Madrid, 2 mai 2017, 20h45. La capitale espagnole s’apprête à accueillir une demi-finale aller de Ligue des Champions entre les deux clubs qu’elle abrite, deux clubs qui font partie des plus grands d’Europe. Alors que le Club Atlético de Madrid enchaîne les échecs en Ligue des Champions contre son rival, ses supporters espèrent inverser le tendance pour la première fois depuis des décennies. Cristiano Ronaldo n’est pas de cet avis et dicte le match : un triplé et 90 minutes plus tard, les colchoneros rentrent chez eux avec un retard de trois buts sur la plus grande équipe d’Europe de l’époque. L’exploit est impossible et ne sera pas réalisé. Le Real Madrid remporte ensuite sa finale contre la Juventus et est sacré champion d’Europe pour la douzième fois de son histoire.
Aucun match ne pourrait mieux résumer la rivalité Real – Atlético : le plus grand club de l’histoire du football ne considère l’Atlético que comme un vulgaire moustique ne demandant qu’à être écrasé. Pourtant, malgré cet écart de niveau frappant, la rivalité entre les deux clubs madrilènes n’en reste pas moins excitante : les colchoneros prônent l’authenticité, la passion et l’amour infini de leurs couleurs. De l’autre côté, les merengues ne jurent que par leur armoire à trophée, le slogan devant le musée du club l’exprimant parfaitement : « Les trophées racontent l’histoire… ce sont des faits concrets qui définissent leur détenteur loin des critiques et des clichés. Chaque trophée gagné ferme une période de victoire pendant laquelle le Real Madrid était meilleur que chacun de ses rivaux, ce qui lui vaut le titre bien mérité de plus grand clubs de tous les temps. »
La rivalité entre les deux clubs remonte plus d’un siècle en arrière : le Real Madrid, créé en 1902, a vu le jour un an avant son rival, l’Athletic Club de Madrid. Trois enfants basques, supporters de l’Athletic Club de Bilbao, fondent le deuxième club de Madrid en tant que branche du club de Bilbao. Le club ne prend son nom actuel qu’en 1946, juste après la guerre. Si le premier match entre le Real et l’Atlético date de 1904 et s’est soldé par un sévère 6-0 en faveur des merengues, la rivalité en tant que telle n’est née que plusieurs années plus tard, en 1916. Alors que le Real mène 3-1 et que le match est encore loin d’être à son terme, les insultes volent entre les supporters des deux camps. Ce qui devait arriver arriva ensuite : une bagarre générale éclate, les supporters du Real traitant ceux de l’Atlético de « sans abris », chose qui n’a pas plu. Historiquement, l’Atlético représente en effet le club des prolétaires et de la classe ouvrière de Madrid. Pourtant, avec le temps, le public du Real Madrid s’est grandement diversifié, réunissant désormais des supporters de toutes classes sociales. Un sondage du CIS (Centre d’investigations sociologiques) datant de 2014 dévoile en effet que 62% des habitants de Madrid sont sympathisants du Real, contre seulement 22% pour l’Atlético.
Différentes façons de vivre sa passion
C’est d’ailleurs sur ce point que les supporters de l’Atlético cherchent à se démarquer de ceux du Real. Quand on supporte l’Atlético, il y a un côté plus authentique selon Javi, fan de l’Atlético intérrogé par FourFourTwo : « Madrid, c’est Disney. L’Atlético est plus vrai, plus frustrant. Tout est une question d’espoir et d’émotions : c’est à la fois beau, horrifiant et tendre. » Le Real joue le rôle du grand frère dans cette relation pas si fraternelle. Le grand club marche sur l’Atlético et ne lui laisse que quelques miettes, pensant en réalité bien plus au FC Barcelone qu’au second club de la capitale. La pire des insultes possibles frappe l’Atlético depuis des décennies : l’indifférence presque totale du Real à leur encontre. Une haine se développe sans surprise du côté des supporters de l’Atlético : le Real est un club de tricheurs, de corrompus et sans honneur, qui se croit bien plus grand qu’il ne l’est réellement. C’est un club plus mainstream, moins authentique et passionné. Dès l’enfance des supporters rojiblancos, on leur apprend, en chanson, que « la différence entre le bien et le mal, c’est que le mal est blanc. »
Michael Robinson, ancien attaquant pour Liverpool et Osanuna, a clairement pris partie pour l’Atlético dans une interview accordée à FFT : « Les fans du Real pensent qu’ils sont supérieurs, ce qui irritent les supporters de l’Atlético. Si je devais définir les supporters des deux clubs, je dirais : Atléti jusqu’à la mort, Real jusqu’à la prochaine défaite. On l’a remarqué quand l’Atlético est descendu en seconde division et que le nombre de billets vendus a augmenté. Ce ne serait jamais arrivé au Real Madrid. »
L’homme qui s’exprime le mieux à ce propos incarne l’Atlético et ses valeurs. Fernando Torres, El Nino, légende absolue du club de la capitale, s’est longuement dévoilé à ce sujet, expliquant pourquoi l’Atlético était un club plus attachant que le Real Madrid.
