Indéniablement, Didier Deschamps est un sélectionneur hors pair. A la tête des bleus depuis neuf ans (un record), il présente le pourcentage de victoires le plus élevé et il est champion du monde. Un palmarès qui pourrait s’enrichir dans quelques jours avec un titre européen. Logiquement, il bénéficie d’une belle notoriété, confirmée par les 66% d’opinions favorables selon un sondage IFOP réalisé avant l’Euro. Néanmoins, un de ces prédécesseurs eut en son temps une popularité supérieure : il s’agit bien sûr de Michel Hidalgo, qui, plus que quiconque, rentra dans le cœur des Français.
En juin 1984, après huit années à la tête des tricolores, Michel Hidalgo quitte sa fonction, laissant comme promis sa place à son adjoint Henri Michel. Il jouit d’une grande cote d’amour dans l’opinion publique, qu’elle soit amatrice de foot ou non. D’ailleurs, Laurent Fabius, fraîchement nommé à Matignon, lui propose d’être Ministre des sports en juillet 1984. Le même été, Hidalgo est sollicité pour entraîner le grand Real Madrid, signe que son aura dépasse l’Hexagone. Populaire et emblématique, il devient alors la référence au poste de sélectionneur de l’équipe de France de football.
Apprendre à gagner
« Quand on gagne, on a toujours raison ». Cette phrase de Carlos Bilardo, l’argentin champion du monde 1986, signifie de facto, que pour exister, un entraîneur doit gagner. Hidalgo n’échappe pas à la règle puisqu’il a d’abord bâti sa réussite sur ses victoires. Déjà, en 1977 et 1978, on se souvient de succès de prestige en amical : contre la RFA, face au Brésil. A cette époque, la France devient « championne du monde des matchs amicaux ». Ce sobriquet signifie aussi que ces matchs remportés ne passaient pas inaperçus.
Mais, ce sont les compétitions qui comptent et là, Hidalgo a fait très fort. Après une traversée du désert de douze ans sans grand tournoi, il a emmené les tricolores aux Coupes du monde 1978 et 1982. Les deux fois, pour se qualifier, dos au mur, la France remporta des matchs couperets au Parc des Princes, face à la Bulgarie en 1977 (3-1) et face aux Pays-Bas en 1981 (2-0). Sous pression, Hidalgo sut mobiliser les énergies et être sûr tactiquement pour l’emporter. Des capacités que tous les sélectionneurs n’ont pas eues dans la même situation, notamment Gérard Houiller, coach malheureux du crash de 1993, qui priva les bleus de la World Cup 1994.
Si la Coupe du monde 1978 fut décevante et sans relief, le Mundial 82 marque évidemment un tournant dans l’histoire des Bleus. Dans une compétition mal débutée (défaite 3-1 contre l’Angleterre), Hidalgo se montre intelligent et pugnace. En modifiant son organisation en cours de compétition, en faisant des choix forts, il redynamise son équipe qui atteint la demi-finale. Malgré la tragique défaite de Séville, le monde entier découvre une équipe décomplexée, entreprenante, qui regarde les grandes nations les yeux dans les yeux. La France devient un vainqueur potentiel de tournoi pour la première fois depuis l’épopée de Suède de 1958.
L’Euro 84 constitue le point d’orgue de la carrière d’Hidalgo. Condamné à gagner à domicile deux ans après sa prometteuse campagne ibérique, il ne faillit pas. Un tournoi extraordinaire : la France dominatrice, offensive et sûre d’elle, inscrit quatorze buts en cinq matchs, pour autant de victoires. Elle remporte son premier titre. Un triomphe !
Sans contestation possible, les résultats obtenus par Hidalgo parlent pour lui. Même si d’autres sélectionneurs, après lui, ont réussi à gagner des titres, même si leurs ratios de victoires sont supérieurs (Jacquet, Lemerre et Deschamps dépassent les 60% alors qu’Hidalgo plafonne à 55%), on ne peut qu’admirer le chemin parcouru sous sa houlette : d’un simple faire-valoir, il a fait de la France la meilleure équipe d’Europe et un candidat au titre de champion du monde. Autre preuve de sa compétence et de son impact, après son départ, les bleus connaîtront une nouvelle période de disette : malgré une belle coupe du monde 86 sur la lancée de l’Euro 84, dix années médiocres suivront, avec trois sélectionneurs différents, Henri Michel, Michel Platini et Gérard Houiller.
Style et panache !
