Le football basque est abondamment représenté dans le monde du foot actuel, y prenant une place conséquente en Liga. L’Athletic Club, le Club Atlético Osanuna, la Sociedad Deportiva Eibar, le Deportivo Alavés et la Real Sociedad mettent en effet régulièrement les pieds en première division espagnole, venant ainsi représenter le Pays basque dans l’un des plus grands championnats du monde. Parmi les clubs cités, deux d’entre eux ont une aura plus puissante et une histoire plus conséquente que les autres.
Ces clubs, l’Athletic Club et la Real Sociedad, mettent en avant le football basque depuis de nombreuses décennies. Opposés en de nombreux points, leurs racines sont pourtant les mêmes.
Les deux clubs sont nés dans des conditions très similaires. Ce sont des travailleurs anglais de Sunderland qui fondent l’Athletic Club à Bilbao, en 1898, copiant les couleurs de Sunderland pour le maillot du club. Quant à la Real, elle voit le jour en 1905 sous le nom de San Sebastian Football Club, également fondée par des travailleurs anglais. C’est cinq ans plus tard que le club prendra le nom de Real Sociedad.
Comme un symbole, le premier affrontement des deux clubs dans une compétition officielle s’est déroulé lors de la première journée de l’histoire de la Liga, le 10 février 1929. Le 1-1 qui en a résulté symbolise la fraternité des deux clubs, opposés en deux nombreux points et pourtant très amis.
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1981 – 1984, quand l’Euskadi dominait la première division espagnole
Pendant quatre saisons, le Pays basque a tenu tête aux autres clubs espagnols. Tour à tour, la Real et l’Athletic sont allés chercher la Liga, empêchant le Real Madrid et le FC Barcelone d’imposer leur loi sur le championnat. En 1981 et 1982, les Txuri-Urdin vont parvenir à se faire une place parmi les meilleures équipes du pays. Juste avant cela, ils avaient déjà battu le record de journées consécutives sans perdre de matchs : 38 rencontres, à cheval entre les saisons 1978/79 et 1979/80. L’entraîneur Alberto Ormaetxea, avec son 4-3-3 défensif, va faire de son stade une véritable forteresse imprenable, permettant au club de rêver un peu plus, match après match. Le meilleur buteur du club et principal protagoniste de ces deux titres, Jesús María Satrústegui, témoignait à Eurosport :
« Nous avions six qualités majeures : le travail, l’humilité, la force, le sacrifice, la solidarité et le réalisme. Dans notre stade d’Atocha, il était très difficile de nous résister. Aujourd’hui, je comparerais notre Real au style influé par Diego Simeone à l’Atlético de Madrid. Nous étions focalisés sur le fait de réaliser les meilleures prestations possibles, match après match, renchérit Satrústegui. Plus les rencontres avançaient, plus l’objectif se dessinait pour nous, à savoir remporter la Liga. »
En plus de ses performances exceptionnelles lui ayant permis d’aller chercher ses uniques championnats à ce jour, la Real s’est également offert une épopée européenne, allant jusqu’en demi-finale de C3.
Peu après, alors que le déclin de l’équipe se faisait sentir et que celle-ci vint s’enfermer au milieu du tableau, l’Athletic prit le relais. C’est sous Javier Clemente que les Lions vont aller chercher leurs septième championnat, suivi d’un doublé coupe – championnat historique en 1983-1984. Une période dorée pour l’histoire du football basque.
Une rivalité saine et fraternelle : pour l’amour du football et du Pays basque
Dans toute fratrie, il faut un grand frère qui martyrise amicalement le plus petit. Le rôle du grand frère est ici joué par l’Athletic Club, qui ne peut pas être comparé avec la Real Sociedad sur le plan du palmarès. D’un côté, nous avons l’un des plus grands clubs de première division espagnole. De l’autre, nous avons un club à l’aura toute particulière et au nombre de fans impressionnant, mais pas comparable avec le club de Bilbao.
La rivalité entre les deux clubs n’en est pas vraiment une, et ce match n’a de derby que le nom. En effet, c’est probablement le derby le plus calme d’Europe, puisque ces rencontres permettent avant tout aux deux équipes de se retrouver pour faire la fête et célébrer leur amour du football. Même si les supporters veulent à tout prix gagner chaque derby, les débordements sont très rares, voire inexistants, lors des oppositions entre les deux représentants du football basque. L’amour du football et de la région sont célébrés, la rivalité reste saine et fraternelle.
