D’invité surprise à héros de la Nazionale et de la Nation lors du Mondiale 90, le parcours de Salvatore Schillaci a été fulgurant. « Ma carrière, d’une certaine manière, a duré trois semaines. Mais je ne les échangerais pour rien au monde contre des titres. » Cependant, le conte de fées n’a duré qu’un été.
Une lente ascension
Palerme est la capitale de la Sicile mais également la ville natale de Salvatore Schillaci. Le jeune garçon grandit dans le quartier populaire de San Giovanni Apostolo, situé dans la banlieue nord, un quartier dortoir appelé « natovecchio ». C’est là que les familles des employés d’Amat, la société de transport de Palerme, logeaient après la guerre. D’ailleurs, il commence le football avec l’équipe de l’Amat Palerme. De 11 à 17 ans, Salvatore cumule ses matchs en club mais également des tournois improvisés dans les rues de son quartier comme il le raconte :
« Vers 8h30 le dimanche matin, je jouais mes matchs de championnat. Puis, à 11 heures, je me rendais à proximité, Viale Michelangelo ou Piazza Cellini, pour des parties féroces contre les équipes des quartiers voisins : des matchs difficiles sur des routes caillouteuses et à moitié asphaltées. Chacun mettait 10 000 lires : il fallait se battre beaucoup pour gagner les lires de son adversaire. »
Repéré tout comme son coéquipier Carmelo Mancuso par l’US Palerme, les deux clubs ne parviennent pourtant pas à se mettre d’accord sur le montant du transfert. Finalement, il part à Messine en 1982 où il évolue en Serie C2. À la pointe nord-est de l’île, Totò prend ses marques. Dès la première saison, Messine obtient sa promotion en Serie C1. Les Giallorossi se maintiennent et atteignent même le podium (3e) sous la direction de Franco Scoglio en 1985, sans accéder à la Serie B. Mais ce n’est que partie remise.
L’année suivante, grâce notamment aux onze réalisations de Schillaci, Messine valide sa montée dans l’antichambre de l’élite. Le buteur confie : « Scoglio m’a toujours dit un concept de base : fais ce que tu veux et joue comme tu le sens. Cela me chargeait au maximum en raison de la liberté qu’il me donnait sur le terrain. J’ai beaucoup appris de lui et je ne cesserai jamais de le remercier. Avec lui et mes coéquipiers de l’époque, nous avons offert au peuple de Messine des années fantastiques. »
Même si Totò subit une saison d’adaptation (trois buts seulement), l’équipe conserve aisément sa place en B. L’année suivante est bien meilleure pour le joueur qui marque treize buts et termine meilleur buteur de son équipe. À l’aube de la saison 1988/89, Scoglio quitte la Sicile pour le Genoa et Messine nomme alors Zdeněk Zeman sur le banc. Apôtre du jeu offensif, le technicien bohème dynamite l’attaque sicilienne mais concède aussi beaucoup de buts. Meilleure attaque (46 buts marqués) ET plus mauvaise défense du championnat (42 buts encaissés), ce déséquilibre bénéficie à Schillaci qui réalise sa meilleure année avec vingt-trois buts au compteur et remporte le titre de Capocannoniere de Serie B. Cette réussite lui donne modestement des envies d’ailleurs comme il le déclare :
« Je voudrais voir ce que je peux donner en Division 1. Au moins un an. Après, je retournerai à Messine. »
Son souhait est exhaussé quand la Juventus pose six milliards de lire pour acquérir ses droits. À bientôt 25 ans, il va enfin découvrir l’élite et son adaptation dans le Piémont se passe à merveille. Titularisé par Dino Zoff, Schillaci ne déçoit pas le champion du Monde 82. Auteur de quinze buts en trente rencontres de Serie A, le Sicilien gagne un surnom : « Totò-Gol ». Si la Juventus ne se classe qu’à la quatrième place en championnat, il en profite pour glaner une Coppa Italia contre l’AC Milan d’Arrigo Sacchi (0-0 / 0-1) et également une Coupe UEFA remportée face à la Fiorentina de Robby Baggio (3-1 / 0-0), dans la première finale européenne 100 % italienne. Ses performances séduisent le sélectionneur Azeglio Vicini et Totò gagne sa place pour le mondial 90 organisé en Italie.