La France d’Hidalgo, c’est la France du beau jeu. Marqué par son passé de joueur, il s’inspire du football champagne d’Albert Batteux et du jeu collectif de Lucien Leduc, ses ex-entraîneurs de Reims et Monaco, deux équipes offensives et inspirées. Dès son intronisation à la tête des bleus, il pose un seul principe : il faut JOUER. Il prône un football protagoniste, fait de possession de balle et de prises d’initiatives. Menant une large revue d’effectif (64 nouveaux joueurs lancés en huit ans), Hidalgo choisit des joueurs techniques : « Il faut maîtriser le ballon pour maîtriser le jeu ». Des convictions à contre-courant de ces deux prédécesseurs, Boulogne et Kovacs. Ils mettaient l’accent sur la condition physique et sur l’occupation du terrain, avec pour modèles le catenaccio d’Herrera pour le premier et le football total Amstellodamois pour le second.
Hidalgo, lui, s’affranchit des dogmes tactiques : il passe du 4-3-3 au 4-4-2, il utilise tantôt le libero décroché, tantôt la défense à plat. Jeu court ou jeu long ? Peu importe. Il est en constante recherche des bonnes associations pour « favoriser le don d’inspiration, l’esprit de création, l’imprévisibilité ». Son objectif, c’est d’associer les talents et de favoriser leur expression. Giresse : « Il nous mettait le cadre et nous on l’animait ». C’est ainsi qu’il fait preuve d’une audace incroyable pour le match décisif de qualification en 1981 contre les Pays-Bas : organisé en 4-3-3, Hidalgo choisit de jouer sans milieu récupérateur. En effet, il aligne trois milieux offensifs : Platini, Giresse, Genghini. Face aux doutes, il rétorque : « Défendre ? Pour quoi faire ? On aura le ballon ». L’histoire lui donnera raison, avec une victoire 3-1 et la qualification en poche.
Cette innovation sans précédent est en fait une esquisse de ce qui deviendra l’emblème du football d’Hidalgo : le carré magique. A savoir un milieu de terrain composé de quatre joueurs créatifs, sans élément destructeur ou gestionnaire. Cette formule inédite naît en pleine coupe du monde 1982 à l’Estadio Vicente Calderón de Madrid, lors du deuxième tour : face à l’Irlande du Nord, Hidalgo aligne Tigana, Giresse, Genghini et Platini. La France l’emporte 4-1 et se qualifie pour les demi-finales avec brio. Le carré magique est né ! Il nous enchantera pendant quatre ans, jusqu’à la demi-finale perdue au Mexique contre la RFA. Genghini sera remplacé par Fernandez en 1984, pour plus de contrôle et d’abattage, mais sans perdre en virtuosité et en allant offensif.
« Mon rôle était de prendre des risques. Je m’y suis résolu après mûre réflexion en pensant, selon une intime conviction de toujours, que l’organisation est secondaire par rapport aux potentialités des individus. » – Hidalgo, au sujet du carré magique
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Résultat de ce coup de génie, les tricolores, de 1982 à 1984, dominent et produisent un jeu chatoyant et prolifique. Cette équipe est le fruit des convictions d’Hidalgo, qui n’est plus dépeint comme un rêveur utopique mais comme le maître d’œuvre des « brésiliens de l’Europe ». Hidalgo réussit l’alliage parfait de l’efficacité et de l’esthétisme. Une synthèse que l’on n’a jamais revue en équipe de France, à l’exception de l’équipe de Lemerre en 2000. Aux antipodes d’Hidalgo, on se souvient du sélectionneur Platini qui se fourvoya dans un football physique avec cinq défenseurs. De Jacquet qui gagna en s’appuyant sur une défense béton, la meilleure du monde à l’époque. De Deschamps qui réussit à vaincre, mais en laissant le ballon à l’adversaire. A des années-lumière du beau jeu d’Hidalgo.
Un Michel peut en cacher un autre
L’histoire du coach Hidalgo est indissociable de celle du joueur Platini. Symboliquement, c’est ensemble qu’ils débutent: Platini honore sa première cape contre la Tchécoslovaquie, en même temps qu’Hidalgo étrenne son costume de sélectionneur. D’emblée, Platini marque son territoire en marquant un coup franc indirect magistral. En cette année 1976 qui consacre Galabru aux Césars et Sardou dans les hit-parades, les deux Michel prennent les rênes de l’équipe de France et ils les garderont pendant huit ans.
