On ne peut pas être désignée comme une des plus belles villes du monde sans avoir en son sein un des plus beaux matchs du monde. À Rome, la population retient son souffle au moins deux fois par an, lorsque l’AS Roma affronte la SS Lazio. Comme à Madrid, Buenos Aires ou bien Londres, la ville est séparée en deux camps, et la tension est électrique. Mais la fracture n’est pas que footballistique, elle est aussi présente sur le plan social, politique et géographique.
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En 1927, il existe quatre clubs évoluant dans la ville de Rome : l’Alba Audace, Fortitudo, Roman FC et la Lazio. Sous l’impulsion du Duce, Benito Mussolini, et dans un désir de rendre les équipes du sud plus compétitives, les clubs des grandes villes doivent fusionner. Tous acceptent pour donner naissance à l’Associazione Sportiva Roma, mais un seul refuse, la Società Sportiva Lazio, club fondé en 1900. De ce refus naîtra une grande rivalité qui verra deux équipes s’affronter chaque année pour se déclarer meilleur club de la ville.
Le premier derby de l’histoire prend place le 8 décembre 1929, au sein de l’ancien stade de la Lazio, la Rondinella. Ce sont les Giallorossi qui s’imposent les premiers, grâce à une réalisation de Rodolfo Volk. Il faudra attendre 1932 aux supporters laziali pour connaître la joie de battre l’AS Roma.
Deux rivaux aux différences multiples
Les différences sont très nombreuses entre ces deux frères ennemis. Pour comprendre la fracture, il suffit d’observer leurs logos. Concernant l’AS Roma, on a opté pour les couleurs or et rouge pourpres, couleurs de la ville éternelle. Sur l’emblème, on distingue Romulus et Remus ainsi que la Louve, personnages importants du mythe de la création de la ville. La représentation de la cité romaine est donc omniprésente chez les Giallorossi. Du côté de la Lazio, on a opté pour le blanc et le bleu ciel, en hommage à la Grèce, berceau des Jeux olympiques. En tant que club omnisport, la référence prend un sens particulier. L’aigle royale, lui, peut être interprété comme une référence à Zeus, dieu de la mythologie grecque. C’est aussi et surtout le symbole de région, ce qui est finalement logique quand on sait que le nom Lazio désigne la région qui abrite Rome (en français, Latium). Aucune référence ici à la ville de Rome donc. D’ailleurs, le quartier général du club est situé à Formello, une commune située au nord-ouest de Rome, et non pas dans la capitale.

La différence entre les deux clubs romains se retrouve dans la construction de l’emblème
Quand les supporters romains rappellent aux laziali que leur nom ne porte même pas la mention de la capitale, ceux-ci répliquent en clamant que leur club est plus vieux. “Prima squadra della capitale”, répètent-ils à qui veut l’entendre. La première équipe de la capitale. Mais l’argument est réel, dans la ville romaine, vous aurez beaucoup plus de chances de croiser un supporter de la Roma qu’un tifoso des Biancocelesti.
Lazio – Roma, une rivalité idéologique
La fracture se retrouve aussi sur le plan social. Bien qu’il soit impossible de classer une personne dans une catégorie sociale en fonction de son équipe de coeur, le derby oppose deux classes sociales différentes, à l’instar de la rivalité entre Boca Juniors et River Plate. Les tifosi romanisti sont souvent issus de la classe populaire, placés à gauche sur l’échiquier politique, bien qu’ils ne le revendiquent pas ouvertement. Les supporters de la Lazio, eux, seraient plus aisés et plus proches de l’extrême-droite. Ce constat est fait depuis les origines du derby capitolino. En 1929, Benito Mussolini devient membre honoraire de la Lazio et favorise l’arrivée de Silvio Piola, qui reste aujourd’hui le meilleur buteur de l’histoire de la Serie A. Mais les supporters continueront à perpétuer ces “traditions” fascistes, notamment sous l’impulsion des Irriducibili, les « Irréductibles » en français, le groupe Ultra de la Lazio le plus sulfureux. Leur idole ? Paolo Di Canio. Joueur controversé du début du siècle, il est définitivement adopté par les supporters lorsqu’il célèbre son but, face au rival romain, d’un salut fasciste. Mais récemment, les Irriducibili ont dépassé les bornes.