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Le rêve éveillé
Sans jamais avoir porté le maillot azzurro, Schillaci complète une escouade offensive de qualité composée de Roberto Baggio, Andrea Carnevale, Roberto Mancini, Aldo Serena et Gianluca Vialli. Cette sélection est déjà une joie pour lui : « ma plus grande satisfaction était juste d’être sélectionné. Je n’avais aucune responsabilité car je n’étais qu’un des 22 joueurs. Ce moment a été fantastique, et même si je n’avais pas joué, j’aurais été tout aussi heureux d’être assis sur le banc. » Et c’est justement sur le banc qu’il débute la compétition pour le premier match contre l’Autriche de Andreas Herzog et Anton Polster. Pour ses débuts dans le tournoi, l’Italie domine son adversaire mais ne parvient pas à trouver la faille. À l’approche du dernier quart d’heure, Vicini demande au Juventino d’accélérer son échauffement. Totò est incrédule mais Stefano Tacconi lui lance avant d’entrer en jeu : « Tiens-toi prêt, parce que tu vas bientôt entrer et marquer… Une tête comme John Charles. » Quatre minutes après son apparition sur la pelouse de l’Olimpico, la prophétie du gardien remplaçant se produit. Depuis le côté droit de l’attaque, Vialli centre en cloche et trouve Schillaci aux cinq mètres cinquante, esseulé entre deux défenseurs autrichiens. La tête de l’attaquant trompe Linderberger et délivre tout un pays (1-0). Le N°19 laisse intensément exploser sa joie communicative, le jeu de tête n’étant pas la spécialité pour ce buteur culminant seulement à un mètre soixante quinze. En dépit de sa réussite, il garde les pieds sur terre et annonce : « être l’homme du dernier quart d’heure me convient très bien. »
Comme lors du match précédent, Totò supplée Carnevale contre les États-Unis sans marquer cette fois. Giuseppe Giannini a déjà fait le job pour assurer la victoire (1-0). Déjà qualifié pour les huitièmes de finale, Vicini cède à la pression populaire et aligne Schillaci dans le XI lors du troisième match face à la Tchécoslovaquie de Moravčík et Skuhravý. Moins de dix minutes après le coup d’envoi, le titulaire surprise marque à nouveau. Suite à un corner tiré vers l’entrée de la surface de réparation, Giannini manque complètement sa reprise du gauche. Sa frappe trop écrasée et désaxée se transforme en passe décisive pour Schillaci qui reprend de la tête à l’orée de la surface de but. En seconde période, Baggio assure le succès italien et inscrit l’un des plus beaux buts de la compétition en passant en revue la défense tchécoslovaque (2-0).
Devant la réussite de l’attaquant sicilien, Vicini en fait un titulaire à part entière et l’aligne contre l’Uruguay. Peu après l’heure de jeu, alors que le score est toujours vierge, l’Italie pousse pour prendre l’avantage sur la Celeste. Un long dégagement de Zenga atterrit dans les pieds de Baggio, sa déviation trouve Aldo Serena. Ce dernier glisse le ballon de l’extérieur du droit en une touche vers « Totò-Gol ». Sans se poser de questions, il frappe au but à l’entrée de la surface. Son tir lobé du gauche bat Alvez et propulse la Nazionale en quart de finale. Le Sicilien exulte, Baggio l’attrape par le maillot et toute l’équipe fête son nouveau héros. Contre l’Irlande, le duo d’attaque Baggio – Schillaci conserve la confiance de Vicini. Il faut dire que la complémentarité des deux joueurs est excellente. Zenga préserve son camp en captant une belle tête de John Aldridge. Peu avant la pause, le N°19 se mue alors en renard des surfaces. Après une perte de balle irlandaise, Baggio perce dans l’axe et combine avec Schillaci qui remise en retrait sur Giannini. Le Romain décale Donadoni sur la gauche qui se met sur son pied droit et teste Pat Bonner. Le gardien du Celtic repousse des poings la lourde tentative du Milanais mais renvoie le ballon dans les pieds de … Totò qui marque dans le but vide (1-0).
