Comment passer de capitaine de l’équipe de France à collabo et officier nazi zélé ? Voilà la sombre question que pose la vie d’Alexandre Villaplane. Joueur majeur des années 1920-1930 mais escroc véreux dans l’âme, il creusera toujours plus profondément le sillon de sa propre descente aux enfers. Retour sur la trajectoire noire de celui qui a porté le brassard des Bleus lors de la première Coupe du Monde de l’histoire en 1930. Devenu ensuite un élément clé de la Gestapo pendant l’Occupation, il est fusillé à la Libération en 1944.
26 mars 1944, commune de Brantôme, au cœur du Périgord. La Seconde Guerre mondiale fait rage depuis 1939 et la France est occupée par l’Allemagne nazie depuis 1940. Ce jour-là, en représailles à des actions de résistance contre deux officiers allemands, 25 otages sont exécutés par la terrible SS hitlérienne.
11 juin 1944, quelques kilomètres plus au sud, c’est cette fois à Mussidan que sont raflées 350 personnes après une nouvelle attaque. 52 d’entre elles sont tuées, pour ce qui représente le plus important massacre commis en Dordogne au cours de l’Occupation.
Lors de chacun de ces actes odieux, un point commun : la présence et la participation active d’un tout récent sous-lieutenant de la SS, Alexandre Villaplane. À Mussidan, il aurait assassiné lui-même une dizaine d’otages. Avec ses compagnons regroupés au sein de la féroce Légion nord-africaine, chargée de nettoyer l’ensemble de la Dordogne, il se rend coupable de bien d’autres exactions.
Parcours effrayant d’un homme, entraîné par la grande Histoire, ses vices et son absence totale de scrupules. Car avant de revêtir l’uniforme de la SS et de porter le brassard rouge à croix gammée, Alexandre Villaplane avait été un très bon joueur de football. Au point d’avoir l’honneur d’endosser le maillot bleu de l’équipe de France à 25 reprises, dont plusieurs avec le brassard de capitaine au bras.
Alexandre Villaplane, des faubourgs d’Alger au capitanat des Bleus lors de la Coupe du Monde 1930 en Uruguay
Né le 24 décembre 1904 à Alger, c’est dans ce qui est encore l’Algérie française qu’Alexandre Villaplane grandit et se découvre une passion pour le football. Il a 14 ans lorsque, avec sa famille, il quitte le quartier populaire de Belcourt pour rejoindre la métropole.
L’époque dans laquelle cet athlète à la taille modeste (1m66) évolue est à des années-lumière du football business d’aujourd’hui. Le professionnalisme n’existe même pas encore dans l’Hexagone. C’est la pratique de « l’amateurisme marron » qui est davantage en vogue à ce moment. Comprenez : les joueurs, qui doivent rester amateurs, se voient souvent offrir par les clubs des emplois fictifs leur permettant d’être payés malgré tout.
C’est dans ce contexte qu’Alexandre Villaplane rejoint les rangs du FC Sète à partir de 1921. Il joue dans le club de l’Hérault jusqu’en 1927 et se construit une réputation solide de bon footballeur. Milieu de terrain infatigable, il est très à l’aise défensivement, où il se montre intraitable, voire parfois rugueux. Toutefois, ses qualités techniques, de placement et d’organisation du jeu sont aussi manifestes. Intelligent, il sait offrir les passes justes à ses coéquipiers. Créatif, certains disent même de Villaplane qu’il est l’inventeur de la tête plongeante.
Un talent qui lui ouvre naturellement les portes de l’équipe de France à 22 ans à peine, en 1926, pour une victoire contre la Belgique 4-3. Il enchaîne rapidement en étant titulaire lors des cinq rencontres suivantes, avant de revenir en Bleu en 1928. Il devient alors un élément incontournable de l’équipe, avant de se voir même confier le brassard de capitaine. Les résultats restent malgré tout régulièrement décevants, marqués notamment par une cinglante défaite 8-1 en Espagne en avril 1929. Comme souvent à cette période de l’histoire de l’équipe de France.
LIRE AUSSI : François da Rocha Carneiro : 120 ans de l’Équipe de France
En 1927, Villaplane fait le choix de quitter Sète pour rejoindre le voisin nîmois. Il y reste deux ans avant de répondre aux sirènes de la capitale et de revêtir les couleurs ciel et blanc du Racing Club de France. Pour sa première saison, en 1929-1930, ses coéquipiers et lui parviennent jusqu’en finale de la Coupe de France. Mais au bout d’une défaite 3-1 après prolongation, Villaplane et les Parisiens sont battus par son ancien club du FC Sète.
Voilà alors le moment du grand départ bleu vers l’Amérique du Sud pour disputer la première Coupe du Monde de l’histoire en Uruguay. Au bout d’une traversée sur un paquebot de luxe, les Français ont même l’honneur de jouer le premier match du tournoi, face au Mexique. Villaplane, brassard au bras, fait donc partie de ces joueurs ayant eu le privilège de vivre les tous premiers instants de la plus prestigieuse compétition de football.
