Le catenaccio n’est pas une idéologie du football italien, c’en est une fondation. Cette vision d’un football organisé sur des bases défensives infaillibles a inspiré les plus grands entraîneurs italiens de l’histoire. Pourtant, l’un des précurseurs du football offensif moderne, idée contraire à ce catenaccio, se nomme Arrigo Sacchi, ancien coach italien de Parme, de la Squadra Azzurra mais surtout de l’AC Milan, avec qui il a conquis l’Europe, tout en imposant ses principes novateurs.
Cinq défenseurs, un libéro comme dernier rempart, une rigidité défensive à toute épreuve. C’était l’un des principes phares du football italien dans les années 80. L’esthétique n’avait pas sa place dans ce jeu, tant que la victoire faisait son apparition à la fin des 90 minutes. Une vision stricte d’un football italien qui n’avait plus rien de spectaculaire et qui ne s’imposait presque plus en Europe depuis près de 20 ans. Entre 1970 et 1989, seule la Juventus est parvenu à remporter la fameuse Coupe des clubs champions en 1985. En 1987, Silvio Berlusconi, président de l’AC Milan, va chercher en Serie B un illustre inconnu du nom d’Arrigo Sacchi. Berlusconi réalise à ce moment un choix audacieux, mais justifié par son engouement pour un nouveau style de jeu que le mage de Fusignano, surnom lié à sa ville de naissance, parvenait à mettre en place à l’époque avec Parme. Un style plus offensif, contraire à ce que l’on peut voir sur les pelouses de Serie A qui avait d’ailleurs battu le club lombard à deux reprises l’année précédente en Coupe d’Italie. Il Cavaliere prend le risque de tenter quelque chose de différent qui pourrait permettre à l’AC Milan d’avoir de meilleurs résultats, son club n’ayant plus remporté le Scudetto depuis maintenant 8 ans.
Des principes de jeu novateurs
Lorsqu’il arrive à la tête du club lombard, Sacchi organise déjà une première révolution : il met en place 2 entraînements par jour. Une nécessité pour parvenir à faire rentrer ses principes de jeu dans la tête de son effectif. Sacchi décide premièrement d’abandonner le marquage individuel, principe défensif de base à l’époque, pour un marquage en zone. Cette idée consiste à organiser la phase défensive de manière à ce que plusieurs joueurs concernés, dans une zone prédéfinie, se placent de manière à gêner le porteur de balle, tout en réduisant l’espace et le temps de prise de décision de l’adversaire.
Pour ce faire, il supprime le poste de libéro, pour mettre en place une défense à 4 dans un 4-3-1-2 novateur, avec deux défenseurs centraux sur la même ligne, afin de permettre à tous les joueurs de se coordonner pour la récupération du ballon. Ce marquage en zone s’applique en phase défensive, mais surtout en phase offensive, ce qui est une énorme révolution à l’époque. Sacchi veut absolument défendre haut, avec une ligne défensive parfois à la ligne médiane, afin d’étouffer l’adversaire à la relance, et récupérer le ballon en étant le plus proche de la surface adverse. Pour reprendre ce ballon, il était prévu que Marco Van Basten et Ruud Gullit pressent le premier défenseur afin d’orienter le ballon sur une aile. Les milieux et les latéraux s’organisaient alors pour aller presser le latéral adverse, tandis que les attaquants marquaient les défenseurs afin de couper tout axe possible. La réduction de l’espace, ainsi que des lignes extrêmement serrées ne laissaient presque aucune chance au porteur de balle qui perdait le ballon généralement très vite. Le contre pressing faisait aussi partie des principes de jeu de Sacchi qui souhaitait récupérer le ballon le plus vite possible après l’avoir perdu. Cette idée de bloc compact permettait aussi, en phase de possession, de donner aux joueurs des solutions à tout moment afin de progresser plus facilement sur le terrain.
Pour permettre à ses joueurs de comprendre chaque facette de son système de jeu, il lui arrivait très régulièrement d’organiser des séances sans ballon. Durant ses séances, Sacchi jouait le rôle du ballon et se déplaçait sur le terrain pour expliquer à chacun des joueurs où ils devaient se placer et ainsi n’épargner aucun détail. « Un entraîneur doit être comme un chef d’orchestre, mais il ne doit pas seulement diriger, il doit aussi composer la musique ». Sacchi voulait que son équipe ne soit pas composée de 11 individualités mais bien un groupe de 11 joueurs parfaitement coordonnés. Cette idée de bloc compact et d’un plan parfaitement huilé permettait aussi, en phase de possession, de donner aux joueurs des solutions à tout moment afin de progresser plus facilement sur le terrain. Dans une interview pour RMC Sport, l’ancien coach a d’ailleurs comparé sa vision du football à l’armée d’un des ancêtres de son peuple : Jules César.
Un rejet de l’équipe pour ses idées
Evidemment, ces principes novateurs ainsi que les méthodes d’entrainement ne plaisent pas à des joueurs professionnels dont l’ego est bousculé par un entraîneur qui connait ses toutes premières apparitions dans l’élite italienne. Se faire réapprendre le football par quelqu’un qui n’avait jamais été professionnel n’était sûrement pas facile à encaisser pour les joueurs, mais Sacchi avait une réplique mythique pour contrer cet argument que les journalistes aimaient lancer à son encontre : « Je ne savais pas que pour devenir un jockey, il fallait un jour avoir été un cheval». Il avait raison, pas besoin d’avoir été un grand joueur pour être un grand entraîneur, d’autres coaches, comme José Mourinho, le prouveront plus tard. Pour faire passer ses idées à son effectif, Sacchi a mis près de 6 mois, afin que tout le monde assimile le plan. Il a notamment usé de la persuasion, afin de faire comprendre à son effectif qu’il ne faisait plus qu’un dans la quête de la victoire : « L’égocentrisme est une plaie dans un sport d’équipe. Il faut faire appel à l’intelligence et à l’enthousiasme du joueur. L’entraîneur doit être l’homme qui parvient à les convaincre. La conviction tu peux la faire passer par la persuasion ou la percussion. Moi je tentais de le faire par la persuasion ».