Les comparaisons avec Paolo Rossi, qui lui aussi a connu une Coupe du Monde idéale en 1982, fleurissent inévitablement dans la Botte. L’Italie est dans le dernier carré, à une marche de la finale. Son adversaire n’est autre que le champion en titre argentin de Diego Maradona et, hasard du calendrier, le match est prévu au San Paolo de Naples. La ville, souvent mal aimée par le Nord de la péninsule, est tiraillée entre son idole et sa sélection. D’ailleurs, Maradona essaie de faire pencher la balance et déclare : « Amis napolitains, pendant 364 jours par an, vous êtes considérés comme des étrangers dans votre propre pays. Aujourd’hui, vous devez faire ce qu’ils veulent que vous fassiez, en supportant l’équipe d’Italie. À l’inverse, moi, je suis napolitain pendant 365 jours par an. » Si les doutes subsistent jusqu’au début du match, une banderole dans la Curva annonce le choix des tifosi napolitains : « Maradona, Naples t’aime, mais l’Italie est notre pays. » L’ambiance est électrique. Aligné à la pointe de l’attaque, Schillaci est associé à … Vialli. Un choix étrange de la part de Vicini tant le duo avec Baggio a bien fonctionné jusque là.
Sur une action à une touche de balle, initiée par Schillaci sur la gauche, l’Italie trouve la faille par l’intermédiaire du N°19 qui suit bien un tir de Vialli relâché par Goycoechea. C’est le cinquième but pour l’attaquant de la Juve et il place la Nazionale vers la finale à Rome. Cependant, l’Argentine n’abdique pas. Le match est tendu, difficile. L’Italie ne parvient pas à creuser l’écart et reste à la portée d’un retour de l’Albiceleste. Et sur un centre, à priori anodin, Ferri et Zenga sont devancés par Caniggia qui reprend de la tête avec l’arrière du crâne et égalise. Même si son coup-franc est sauvé in extremis par le gardien argentin, l’entrée en jeu de Baggio cumulée à l’expulsion de Giusti ne changent rien. L’Italie est contrainte à la séance de tirs au but. Totò n’est pas dans la liste des cinq et s’explique :
« J’avais un problème musculaire et j’étais fatigué, j’ai donc préféré laisser la tâche à quelqu’un de plus frais que moi. Je ne suis pas un grand tireur de penalty : parfois je marque, parfois je rate. Quand vous vous lancez, vous pensez à beaucoup de choses et à un moment comme celui-ci, vous ne pouvez pas prendre de risques. C’est une grande responsabilité. J’aurais aimé tirer, mais je n’étais pas au mieux de ma forme. »
Si les premiers tireurs réussissent tous leur tentative, Goycoechea repousse successivement les frappes de Donadoni et Serena. L’Italie est éliminée de son mondial (1-1 / 4-3 tab). La déception est immense comme Totò Schillaci confesse : « J’ai passé deux heures dans les vestiaires à fumer, je n’ai pas pu retenir mes larmes. C’est un rêve qui nous a glissé des mains, il y avait une grande tristesse. » Il ne sera pas le Paolo Rossi de 1990. Cependant, il reste encore un match à disputer pour la troisième place. Face à l’Angleterre de Bobby Robson, le duo avec Baggio est reconstitué. Il Divin Codino marque le premier but, obtient un penalty et décide de laisser Schillaci le convertir afin de valider sa médaille de bronze (2-1). Avec ce sixième but, il devient le meilleur buteur du Mondiale. Une amère consolation pour celui qui sera également désigné meilleur joueur du tournoi et conclut :
« Même un fou n’aurait pas pu imaginer ce qui allait m’arriver. Il y a des périodes dans la vie d’un footballeur où l’on peut tout faire. Tu dois juste respirer et le mettre dedans. Pour moi, cet état de grâce a coïncidé avec cette Coupe du monde. Cela signifie que quelqu’un, de là-haut, a décidé que Totò Schillaci devait devenir le héros de Italia ’90. »
Le dur retour à la réalité