Platini adhère au football d’Hidalgo, qui fait la part belle aux meneurs de jeu. Réciproquement, Hidalgo admire le talent hors norme du prodige nancéen. Coéquipier de Kopa à Reims dans les années 50, il sait qu’une grande équipe doit s’appuyer sur un grand joueur. Il fait donc très vite de Platini l’épicentre de ses compositions. Toutes ses innovations tactiques ont pour objectif de mettre son numéro 10 dans les meilleures conditions, même le carré magique. Effectivement, si un carré comporte quatre cotés égaux, celui d’Hidalgo favorise Platini, exempté des tâches défensives et proche du but adverse. Ce que Giresse confirme : « Quatre joueurs égaux ? Non, parce que quand tu as le bonheur d’avoir dans ton équipe un Platini, tu admets sa supériorité. »
Pendant tout son mandat, Hidalgo n’a de cesse de vanter les qualités de Platoche : « Il ose tout tenter et on ne sait plus, en le voyant avec le ballon, si c’est du génie ou de la simplicité ». Hidalgo excelle dans la gestion de son meilleur joueur, en lui octroyant liberté et pouvoir. Il ne s’offusque pas de ses prises de position tranchées et de son ingérence dans ses fonctions d’entraîneur. Il lui associe des joueurs compatibles et à son service. Pour les rares récalcitrants, Hidalgo signifie avec subtilité qu’ils doivent s’incliner ou passer leur chemin. On pense à Henri Michel, qui dut céder son leadership au futur ballon d’or. Et à Jean-François Larios, milieu de terrain talentueux, dont le conflit avec Platini, sur fond d’histoire d’adultère, mit fin à sa carrière en bleu en pleine Coupe du monde 82.
Hidalgo-Platini, un duo gagnant-gagnant qui emmena la France vers les cimes du football mondial. Malheureusement, tous les sélectionneurs n’ont pas réussi à installer leurs joueurs de talent aux commandes de l’équipe. Ainsi, quelques grands noms ont échoué chez les bleus, faute d’un coach suffisamment habile. Par exemple, en 1974, le « petit Mozart » Serge Chiesa claqua la porte de la sélection de Stefan Kovacs, pour incompatibilité d’humeur. Aimé Jacquet se passa des virtuoses Cantona et Ginola, faisant de Zidane son seul soliste. Laurent Blanc, lui, ne réussit pas à dompter les quatre fantastiques de la génération 87, Benzema-Ben Arfa-Menez-Nasri, dont il avait pourtant besoin. Enfin, récemment, Deschamps a exclu Benzema pendant cinq ans, une décision contestable qui pollua toutes ses conférences de presse et qui eut un impact négatif sur la qualité de jeu et la popularité de l’équipe.
L’humaniste du jeu
A l’unanimité, les joueurs dirigés par Hidalgo louent ses valeurs morales. Platini : « C’était un homme humaniste. Sa gentillesse est la plus grande des qualités et la meilleure des armes ». Bernard Lacombe : « C’était plus qu’un sélectionneur ou un entraîneur. Il était notre papa, notre grand-père, très proche des gens. C’était un homme gentil et très humble ».
« Il était un homme bon qui savait parler à ses joueurs. Tout le monde l’aimait, même ceux qui jouaient moins.» – Dominique Rocheteau
Effectivement, jamais un joueur n’a critiqué la façon dont il a été considéré. Là encore, aucun entraîneur des Bleus ne peut rivaliser. Au premier rang d’entre eux, le funeste Raymond Domenech, entre conflits et rancœurs, remporte la palme du sélectionneur le plus controversé.
Outre les joueurs et les suiveurs de la sélection, les français ont aussi perçu les qualités humaines d’Hidalgo. Par petites touches, plusieurs évènements ont permis aux spectateurs d’apprécier cet homme exemplaire. Par exemple, l’affaire de l’enlèvement de 1978 a mis en évidence son courage. En effet, menacé avec son épouse par deux hommes armés qui projetaient de l’enlever pour protester contre la tenue de la coupe du monde en Argentine, il désarma l’un deux et provoqua leur fuite ! Autre fait marquant : contre le Koweït à Valladolid en 1982, alors que l’arbitre refuse le 4ème but français à la demande d’un cheikh koweïtien présent en tribunes, Hidalgo sort de ses gonds et descend protester sur le terrain où il est arrêté par les membres de la Guardia Civil. Une scène incongrue qui met en évidence son sens de la justice et sa capacité d’indignation.
Hidalgo, c’est aussi un fair-play à tout épreuve. Confronté aux erreurs d’arbitrage, jamais il ne s’est plaint publiquement, se gardant bien de fustiger les hommes en noir. Pour preuve, en 1977 à Sofia, Ian Foote est l’auteur d’un arbitrage « à la maison », qui provoque la défaite des tricolores et la colère du commentateur Thierry Roland qui s’énerve en direct : « Monsieur Foote, vous êtes un salaud ». De son côté, Hidalgo garde son calme et épargne publiquement l’arbitre écossais. De la même façon, il n’accabla pas Charles Corver, l’arbitre de la demi-finale de Séville, pourtant coupable d’avoir permis au gardien Harald Schumacher de blesser gravement Patrick Battiston en toute impunité.