« Il ne faut pas comparer ce match avec un Real-Atlético ou un Barça-Espanyol. Cela se vit avec beaucoup plus de populisme et de joie collective. Les Basques sont heureux de s’unir sur un terrain de football. Les heures qui précèdent chaque derby, nous sommes bras dessus, bras dessous. La rivalité est saine : nous pouvons manger ensemble après le match, il n’y a aucun souci ! » Satrústegui, attaquant de la Real Sociedad entre 1973 et 1986
Parler de cette rivalité fraternelle et de la troisième mi-temps animant les rues basques chaque jour de match ne doit cependant pas atténuer l’importance de remporter chaque match, qui reste crucial pour les deux équipes.
« C’est le plus beau match qui puisse exister en Espagne, une vraie affiche ! Si vous voulez connaître l’importance d’un derby basque, regardez les tribunes et observez l’envie que les joueurs mettent dans cette rencontre. Nous sommes frères c’est vrai, mais au moment où l’arbitre fait démarrer le match, la suprématie régionale est en jeu. » – Javier Clemente.
En outre, le principal rival de ces deux institutions se situe bien plus bas en terre hispanique : dans la capitale madrilène. Chaque victoire d’un club basque contre le Real Madrid symbolise la victoire et l’importance du Pays basque sur l’Espagne.
1976 : le derby de l’Ikurriña, symbole de cette relation fraternelle
S’il fallait illustrer la proximité de ces deux clubs et leur attachement au Pays basque, nous parlerions du derby de l’Ikurriña. L’Ikurriña désigne le drapeau officiel de la région. En 1976, après la mort de Franco, il n’était pas officiel, et même renié par l’autorité espagnole. Lors d’un match entre les deux clubs, un évènement peu commun se produisit. C’est Josean de la Hoz Uranga, tout juste remplaçant de la Real, qui concocta un plan pour envoyer un message fort de la part de la région. Son objectif : introduire l’Ikurriña dans le stade. Une tâche qui peut paraître simple… si l’on ne sait pas que ce drapeau a été banni depuis la fin de la guerre civile espagnole. Le posséder était passible d’une peine de prison. Il demanda à sa sœur de lui en confectionner un. Celle-ci s’exprima à la radio basque Euskal Telebista à ce sujet : « Il m’a demandé de lui coudre un Ikurriña, mais personne ne voulait me dire pourquoi. » Il parvint ensuite à l’introduire dans sa trousse de soins jusque dans l’enceinte. Son idée était de montrer l’union des deux clubs en confiant le drapeau aux deux capitaines pour qu’ils le brandissent en entrant sur le rectangle vert. Arrivé dans les vestiaires, il demanda au capitaine de l’Athletic, José Ángel Iribar, si les joueurs de l’Athletic accepteraient de prendre part à cet évènement. Le capitaine donna son accord, à une condition : la décision devait être unanime. « Si quelqu’un avait refusé dans le vestiaire, quel qu’en soit la raison, nous ne l’aurions pas fait » confiait Iribar à El Pais en 2011. Ce geste aurait pu avoir de très lourdes conséquences pour les joueurs. Il n’en fut rien. Lorsque les deux équipes entrèrent sur la pelouse en brandissant l’Ikurriña, la police resta de marbre. « Cela semblait impossible que la police puisse faire quoi que ce soit face à deux équipes d’un tel renom. » confiait Roberto López Ufarte, joueur de la Real, à El Pais en 2011 Le lendemain, la presse espagnole ne publia rien sur l’évènement, à l’exception de Mundo Deportivo qui le mentionna brièvement.
Le 16 janvier 1977, le drapeau fut finalement légalisé, après une lutte acharnée de la part des mairies. Le 25 du mois, il fut même dressé sur l’hôtel de ville de Pamplona, avant de devenir le drapeau officiel de la région deux ans plus tard. Cela ne fait aucun doute : cette officialisation n’aurait jamais été possible sans cette rencontre historique. Aujourd’hui, le drapeau est trouvable dans le musée de la Real Sociedad.
Si le football basque est aujourd’hui si respecté et présent à l’échelle européenne, c’est en grande partie grâce à l’aura de ces deux clubs si différents des autres qui, malgré leur rivalité inévitable, parviennent à vivre en communauté et à privilégier le développement du football de la région aux dépens des tensions qui pourraient exister entre les deux clubs. Dans ces deux grandes institutions, l’amour du football et du Pays basque passe bien avant la rivalité, à l’image des confrontations qui sont synonymes de fêtes, de célébrations et d’unité.
Sources :
- Eurosport, Quand le roi Euskadi dominait le Real et le Barça…
- FuriaLiga, L’Athletic, l’autre géant d’Espagne
- La Grinta, Athletic Bilbao – Real Sociedad, l’immortalité des philosophies
- Site officiel de la Real Sociedad, Le derby de l’Ikurrina
- So Foot, Les 28 choses que vous ne savez peut-être pas sur le derby basque
- These Football Times, How a basque derby brought the legalisation of the Basque flag
- Wikipedia, Basque derby
Crédit photos : Iconsport