Après la Seconde Guerre mondiale, le football connaît une phase de structuration et d’internationalisation croissante. La Coupe des clubs champions fait son apparition en 1955 et l’Euro en 1960. L’UEFA surfe sur cette dynamique et souhaite créer une compétition opposant le meilleur club sud américain de l’année au meilleur club européen. L’idée séduit, tant le football sud-américain et le football européen sont différents. Cette différence crée alors une question à laquelle tout le monde souhaite répondre, quel modèle est le meilleur ? Pour répondre à cette question, il faut déjà organiser une compétition continentale en Amérique du Sud. Ce sera fait dès 1960 avec la première édition de la Copa Libertadores. Dès lors, la Coupe intercontinentale peut avoir lieu, elle oppose le champion d’Europe au champion d’Amérique du Sud. Ce match se veut une conversation entre les deux pôles du football, un sommet du football. Pourtant, la conversation tourne vite au pugilat.
Europe, Amérique du Sud, la rivalité originelle
Il n’est plus besoin de présenter l’antagonisme footballistique qui existe entre l’Amérique du Sud et l’Europe, les deux premiers espaces géographiques conquis par le football. Un rapide coup d’œil au palmarès de la Coupe du Monde suffit. Mais plus qu’un antagonisme, il existe une réelle différence d’approche entre les deux continents. On pourrait, pour schématiser, reprendre la distinction de Pier Paolo Pasolini et faire une différence entre un football prosaïque joué en Europe et un football poétique, caractéristique de l’Amérique du Sud.
Comprendre d’un côté un football centré sur la tactique, l’organisation et la rigueur et de l’autre un football centré sur l’émotion, la spontanéité, la créativité et le plaisir. Si, et pour de nombreuses raisons, il est évidemment réducteur de présenter ainsi l’opposition Amérique du Sud/ Europe tant le football continental n’avait rien d’unifié à l’époque, cette dichotomie a le mérite de nous permettre de mesurer l’étendue des différences qui existaient alors.
Il faut le rappeler, la globalisation du football est récente et il était généralement impossible d’observer des joueurs sud-américains sauf à l’occasion de la Coupe du Monde ou de tournois amicaux. La Coupe intercontinentale se présente comme une véritable compétition et non un tournoi amical amélioré. Elle oppose le vainqueur de la Copa Libertadores au vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions dans une confrontation aller/ retour. Charme ou hérésie de l’époque – chacun choisira – la différence de buts n’est pas prise en compte et en cas d’égalité au terme des deux rencontres, un match d’appui sur terrain neutre est organisé (cette règle disparaîtra à partir de 1969).
À sa genèse, la Coupe intercontinentale n’est donc pas juste une vulgaire « Supercoupe » ou un match de gala auquel on doit trouver un prétexte pour lui donner un peu d’enjeu. Non, la Coupe intercontinentale se veut la phase ultime du processus d’organisation de compétitions de clubs. La preuve la plus flagrante étant la création de la Copa Libertadores afin de pouvoir organiser ensuite une coupe intercontinentale. En plus de cela, les clubs vont s’affronter pour le titre grandiloquent de « meilleur club du monde », une occasion immanquable.
Les débuts prometteurs de la Coupe intercontinentale
La première finale de la Coupe intercontinentale est une affiche légendaire, le match du siècle. Peñarol contre le Real Madrid. Le club du siècle européen contre le club du siècle sud-américain. Les coéquipiers de Di Stefano et Puskas viennent de glaner leur cinquième Coupe des clubs champions, Peñarol vient de remporter la première édition de la Copa Libertadores. L’antagonisme est parfait. Le Real Madrid, ultra dominateur sur la scène européenne, a beaucoup à perdre. Qui ne serait pas tenté de relativiser la domination madrilène en cas d’échec contre les rivaux sud-américains ? À l’inverse, il s’agit de l’occasion parfaite pour entériner le statut auquel le Real Madrid aspire, celui de meilleur club du monde.
La Coupe intercontinentale, nouveau défi pour le Real Madrid
Ce sommet footballistique s’ouvre, comme un symbole, au Centenario de Montevideo, le premier à avoir accueilli la Coupe du monde. Une double confrontation pour l’honneur remportée sans peine par les Madrilènes (0-0 ; 5-1). Une finale de gala qui permet de donner encore un peu plus de profondeur à la suprématie madrilène, mais pas seulement. La Coupe intercontinentale est aussi l’occasion d’admirer des joueurs que l’Europe ne connaît pas, qu’elle ne verra jamais participer à une phase finale de Coupe du Monde. Le plus illustre d’entre eux est sans doute Alberto Spencer.
