas de Coupe d’Europe des Clubs champions. Le nom de cette génération dorée ne figure pas sur le palmarès de la prestigieuse compétition. Comme si leur nom était trop grand pour une petite ligne. Le football ne doit pas à la Quinta une coupe aux grandes oreilles, il lui doit davantage. Alors, un soir, un grand-père madrilène racontera à ses petits enfants qui étaient Emilio Butragueño, Míchel, Rafael Martin Vazquez, Manolo Sanchis et Miguel Pardeza, ceux-ci voyant les étoiles dans ses yeux. Tel est le propre du mythe.
Crédit photos : Iconsport
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