Né en Gironde, formé au club, Alain Giresse reste pour beaucoup le joueur le plus emblématique de l’histoire des Girondins de Bordeaux. D’abord en concurrence avec Michel Platini, leur association a été une formidable réussite et a guidé l’Equipe de France vers une victoire à l’Euro 84. Surnommé le petit prince de Lescure ou plus simplement Gigi par les supporters bordelais, ce numéro 10 plein de vista a régalé la Ligue 1 pendant 18 ans. Son intelligence et son humilité ont fait de lui le coéquipier parfait. Retour sur la carrière bien remplie du meneur de jeu.
Alain Giresse intègre le groupe professionnel des Girondins de Bordeaux pour la saison 1970-1971. Pour sa première saison, Giresse aide son équipe à obtenir une bonne cinquième place mais cette performance restera inégalée pendant trop longtemps. Le club vit des années difficiles malgré l’éclosion d’une pépite au poste de numéro 10. Son influence au sein du collectif grossit et après avoir atteint le statut de titulaire indiscutable, le petit meneur de jeu ( du haut de ses 1m62 ) est promu capitaine. Le 7 septembre 1974, il obtient sa première sélection en Equipe de France. Malgré une victoire 2 à 0, il ne convainc pas Stefan Kovacs, le sélectionneur. La situation de son club ne va malheureusement pas peser en sa faveur. Malgré son rôle d’organisateur, il est le meilleur buteur du club pour cinq saisons consécutives, de 1973 à 1978. En dépit de ses belles performances, le club finit constamment au delà de la dixième place et se met même en grand danger lors de la saison 1978. Ils ne remportent aucun de leurs sept derniers matchs et échappent à la relégation d’un seul point, finissant à la seizième place du classement. Giresse est trop esseulé au sein d’un collectif qui ne fonctionne pas. Cette situation freine sa carrière, il n’arrive pas à s’imposer dans une équipe de France désormais menée par un autre numéro 10 : Michel Platini.
Le petit prince grandit
L’arrivée du sulfureux Claude Bez, en 1978, va faire basculer Giresse et les Girondins dans une autre dimension. L’ancien trésorier devient président du club et se donne trois ans pour ramener Bordeaux en Europe. Il investit sur des joueurs comme Bernard Lacombe ou Albert Gemmrich qui épaulent désormais « Gigi » aux avant-postes. Le réel point de départ de la belle époque girondine est l’été 1980. Aimé Jacquet arrive sur le banc bordelais malgré son manque d’expérience. Les conditions semblent enfin réunies pour rêver d’Europe au Parc Lescure. Lacombe empile les buts ce qui permet à Giresse de se concentrer sur la construction. Ses qualités de percussion balle au pied sont phénoménales, sa vision du jeu permet à ses coéquipiers de s’exprimer dans les meilleures conditions. Il est le créateur attitré de cette formation, tous les ballons semblant passer par lui. Ses qualités techniques font aussi de lui un tireur de coups de pied arrêtés redoutable. Cette saison fantastique, couronnée par une troisième place synonyme d’Europe, ouvre à nouveau les portes de l’Equipe de France à Giresse.
Alors qu’il a 29 ans, il commence à perdre espoir de briller en Bleu. Michel Hidalgo décide de lui faire confiance, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a le nez creux ! Il participe à la qualification des Bleus, notamment lors du match mythique face aux Pays-Bas remporté 2 à 0. Ce 18 novembre 1981, Hidalgo met en place une équipe très offensive constituée de trois numéros 10 en club : Genghini, Platini et Giresse. Dans une formation en 4-3-3, cela signifie que les Français vont jouer sans milieu récupérateur. Lorsqu’un journaliste lui demande qui va défendre, le sélectionneur répond : « Défendre ? Pour quoi faire ? On aura le ballon. » Une nouvelle fois, le succès du « petit prince » passe par le collectif. Aux côtés d’un Michel Platini au sommet de son art, il va modifier son jeu pour assurer l’équilibre de son équipe et mettre en valeur son capitaine. D’ailleurs, il portera le numéro 12 durant l’intégralité de sa carrière internationale. Grâce à l’humilité et au sens du sacrifice de ses joueurs, Michel Hidalgo a réussi à profiter de tout le potentiel offensif de son effectif.