Spencer, inconnu en Europe, jouit d’une notoriété bien réelle en Amérique du Sud. Adulé dans son pays natal, l’Équateur, et dans son pays d’exil, l’Uruguay, Spencer n’a rien à envier aux plus grands. Le meilleur joueur de son époque d’ailleurs, Pelé, reconnaît même que Spencer possède un meilleur jeu de tête que lui. Il est aussi le deuxième meilleur buteur de l’histoire de la Coupe intercontinentale derrière le Roi. Spencer remporte la Coupe intercontinentale à deux reprises, en 1961 contre Benfica et en 1966 dans une revanche contre le Real. La Coupe intercontinentale nous autorise à ne pas relativiser l’influence du meilleur buteur de l’histoire de la Copa Libertadores dans le football sud-américain.
Pelé, sur le toit du monde, encore
Les premières éditions de la Coupe intercontinentale sont donc un réel succès, les stades sont garnis de dizaines de milliers de supporters, les meilleurs joueurs du monde s’affrontent pour une récompense réelle. La Coupe intercontinentale permet de donner encore plus de profondeur à des performances historiques. C’est le cas du Santos de Pelé. En effet entre 1961 et 1963, Santos remporte l’intégralité des compétitions auxquelles il participe. Les mauvaises langues ou les ignorants argueront que le football était différent et que les équipes sud-américaines étaient inférieures aux équipes européennes. Pourtant, ce Santos ne peut souffrir d’aucune contestation.
Pour en arriver là, Santos a dû gagner le championnat de l’Etat de Sao Paulo, la Taça Brasil et enfin la Copa Libertadores. Santos affronte Peñarol, dernier gagnant de la Coupe intercontinentale, en finale de Libertadores. Au bout de trois matchs, les coéquipiers de Pelé prennent le dessus sur ceux de Spencer grâce à un doublé du Roi dans le match d’appui. De l’autre côté de l’Atlantique, Benfica confirme son statut de grand d’Europe en remportant sa deuxième Coupe d’Europe des clubs champions contre le Real Madrid à la faveur d’un doublé de son prodige, Eusebio.
La Coupe intercontinentale 1962 oppose donc le Benfica d’Eusebio au Santos de Pelé (et accessoirement Pepe, Coutinho et autres) : la relève du football international. Si le premier match au Vila Belmiro est serré, Pelé y va de son doublé et offre la victoire aux siens 3-2. Au retour, le Roi éteint l’Estadio da Luz et ses 75 000 spectateurs en inscrivant un triplé permettant à son équipe de mener 5-0 à 25 minutes du terme. Si les benfiquistes sauvent l’honneur en fin de match grâce à Eusebio et Santana, la démonstration est totale.
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À 21 ans, Pelé, bien que blessé dès les poules de la Coupe du monde 1962, marche sur le monde. L’année suivante, le grand Santos remet ça et remporte la Coupe intercontinentale contre l’AC Milan avec cette fois-ci plus de difficultés que lors de la dernière édition. En effet, les Milanais ne s’inclinent qu’au bout du troisième match sur le terrain « neutre » du Maracana devant 120 000 brésiliens…
Opposition de style, niveau de jeu élevé, réel enjeu, stades mythiques, joueurs de légendes, scénarios rocambolesques, sur le papier la Coupe intercontinentale avait tout pour devenir un incontournable, un classique de son époque. Malgré le succès des premières éditions, elle entame pourtant, dès le milieu des années 1960, le début de sa lente agonie.
La dérive violente de la Coupe intercontinentale
Avec les premières participations des clubs argentins, la Coupe intercontinentale tend doucement vers le combat de boxe. En 1967, le Racing Club affronte le Celtic pour une finale inédite. Après avoir libéré l’Europe du catenaccio et de la domination de l’Inter Milan, le Celtic de Jock Stein s’apprête à défier le Racing. Le Racing Club remporte la Libertadores bien aidé par le retrait de Santos. En effet, les Brésiliens refusent de participer face à la violence de la compétition et plus particulièrement de leurs homologues Argentins.
Chaque équipe remporte son match à domicile et se retrouve pour un ultime match à Montevideo. Les médias européens qualifient ce match de « Bataille de Montevideo » tant le match est violent. Néanmoins la violence est déjà présente à Hampden Park où les joueurs écossais se font malmener, frapper, cracher dessus par les joueurs argentins. Pire, à Buenos Aires, les supporters du Racing font leurs besoins sur le peu de supporters écossais ayant fait le déplacement. Le gardien du Celtic, Ronnie Simpson reçoit un projectile qui lui fracture le crâne. Le match de Montevideo, tourne dès le coup d’envoi à la bagarre générale et ternit la première victoire d’un club argentin en Coupe Intercontinentale.