Le soutien de Berlusconi l’a aussi beaucoup aidé pour mettre en place ce qu’il voulait. Lorsque les joueurs montraient leur défiance envers les idées de leur entraîneur, le président milanais lâchaient alors : « Entre l’équipe et Sacchi, je choisis Sacchi ». Une phrase lourde de sens qui a pesé dans les esprits.
Motivation et intelligence, moteur d’une équipe qui fonctionne
Pour parvenir à mettre en place tout le plan tactique qu’il avait confectionné, Sacchi souhaitait avant tout utiliser des joueurs intelligents et motivés. Pour lui, le football ne se joue pas avec les pieds, mais bien avec la tête.
« J’ai toujours voulu une équipe qui pensait, cela élevait l’intelligence de l’équipe et la mienne. Mais il faut surtout de la motivation. La motivation est comme l’essence d’une voiture. Je préfère une Fiat 500 avec de l’essence qu’une Ferrari sans essence. Avant tout je regardais la personne. Son implication, sa motivation, sa recherche de l’excellence. Quand je voulais Carlo Ancelotti, le médecin nous a assuré qu’il n’avait que 20% d’habilité dans son genou gauche. Silvio Berlusconi m’a dit qu’on ne pouvait pas le prendre car il allait nous faire régresser. Je lui ai répondu : « Président, je le veux, je serai seulement préoccupé s’il n’a pas 20% d’habilité dans son esprit »».
Le mage de Fusignano était là pour révolutionner le jeu de l’AC Milan, le football italien, mais surtout faire comprendre aux amateurs de ce sport qu’il n’y a pas résultat sans un minimum de réflexion.
Des résultats exceptionnels
Malgré un long temps d’adaptation, Sacchi prouve à tous ceux qui ont douté de lui, qu’il était fait pour entraîner une écurie comme l’AC Milan. Il remporte dès sa première saison le Scudetto, et en profite pour s’attacher les services d’un autre joueur talentueux pour venir renforcer ses rangs : Frank Rijkaard. Le Hollandais vient compléter les deux attaquants que sont Gullit et Van Basten pour construire le fameux trio batave. Les trois Néerlandais permettront à Sacchi d’améliorer un peu plus son plan de jeu. Il remportera en 1989 la Coupe des clubs champions, la première de l’AC Milan en 20 ans, en réalisant deux performances exceptionnelles en demi-finale face au Real Madrid. Après avoir arraché le nul à l’aller (1-1) au Stade Santiago Bernabeu, Emilio Butragueño confiera :
« Je jouais au Real Madrid depuis que j’avais onze ans, et je n’avais jamais vu, enfant ou adulte, une équipe venir imposer son jeu, venir nous attaquer, nous prendre le ballon et le terrain comme l’a fait Milan ce jour là. Nous étions sous le choc ».
Mais le vrai choc, ce sera le match retour que Milan remportera 5-0 à San Siro dans un match durant lequel les Madrilènes auront été étouffés du début jusqu’à la fin sans possibilités de révolte. Sacchi et ses hommes remporteront la finale contre le Steaua Bucarest sur le score lourd de 4-0 sur la même physionomie. La saison d’après, l’Italien rentrera encore plus dans la légende en allant chercher une seconde Coupe des clubs champions. Après son succès à l’AC Milan, son dernier grand fait d’armes sera avec l’équipe nationale italienne. Il parviendra à faire atteindre la finale de la Coupe du Monde 1994 à la Squadra Azzurra, qui sera finalement perdue aux tirs au but.
Figure emblématique de l’AC Milan et de la sélection, Arrigo Sacchi a toujours prôné un beau football offensif, le style de jeu que l’on a envie de voir lorsqu’on se rend au stade, tout en étant efficace. Il a réussi, malgré la réticence de joueurs éduqués par le catenaccio, à donner une nouvelle version du football à l’italienne, tout en raflant des titres au passages.
« J’ai dû convaincre, dans un pays qui pensait le foot en mode défensif, qu’une autre philosophie était possible, celle d’un jeu d’attaque. Il fallait convaincre que le foot était un jeu reposant d’abord sur une certaine idée du collectif. Un collectif tourné vers l’attaque. Il a fallu expliquer à des gens vivant et approchant le football d’une certaine façon que les connexions, les liaisons entre les joueurs, pouvaient renforcer finalement la sécurité et donc indirectement aussi le jeu défensif ».
Son héritage a permis à de nombreux coaches italiens de voir le football d’une manière radicalement différente. Le jeu offensif proposé par Maurizio Sarri à Naples en était d’ailleurs un bon exemple. Vainqueur de la Premier League en 2016 avec Leicester, Claudio Ranieri avait d’ailleurs exprimé son admiration pour Sacchi : « Arrigo Sacchi est arrivé et il a tout changé. C’est lui qui a permis au football Italien de prendre un nouveau virage et de s’ouvrir à un jeu offensif ». Même si le style de l’Italie est, et sera toujours orienté sur la rigidité défensive, le passage de Sacchi dans le paysage du football transalpin aura permis d’apprendre de nouvelles possibilités qui seront exploitées de manière admirables pour permettre à la sélection et aux clubs italiens de perdurer parmi l’élite du football mondial.
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