Un esprit sportif énorme, du recul, de la mesure, malgré l’enjeu. Tous nos sélectionneurs ne peuvent pas en dire autant. Raymond Domenech, encore lui, fit honte aux français en refusant la poignée de main de son homologue Carlos Alberto Parreira, à l’issue d’une piteuse défaite contre l’Afrique du Sud en 2010. Autre exemple : Gérard Houiller ne sut pas retenir sa colère après la défaite cataclysmique contre la Bulgarie en 1993. Mauvais perdant, aigri, il accusa à tort David Ginola « d’avoir commis un crime contre l’équipe » pour justifier l’échec.
A ses grandes valeurs morales, Hidalgo ajoute une sensibilité non feinte. Dans la nuit de Séville, les larmes que les téléspectateurs ont vu couler sur ses joues, à l’issue de cet extraordinaire match, l’ont rendu terriblement humain et populaire. Dominique Rocheteau résume bien : « Je l’ai vu pleurer, on l’a tous vu pleurer. Sa sensibilité le rendait attachant ». Une proximité émotionnelle avec les français, qu’Aimé Jacquet a égalé lors du sacre de 1998. Au contraire de Deschamps, toujours sous contrôle, de Santini et de Blanc, froids et distants.
Hidalgo parle aux Français
L’idylle entre Hidalgo et les Français, c’est aussi l’histoire d’une rencontre entre un homme, son pays et son époque. Dans les années 70-80, la France est dans une démarche progressiste. Un élan qui permet à Simone Veil de faire voter la loi IVG et à Robert Badinter d’abolir la peine de mort. A son niveau, Michel Hidalgo s’inscrit dans cet esprit bienveillant. Il est symboliquement le premier sélectionneur à nommer capitaine un joueur de couleur, en l’occurrence Marius Trésor. Il s’oppose publiquement au boycott de la coupe du monde 1978 organisée par le dictateur argentin, Videla, car « le sport ne doit pas céder face à la barbarie ». En 1982, malgré la défaite injuste contre la RFA, il n’attise pas la germanophobie latente encore présente dans l’Hexagone.
Socialement, Hidalgo fait le grand écart, à l’image d’une France qui hésite entre libéralisme occidental et tentation communiste. Fils d’immigré espagnol, ses racines sont modestes : il vit son enfance dans la cité ouvrière du Plateau à Mondeville en Normandie, à côté de l’usine de métallurgie où travaille son père. Puis, il y travaille aussi, à l’âge de 17 ans, comme électricien. Devenu ensuite joueur professionnel, il joue au Havre et à Reims puis rejoint Monaco et son luxe. Il tombe amoureux du Rocher et ne s’en cache pas : « J’ai eu le coup de foudre pour cet endroit idyllique, un coin de paradis ». Il y reste dix ans et côtoie même régulièrement le prince Rainier avec lequel le courant passe bien.
Fort d’une grande ouverture d’esprit, Hidalgo s’adapte à tous les milieux et dépasse les clivages. Quand il parle football, son lyrisme lui permet de toucher tout le monde, mêmes ceux qui ne s’intéressent pas au ballon rond. Aidé par une verve certaine, il incarne un esprit de rassemblement et de tolérance que les français reconnaissent. C’est ainsi qu’il dit cette phrase magnifique, à méditer par tout individu prenant part à une activité collective : « Une équipe, c’est être onze et n’avoir qu’un cœur ».
On ne doit pas oublier Michel Hidalgo. Il faut se souvenir de cet homme qui ressuscita l’équipe de France, qu’il rendit compétitive et séduisante. Avec panache et humanité, avec tolérance et sensibilité, il réunit les Français autour de son équipe. Lui succéder est difficile, car l’égaler est probablement impossible. Mais c’est aussi une chance pour chaque nouveau sélectionneur d’avoir un tel modèle, entraîneur iconique des Bleus.
Sources :
- Football en liberté, Michel Hidalgo, Editions Ramsay
- Le temps des bleus, Michel Hidalgo avec Patrice Burchkalter, Editions Jacob-Duvernet
- Au cœur des bleus, Vincent Duluc, Editions Stock
- Hidalgo la possibilité d’une île, Thibaud Leplat, So foot
- Michel Hidalgo la tête au carré, Maxime Brigand, So foot
- Michel Hidalgo le jeu avant tout, Bruno Colombari, Chroniques bleues,
- Pour Michel Hidalgo tout avait commencé en Normandie, Foot normand
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