Moment d’autant plus historique que la France l’emporte 4-1, avec le premier but du Mondial signé Lucien Laurent. La suite est moins réjouissante. Battus avec les honneurs face à l’Argentine (1-0) puis sur le même score contre le Chili, les Tricolores sont éliminés dès le premier tour. C’est là le dernier match officiel de Villaplane avec le coq sur le cœur.
LIRE AUSSI : 1930 : la première Coupe du Monde de l’histoire
La descente aux enfers de « la légende noire du football français »
Est-ce après cet apogée footballistique que le parcours d’Alexandre Villaplane se met soudainement à vriller ? Le terreau de sa propre ruine était sans doute déjà présent avant l’arrivée de ces années 1930 qui allaient faire basculer le monde dans l’horreur.
« La légende noire du football français ». Tel est dépeint Alexandre Villaplane par Luc Briand, magistrat et auteur du livre Le Brassard sur la vie de ce dernier, publié en septembre 2022 (Éditions Plein Jour).
En 1932, le milieu de terrain quitte le Racing Club de Paris pour retourner au sud, à l’Olympique d’Antibes. Il a alors là l’occasion de disputer le premier championnat de France professionnel de l’histoire. Symbole de l’évolution que connaît ensuite son existence, cette expérience prometteuse se termine mal pour le club des Alpes-Maritimes.
Lors de cette première édition, les vingt équipes participantes sont versées dans deux poules de 10 et les deux premiers sont qualifiés pour la finale. Antibes et Villaplane finissent premiers de leur groupe. Cependant, accusés de corruption aux dépens du SC Fives qu’ils avaient écrasé 5-0, les Antibois sont disqualifiés. C’est l’AS Cannes, deuxième, qui a l’honneur de monter à Paris pour affronter l’Olympique Lillois dans cette première finale, finalement remportée par les Nordistes 4-3. Après guerre, ce club qui, fusionné avec le SC Fives, deviendra le LOSC, continuera à garnir son armoire à trophées.
LIRE AUSSI : 1945-1954 : le LOSC, locomotive du football français
Villaplane ne reste qu’un an à Antibes avant de rejoindre l’OGC Nice. Il ne le sait pas encore, mais c’est là le crépuscule de sa carrière de footballeur. Peut-être même avait-il alors déjà commencé celle d’escroc ?
Ancienne star du ballon rond, Villaplane glisse en effet lentement dans la catégorie des voyous. La raison : son goût (trop) prononcé pour les tripots, les magouilles, les courses et les paris truqués, et son envie de s’enrichir. Cette soif inépuisable devient plus forte que tout. Elle causera aussi sa perte.
Tout cela explique pourquoi Villaplane apparaît de plus en plus dans la rubrique des faits divers et toujours moins dans celle du sport. En 1934, il est sur le point de s’engager avec le club bordelais du FC Hispano-Bastidien quand il est arrêté pour un scandale de paris hippiques truqués. Cela marque la fin de sa carrière alors qu’il est condamné à six mois de prison.
Cette expérience ne calme pourtant pas sa soif de l’argent facile et son appât du gain. Il bascule même peu à peu dans le grand banditisme et se montre prêt à tout pour arriver à ses fins ou sauver sa peau. Lors d’un autre séjour derrière les barreaux, en 1938, il rencontre les truands Henri Lafont et Pierre Bonny, avec qui il sympathise. Des liens qui précipiteront sa chute vers l’infamie au moment de l’Occupation.
Alexandre Villaplane, officier SS sans pitié à la solde de l’Allemagne nazie
Balayée par la Wehrmacht en mai-juin 1940, la France se retrouve fracturée en deux blocs. Au nord, la zone occupée par les armées hitlériennes. Au sud, celle dominée par le régime de Vichy pétainiste et collaborationniste. Ce ne sera qu’en 1942 que les Allemands occuperont l’ensemble du territoire national.
Cette époque trouble et dramatique constitue une aubaine pour Villaplane, personnage sans droiture ni moralité. Il y voit autant d’occasions de s’enrichir. En 1940, le « combinard », comme il se décrit lui-même, est arrêté par les Nazis pour avoir tenté de leur fourguer de faux lingots d’or. Il est sauvé grâce à ses relations avec Laffont, collaborateur notoire qui deviendra le chef de la Gestapo française. Cette situation l’amène à se mettre au service, lui aussi, des Nazis.
Le parcours sinueux de Villaplane est également narré dans un autre livre de 2022, le roman Jouer, Trahir, Crever de Frédéric Massot. Il intègre alors la bande Bonny-Lafont de la rue Lauriston, à Paris. Ce groupe composé de malfrats et d’opportunistes forme un service d’auxiliaires français de la Gestapo. Particulièrement zélé, « Le bel Alex » traque, torture et exécute les résistants comme les juifs. Pas par idéologie, non. Mais par avidité, oui, avec la possibilité de mener la grande vie parisienne. Dans cette France occupée et déchirée, son passé de footballeur est déjà bien loin.