1982 : Entre reconnaissance et amertume
Cette année 1982 restera une des plus frustrantes de sa carrière. Après une saison pleine avec les Girondins, Giresse aborde la Coupe du Monde en Espagne en pleine confiance. Les Français s’en sortent difficilement lors de la phase de poules après une défaite initiale face à l’Angleterre mais « Gigi » semble de plus en plus à l’aise au sein du « carré magique » complété par Genghini, Platini et Tigana, son nouveau coéquipier chez les Girondins. Les Français se qualifient finalement pour les demi-finales grâce à un doublé de Giresse face à l’Irlande du Nord. Ils y affronteront l’Allemagne de Rummenigge et de… Schumacher. Le tournoi des Allemands a été plutôt décevant avec une défaite inaugurale face à l’Algérie. Ils se sont qualifiés à la suite du « match de la honte » de Gijon face à l’Autriche. Une victoire 1 à 0 de l’Allemagne qualifiant les deux équipes, celles-ci se livrent à un spectacle navrant, en cessant de s’affronter dès lors que ce résultat a été atteint.
Giresse est survolté. Son coup-franc botté d’un délicieux extérieur du pied provoque un penalty que transforme Platini pour égaliser à un partout dans la première période. La deuxième mi-temps est surtout marquée par l’attentat de Schumacher sur Battiston. Les Bleus entament les prolongations avec beaucoup d’entrain. Giresse, à nouveau sur coup-franc, trouve Marius Trésor seul au milieu de la surface adverse qui fusille le gardien adverse d’une superbe reprise de volée. Quelques minutes plus tard, Giresse, encore lui, se mue en buteur d’une frappe à l’entrée de la surface qui heurte le poteau avant de faire trembler les filets. Sa joie à la suite de ce but est partagée par toute la France, convaincue que les portes de la finale ont été franchies. C’était malheureusement sans compter sur la détermination des Allemands qui réduisent la marque par Rummenigge avant d’égaliser dans les dernières minutes grâce à une reprise acrobatique de Fischer. Les Français perdent aux tirs au but après un match plein de rebondissements qui a marqué les esprits. Les Allemands s’inclineront en finale face à l’Italie de Rossi, élu Ballon d’Or à la fin de l’année.
De retour à Bordeaux, Giresse est revanchard et va peser de tout son poids dans la belle saison de son équipe. Ses performances en Coupe de l’UEFA vont marquer les esprits. Les Girondins se qualifient pour les huitièmes de finale, à la faveur de deux remontées fantastiques lors du match retour et Giresse y est pour beaucoup. En effet, il inscrit deux doublés dont deux ballons piqués au dessus du gardien délicieusement touchés. Grâce à lui, ils surmontent des situations très mal embarquées. Malgré un but au match aller sur penalty, le meneur de jeu ne pourra éviter la défaite de son équipe face au vice-champion de Roumanie. En dépit de l’élimination précoce de son équipe, Giresse finira vice-meilleur buteur de la compétition avec six buts marqués. Sur un plan personnel, il réalise sa meilleure année. Sa deuxième place au classement du Ballon d’Or vient récompenser sa virtuosité et sa régularité mais ça ne lui fait ni chaud, ni froid. Le football, c’est avant tout un sport d’équipe ! « Cela ne me satisfait pas, c’est un titre ou une coupe sur le terrain qui m’intéresse. Je préfère que l’on récompense une équipe où joue Giresse, plutôt que Giresse lui-même. Ne cherchez pas à comprendre, c’est comme ça !« déclarera-t-il plus tard à « Droit au but ».