Paolo di Canio, créateur de polémiques professionnel
Les deux clubs de la capitale occupent le même stade, le Stadio Olimpico. Cependant, la Curva Nord est réservée aux Laziali et la Curva Sud aux Romanisti. Problème, suite à des cris racistes, le virage nord est fermé pour deux matchs de la Lazio. Les supporters doivent donc suivre le match depuis l’autre virage, celui de l’ennemi juré. Les tifosi de la Lazio profitent de l’occasion pour tapisser les murs de stickers à l’effigie d’Anne Franck, en la représentant avec un maillot de l’AS Roma. Inacceptable pour la société italienne et l’affaire devient en un instant un scandale national. Pourtant, ce n’est pas le premier acte antisémite à mettre à l’effigie des Irriducibili. En 1998 face à l’AS Roma, ils avaient brandi une banderole d’une violence inouïe. Il était marqué : “Auschwitz votre patrie, les fours votre maison”.

La message lancé par les Ultras laziali
La tension a toujours été palpable entre les supporters des deux camps romains. Un événement majeur reste gravé dans la mémoire des supporters. Lors du derby de 1979, une fusée lancée depuis le virage sud par un Romain traverse tout le terrain et blesse mortellement le supporter laziale Vincenzo Paparelli. Cependant, les Ultras des deux clubs se sont déjà alliés. En 2004, une rumeur selon laquelle un enfant aurait été renversé par la police aux abords du stade arrive aux oreilles des Giallorossi. Certains d’entre eux parviennent à pénétrer sur la pelouse et demandent au capitaine Francesco Totti de suspendre le match. Finalement, l’information était fausse, mais la ville a connu des heurts tout au long de la nuit, voyant les Ultras laziali et romanisti s’unir contre la police.
Totti, l’homme de ce derby
Francesco Totti est d’ailleurs sans conteste le joueur le plus emblématique de ce derby. Le « dernier empereur » de Rome est le meilleur buteur de l’histoire du derby capitolino et aussi le joueur le plus capé, avec 44 matchs pour 11 buts. Romain de naissance, il baigne dans la rivalité depuis toujours et connaît cette joie de battre l’ennemi juré. Mais aussi, tel un Ultra de la Curva Sud, il sait chambrer l’adversaire de la plus belle des manières. En 1999, il marque contre la Lazio et dévoile un tee-shirt à message. On peut y lire “Vi ho purgato ancora” ; je vous ai encore bien eu. De quoi mettre en rogne les supporters biancocelesti. Cependant, Totti peut se vanter d’être un des seuls Romains à avoir gagné le respect de ses rivaux. Lors d’un Lazio-Inter, dernier match que les Laziali disputent à domicile avant la retraite d’Er Pupone, on pouvait lire sur une banderole “les ennemis d’une vie saluent Francesco Totti”.
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Chambrer l’adversaire, plus qu’une passion
Avantage AS Roma
Comme pour tout bon derby, il y a toujours une équipe qui, au cours de l’histoire, a pris le dessus sur une autre. Pour 163 rencontres officielles, 60 ont été remportées par l’AS Roma contre 43 pour la Lazio, auxquelles il faut ajouter les 60 autres matchs nuls. Quant au palmarès, les Giallorossi possèdent trois Scudetti et neuf Coppa d’Italia. Les Aigles, surnom des joueurs de la Lazio, n’ont gagné “que” deux championnats et sept Coupes domestiques. Toutefois, ils ont déjà gagné sur la scène européenne avec une Coupe des coupes en 1999. Voilà ce qui fait le charme de cette rencontre si particulière, on ne peut jamais prédire l’issue du match avant son déroulement.
Bien que la Lazio et la Roma ne figurent plus véritablement parmi les favoris au titre de champion d’Italie, le derby reste toujours un des matchs les plus importants du calendrier transalpin. La tension qui règne dans les ruelles de la ville éternelle, à quelques heures du coup d’envoi, ne se retrouve nulle part ailleurs. Bientôt, nous saurons quel groupe de supporters s’autoproclamera comme celui de la meilleure équipe de Rome pour les six prochains mois.