LIRE AUSSI : Le football sous l’Occupation : l’Avia Club de Roger Méquillet
Alexandre Villaplane, guidé par son désir de se faire récompenser, se montre extrêmement efficace. Il participe par exemple, le 20 juillet 1943, à l’arrestation de Geneviève de Gaulle, nièce du Général. Cette même année, il demande la naturalisation allemande, prête serment à Adolf Hitler et intègre officiellement les troupes de la Schutzstaffel, c’est-à-dire la SS. Vêtu de l’uniforme noir et funeste, il obtient le grade de sous-lieutenant.
Puis, avec sa bande de la rue Lauriston, surnommée la Carlingue, Laffont crée en 1944 la « Légion nord-africaine ». Opérant pour l’Allemagne nazie, cette brigade appelée aussi « Phalange nord-africaine » réunit des collaborationnistes nord-africains, dont Alexandre Villaplane évidemment. Son but : « nettoyer » le Périgord de tous les maquis de résistants qui composent la région. L’ancien milieu de terrain ne verse alors plus dans l’escroquerie, mais dans le crime de guerre.
« Cette brigade nord-africaine […], elle a tué en Dordogne plus de deux cents personnes, et encore ce ne sont là que les cadavres identifiés. Ils arrachaient les bijoux des cadavres et j’ai vu leurs poches pleines de bagues dégoulinantes de sang. C’est le lieutenant Alex qui les commandait, il se pavanait dans un uniforme allemand, saluait à l’hitlérienne et traversait Périgueux dans une Citroën criblée de balles ; il l’avait volée aux maquisards et il s’en glorifiait ». Témoignage publié dans le journal clandestin Combat, 4e année, n°155, Paris, 1944.
La terreur que font régner en Dordogne la Légion nord-africaine et Villaplane est considérable. Elle découle des multiples exactions dont ils se rendent coupables. À Brantôme, en mars 1944, George Dumas, père du futur ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, fait partie des victimes. Âgé de 88 ans en 2021, le Périgourdin Jean-Jacques Dailliat se souvenait encore de sa panique d’enfant quand Villaplane débarqua dans l’exploitation de ses parents. Ce qui les amène là : la recherche d’armes. « Comment oublier lorsqu’on est un gamin de 11 ans et que l’on se retrouve face au mur, les bras en l’air, un fusil dans le dos ? » confiait alors celui qui est décédé en 2023.
L’ancien capitaine des Bleus est devenu un sinistre serviteur du Reich, à coup de tueries et de massacres. Toutefois, à peine naturalisé, il ne résiste pas au débarquement de Normandie ni à la Libération de la France. Il est en effet arrêté à Paris en décembre 1944 en compagnie de Lafont, Bonny et neuf autres complices. Condamnés à mort pour haute trahison, ces « douze salopards » de la Carlingue sont fusillés le 27 décembre 1944 au Fort de Montrouge.
À bien des égards, la trajectoire de vie d’Alexandre Villaplane est digne des scénarios les plus funestes. Joueur star des années 1930, capitaine français durant la première Coupe du Monde de l’histoire, son avidité notoire le fit entrer au service des nazis pendant l’Occupation. Ainsi, les horreurs qu’il perpétra l’amenèrent à tomber dans l’opprobre, pour y demeurer à jamais.
Sources :
- Hervé Chassain, « Dordogne : Alexandre Villaplane, du football à la Gestapo », sudouest.fr ;
- Stéphanie Claude, « Dordogne : enfant, il a été terrorisé par Villaplane, l’ex-footballeur devenu SS », sudouest.fr ;
- Quentin Mallet, « Alexandre Villaplane, capitaine de l’équipe de France et traître à la nation », larevuedhistoiremilitaire.fr ;
- Gilles Festor, « Alexandre Villaplane, l’effrayante trajectoire du capitaine des Bleus devenu officier nazi », le figaro.fr ;
- Christine Rousseau, « « Le Brassard », ou l’histoire du capitaine de l’équipe de France de football en 1930 devenu nazi », lemonde.fr ;
- Bauduin Eschapasse, « Football : quand le capitaine des Bleus s’engageait pour les nazis », lepoint.fr ;
- Fiche d’Alexandre Villaplane, lequipe.fr ;
- Pascal Coucy, « Hommage aux fusillés de Brantôme en présence de Roland Dumas », france3-regions.francetvinfo.fr ;
- « Histoire : en 1944, la rafle et le massacre de Mussidan, en Dordogne », sudouest.fr ;
- Fiche d’Alexandre Villaplane, ffr.fr.
Crédits photo : Icon Sport.