Après la Coupe du monde, le joueur a du mal à assumer son nouveau statut sur les terrains de Serie A. Son réalisme semble s’être envolé. Il marque peu. De plus, quelques incidents vont venir ternir son image comme lors de ce déplacement à Bologne où il menace de faire tuer Fabio Poli en quittant le terrain. En fait, sa réaction intervient suite aux provocations du défenseur mais la controverse grandit dans les médias. Puis, il s’accroche physiquement dans les vestiaires avec son coéquipier et ami Roberto Baggio. Une altercation heureusement sans conséquence. Néanmoins, l’arrivée de Gianluca Vialli à Turin le relègue sur le banc de touche. Sa vie privée n’est pas au mieux puisqu’il se sépare de son épouse. Un choix mal perçu par la direction du club bianconero. Un départ est alors inéluctable. Schillaci rejoint donc l’Inter Milan mais son adaptation est délicate. Une banderole injurieuse (Terrone) des tifosi lombards lui rappelle ses origines siciliennes. Et pour ne rien arranger, comme lors de ses deux dernières saisons avec la Juve, « Totò-Gol » ne semble plus être qu’un lointain souvenir. Son ratio est maigre, ses apparitions également même s’il ajoute une nouvelle Coupe de l’UEFA à son palmarès. Gêné par des pépins physiques, il peine à trouver de la régularité dans ses performances. Dès avril 1994, le divorce avec l’Inter semble consommé. Une belle opportunité se présente alors à lui.
Une offre très juteuse arrive en provenance du Japon. En plus d’un énorme salaire, le Júbilo Iwata accorde au premier footballeur italien à évoluer en J League un interprète, un chauffeur personnel et une superbe maison. Dès son premier match face à Kawasaki, il trouve le chemin des filets, remémorant aux fans nippons le Schillaci de l’été 90. Au terme de sa première demi-saison, Totò signe un ratio honorable d’un but tous les deux matchs (18 matchs, 9 buts). Mais son caractère sanguin réapparait quand il écope d’une suspension de deux rencontres pour avoir insulter un arbitre. En 1995, le Sicilien se discipline et augmente son bilan avec quasiment un but par match (34 matchs, 31 buts). Sa meilleure saison en carrière. En 1996, son temps de jeu diminue pour atteindre les vingt-trois apparitions mais il conserve une grande efficacité avec encore quinze buts à son actif. Si son club remporte le championnat 1997, le premier de son histoire, une grave blessure l’éloigne des terrains définitivement l’année suivante. Pourtant, il faudra encore attendre deux années supplémentaires pour l’officialisation de sa retraite sportive. Au total, sous le maillot de Iwata, « Totò-Gol » a inscrit soixante-huit buts en cent parties (toutes compétitions confondues). Cela reste une belle expérience dont il conserve de bons souvenirs : « ils ont décidé de parier sur moi parce qu’ils étaient en difficulté et quand je suis arrivé là-bas, j’ai trouvé un enthousiasme contagieux. Pour eux, le Schillaci de la Coupe du monde n’était pas terminé. »
Buteur, certainement moins talentueux que ces contemporains, Totò Schillaci a vécu une expérience unique lors du mondial 90. Touché par la grâce, il a quasiment tout réussi. Cette Nazionale a juste manqué d’un peu de réussite pour imiter l’équipe de 1982. Et qu’importe si la suite de sa carrière n’a pas atteint les mêmes sommets, le Sicilien garde une place privilégiée dans le cœur des tifosi comme il le confie : « Il y a eu certaines fois où des gens ont juste fondu en larmes en me rencontrant. C’est super quand je vois un gros sourire sur leurs visages, ils sont si heureux. J’aurai toujours avec moi, pour le reste de ma vie, les souvenirs merveilleux de Italia ‘90. »
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