« Quand j’avais sept ou huit ans, tout le monde supportait le Real à l’école. Je portais mon maillot de l’Atlético juste pour les énerver… mais c’était moi qui finissais par être énervé, même si je ne le montrais pas, parce qu’on perdait souvent le week-end. Pendant des années, Madrid a été le grand club de la ville, mais pas seulement : d’Espagne et d’Europe aussi. Nous, nous étions l’équipe pauvre, de la classe ouvrière, qui essayions de les rattraper. Forcément, les fans de l’Atlético fêtent les victoires avec plus de joie et plus de passion. Les fans de Madrid en demandent toujours plus et en ont toujours plus, ce sont les riches, mais ils n’apprécient pas leur football. Les enfants pourraient penser : pourquoi supporter l’Atlético quand les fans du Real sont toujours contents ? La réalité, c’est qu’ils ne sont pas contents. Ils n’en ont jamais assez. Être un fan de l’Atlético, cela peut te faire souffrir, mais cela te rend beaucoup plus fort. »
Le derby madrilène en trois finales
Si les confrontations et la rivalité entre les deux clubs semble être à sens unique, il ne faut pas oublier qu’avant l’arrivée du Barça au haut niveau européen, les plus vieux supporters du Real considéraient – et considèrent encore aujourd’hui – l’Atlético comme le véritable rival. Même si les merengues sont bercés par les matchs et les victoires de leur club en Ligue des Champions, ils n’en restent pas moins avides de victoires contre leurs petits frères colchoneros. Parmi de multiples matchs qui ont marqué l’histoire des deux clubs, en voici trois qui ont participé à l’entretien de cette rivalité historique.
- Madrid, Santiago Bernabéu, finale de la Copa del Rey, 1992.
« Si vous ne gagnez pas ce soir, je vous enfonce une bouteille de Coca taille XXL dans le cul. Vous devez les battre. Ils nous ont humilié pendant si longtemps… maintenant c’est l’occasion ou jamais de leur rendre la pareille. C’est le Real Madrid, à Bernabéu. Oubliez la tactique. »
C’est ainsi, tout en finesse, que Luis Aragones, légende de l’Atlético réputée pour ses remarques totalement inappropriées aurait encouragé ses joueurs avant l’un des plus grands matchs de l’histoire de son club. L’homme impliqué dans une affaire de racisme envers Thierry Henry, son ancien coéquipier à Arsenal, est entraîneur des rojiblancos à cette époque, mais y a également joué pendant dix ans. Bien avant cela, il a été enrôlé par le Real Madrid au début de sa carrière… sans jamais en porter le maillot sur un terrain de football. Peut-on en ressortir un sentiment d’amertume ? Le résultat est lui aussi rentré dans l’histoire : 2-0 pour l’Atlético au terme d’un match envenimé.
- Deux matchs, deux finales, une seule compétition et un même résultat
Malheureusement pour les fans de l’Atlético et pour le plus grand bonheur de ceux du Real Madrid, les confrontations en Ligue des Champions entre les deux clubs ont toutes été dans le même sens cette dernière décennie : quand Cristiano Ronaldo rencontrait l’Atlético, c’était presque perdu d’avance. Pourtant, en finale, leur bourreau porte un tout autre nom. L’un des plus grands « défenseurs-buteurs » de l’histoire du football, Sergio Ramos. En 2014, alors que l’Atlético est à quelques secondes de son premier titre dans la plus grande compétition européenne, Sergio Ramos vient jeter un froid glacial parmi les colchoneros en faisant trembler les filets grâce à un coup de tête parfaitement placé. Les deux clubs filent en prolongations et le suspens ne dure plus. Bale, Marcelo puis l’inevitable Ronaldo sur penalty viennent écraser les rojiblancos dans un match illustrant parfaitement la rivalité entre les deux clubs : un sentiment que quoiqu’il arrive, le Real Madrid sera à jamais intouchable.
Le second match est probablement encore plus frustrant pour les supporters de l’Atlético. Deux ans plus tard, le football européen est de nouveau dominé par les deux clubs de la capitale espagnole. Sergio Ramos ouvre le score à la quinzième minute, et tandis que le sort de l’Atlético semble alors scellé, les joueurs font preuve d’un sang-froid remarquable et n’encaissent plus de buts. Mieux encore : à la 79ème minute, Carrasco égalise et le score ne changera plus. Direction les tirs aux buts. San Siro, lieu de la finale, est en feu. Une fois encore, le Real fait parler l’expérience et remporte ce match aux penaltys. Juanfran rate le sien, et le dernier tireur du Real n’est autre que Cristiano Ronaldo. Le monde sait alors que le Real Madrid est champion d’Europe, bien avant que l’international portugais ne tire. Comme une évidence, le cynisme des merengues vient crucifier les espoirs des hommes de Diego Simeone. Un match reflétant parfaitement cette rivalité si particulière.
Bien évidemment, résumer cette rivalité en quelques matchs est impossible, et nombreuses sont les rencontres qui ont entretenu cette rivalité débordante.
Cette rivalité berce désormais le football européen depuis plusieurs décennies, pour le plus grand bonheur des amoureux du ballon rond dans sa forme la plus pure. Alors que le Real hausse les épaules quand il perd, sachant que son heure viendra d’ici quelques semaines ou quelques mois, l’Atlético est « né pour souffrir », et l’amour des supporters rojiblancos pour leur institution est quasiment inégalée en Europe. Deux manières de penser le football, deux manières de le célébrer, deux manières de le vivre. A Madrid, les habitants sont bercés par le football, et lui témoigne tous les jours leur amour.
Sources :
- FourFourTwo : More Than A Game, Atlético Madrid vs Real Madrid
- Goal : Atlético Madrid – Real Madrid, aux confins de la rivalité
- Sportmagazine : Dix choses que vous ne saviez pas sur le derby madrilène
Crédit photos : Iconsport