La participation de l’Estudiantes la Plata entre 1968 et 1970 n’arrange rien. L’équipe d’Osvaldo Zubeldia et Carlos Bilardo est réputée pour son anti-football mais soyons clairs, l’anti-football ne se résume pas à de l’anti-jeu. Non, pour Zubeldia tous les coups sont permis, il ne s’en cache pas et paraphrase Jean de La Fontaine « On ne parvient pas à la gloire sur un chemin de roses ». Les défenseurs d’un football « pragmatique » apprécieront. Ce pragmatisme consiste pourtant à frapper ses adversaires, leur jeter de la terre au visage, les piquer avec des aiguilles et tout autre sorte de coups tordus. Manchester United, l’AC Milan et le Feyenoord vont tous les trois faire les frais de l’anti-football. Les Milanais seront pour leur part asperger de café brûlant, l’un de leurs joueurs, Nestor Combin, Argentin naturalisé Français, finit le match défiguré avant de passer la nuit en cellule.
Combin défiguré mais avec la Coupe
La Coupe intercontinentale atteint ses limites au tournant des années 1970 et l’Ajax refuse deux fois d’y participer notamment pour des menaces de mort à l’encontre de Johan Cruyff. Les forfaits se multiplient, et les éditions 1975 et 1978 n’ont même pas lieu, la compétition perd progressivement de son enjeu et de son prestige laissant apparaître des situations ubuesques comme la victoire de l’Atlético de Madrid en 1974 sans pour autant avoir remporté la Coupe des clubs champions.
La lente agonie japonaise de la Coupe intercontinentale
La compétition va néanmoins réussir à survivre aux années 1970. La marque automobile japonaise Toyota décide, en 1980, de devenir partenaire de la compétition et impose un changement majeur de format. La Coupe se déroule désormais à Tokyo sur terrain neutre et en un seul match. Si ce changement acte la revitalisation de la compétition, il amorce aussi l’atténuation de l’antagonisme Europe/ Amérique du Sud et donc de l’enjeu de la compétition. La Coupe intercontinentale devient plus un match de gala qu’une opposition farouche pour le titre suprême. Elle va pourtant continuer d’offrir de grands moments de football jusqu’à la révolution Bosman. En effet, dans les années 1980, le football sud-américain reste compétitif et bien que plus personne ne lui accorde le prestige des premières éditions, la Coupe intercontinentale est toujours l’occasion d’admirer un choc entre les deux continents du football.
Dès 1981, Zico et Flamengo délivrent une performance dans le ton de la prestation du Brésil en Espagne quelques mois plus tard. Le « Pelé blanc » et ses coéquipiers écrasent 3-0 un Liverpool qui est alors le meilleur représentant de la domination anglaise sur le Vieux Continent. Encore une fois, la Coupe intercontinentale permettra à un joueur de marquer son époque. En 1985, Michel Platini est partout. Un but d’anthologie refusé et un match spectaculaire, la rencontre est décrite comme l’un des plus beaux matchs de Coupe intercontinentale. Argentinos Juniors, annoncé largement inférieur, pose plus que des problèmes aux juventini et emmène les Piémontais aux tirs aux buts. Encore une fois les tmTurinois s’en remettent à Platini pour inscrire le penalty final.
Platini exulte
La Coupe intercontinentale laisse entrevoir encore quelques grandes équipes sud-américaines comme le Sao Paulo de Telê Santana. Le club paulista réalise le doublé en 1992 et 1993 en surpassant le Barça de Cruyff et le Milan de Capello. Bien aidé par Cafu, Rai (qui rejoint le PSG en 1993) et Müller, le club de Telê Santana surclasse les deux plus grandes équipes européennes de l’époque et nous laisse penser, pendant un court instant, que le monde du football n’est pas unipolaire.
Malgré un bilan équilibré – 21 victoires européennes pour 22 victoires sud-américaines – le rapport de force se déséquilibre au cours des années 1990. La concentration des joueurs bénéficie aux clubs européens qui remportent sept des neuf derniers matchs entre 1995 et 2004. La compétition perd de sa valeur, bien que ce rapport déséquilibré donne encore un peu plus de panache aux performances du Boca de Martin Palermo et Juan Roman Riquelme, double vainqueur en 2000 et 2003.
La Coupe intercontinentale s’éteint en 2004 pour laisser place à la Coupe du monde des clubs, une compétition définitivement galvaudée. L’écart de niveau abyssal entre l’Europe et les autres continents prive la compétition de tout intérêt. Peu lucrative, les clubs européens lui accordent de moins en moins d’intérêt. Avide de droits télé, la FIFA tente depuis peu de revitaliser sa compétition de club mais il est peu probable que l’on renoue avec le charme d’antan.
Sources:
- Lucarne Opposée – Santos-Benfica: quand Pelé porte Santos sur le toit du monde
- So Foot – United maltraité par les Estudiantes
- So Foot – Rétro coupe intercontinentale: Platini l’art et la victoire
- Le Temps – La Coupe du monde des clubs, une valse à trois temps
- Storie di Calcio – Milan-Estudiantes: La Coppa insanguinata
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