Des efforts enfin récompensés
Alain Giresse veut des titres et l’équipe qui l’entoure ne cesse de s’améliorer. Specht et Battiston viennent grossir les rangs. Bordeaux fait enfin partie des favoris à l’obtention du titre. Très vite éliminés des coupes, les Girondins se concentrent sur le championnat et arrachent le titre de champion de France à l’AS Monaco à la simple différence de buts. Giresse, avec ses seize buts en championnat y est pour beaucoup. Le capitaine bordelais décroche enfin la timbale pour laquelle il s’est battu pendant treize saisons et est élu meilleur joueur français pour la deuxième année consécutive. A l’Euro 1984, remporté par l’équipe de France, Giresse est un titulaire indiscutable au sein du « carré magique » dans lequel est apparu Luis Fernandez. Giresse réussit un match fantastique, avec un but et deux passes décisives, face à la Belgique que la France remporte sur le score de 5 à 0. Le collectif français est intraitable et seul le Portugal réussit à faire douter les Bleus en demi-finale. Les titres s’enchaînent enfin pour Giresse qui s’adapte à merveille aux différents collectifs dans lesquels il évolue.
En pleine confiance, les Bordelais déroulent et remportent un nouveau titre de champions de France en 1985, assuré à plusieurs journées du terme de la saison. Leur parcours en Coupe des Clubs Champions est lui aussi remarquable ! Ils se débarrassent de l’Athletic Bilbao, du Dinamo Bucarest et enfin de Dnipropetrovsk avant de se frotter à la Juventus de Turin. Cette rencontre est l’occasion de se régaler du duel qui oppose les deux numéro 10 champions d’Europe : Michel Platini et Alain Giresse. Les Bordelais l’emportent à domicile 2 à 0, insuffisant pour rattraper la défaite 3 à 0 du match aller. Michel Platini remporte par la suite la compétition en terminant à nouveau meilleur buteur avec 7 buts, avant d’être élu Ballon d’Or. Cette demi-finale historique reste à ce jour le meilleur résultat des Girondins dans cette compétition, cimentant un peu plus le statut de leur capitaine.
La saison 1985-1986 sera sa dernière saison en tant que joueur chez les Girondins avant de signer pour l’Olympique de Marseille, où il terminera sa carrière. Ironie du sort, la finale de la Coupe de France oppose ces deux équipes. Giresse veut remporter un ultime titre avec son club de cœur avant de passer à la dernière étape de sa riche carrière. La rencontre est tendue et se dirige doucement vers une séance de tirs au but quand Alain Giresse sort un geste de grande classe de son chapeau. A la 116ème minute, Jean Tigana trouve son capitaine dans la surface d’un centre à mi-hauteur. Le contrôle du pied gauche est parfait, après avoir laissé le ballon rebondir, Giresse caresse le ballon qui lobe un gardien pourtant peu avancé. Bordeaux remporte le match 2 à 1 et Giresse peut quitter son club la tête haute.
Sa dernière grande compétition est la Coupe du Monde 1986, au Mexique. Malgré la belle performance collective, Giresse n’a plus le même impact sur le jeu, pas aidé par la chaleur ambiante. Il contribuera tout de même grandement au beau parcours de son pays, notamment avec une passe décisive face à l’URSS. Les Français seront finalement éliminés en demi-finale face à l’Allemagne. Son passage à Marseille sera surtout marqué par une deuxième place au championnat derrière Bordeaux qui remporte aussi la Coupe de France.
La carrière de Giresse parle pour elle-même. Avec ses 587 matchs de championnat, il est le joueur de champ ayant participé au plus grand nombre de matchs de Ligue 1. Il est aussi le meilleur buteur de l’histoire des Girondins. La progression du petit génie s’est faite parallèlement à l’évolution de son club. Pour Alain Giresse, football et équipe sont indissociables. Il a su se rendre indispensable partout où il est passé tout en gardant une humilité rare pour un joueur de son envergure. Un bon numéro 10 rend toute son équipe plus forte en mettant en valeur ses coéquipiers. La réciproque est aussi vraie, un bon numéro 10 doit être bien entouré car il n’a pas vocation à finir les actions mais bien de les créer. La carrière d’Alain Giresse est l’illustration parfaite de l’interdépendance entre le numéro 10 et son équipe.