En décembre 2001, malgré un titre de champion de France et un bon début de parcours en Ligue des champions, Raynald Denoueix est limogé par le FC Nantes. Plus de trente ans après son arrivée sur les bords de Loire, le dernier apôtre du jeu à la nantaise est débarqué par la nouvelle direction. Le président, Jean-Luc Gripond, peu intéressé par le football et encore moins par le jeu à la nantaise, évince le coach à la première occasion. De manière inattendue, Raynald Denoueix rebondit à la Real Sociedad et entame la saison 2002-2003 revanchard.
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La Real Sociedad, un choix naturel
Le choix de Raynald Denoueix par les dirigeants de la Real Sociedad est mûrement réfléchi, des scouts sont envoyés à Nantes pour l’observer peu avant son départ et une rencontre est organisée une semaine à peine après l’annonce de son licenciement. L’ancien entraîneur nantais, d’abord hésitant, se laisse convaincre lors de la deuxième rencontre. Il se déplace dans le Pays Basque et assiste à un match avec les supporters à Anoeta. La ferveur et l’amour de la région pour le football et la Real Sociedad convainquent Denoueix de rejoindre le club.
La Real Sociedad est un club familial qui lui rappelle le FC Nantes, il retrouve cette passion du jeu, l’engouement de tout un territoire, l’attachement pour le club. Beaucoup de joueurs présents dans l’effectif sont formés au club et y passeront la majorité de leur carrière. Des similitudes avec son ancien club que l’on peut même pousser jusqu’à une ressemblance entre les deux stades. L’ambiance familiale séduit, la répartition des rôles au sein du club convainc.
« Même s’il pleut autant qu’au pays, cela pourrait paraître très exotique. En réalité, c’est exactement l’inverse : je ne suis plus à Nantes, mais c’est comme si j’y étais toujours. Je travaille exactement de la même façon. »
Denoueix n’est ni un entraîneur pragmatique, ni un entraîneur dogmatique. Il l’assume, le football est une compétition et non un spectacle, l’important c’est de gagner. Il récuse l’idée de « beau jeu » qui est pour lui nécessairement subjective, seule la victoire est objective. Cependant, ses équipes ne pratiquent pas un jeu étriqué. Au contraire, elles sont guidées par deux principes simples : marquage, démarquage. Un jeu basé sur le pressing, la largeur et une multitude d’appels. Il faut, pour reprendre les mots de Raynald Denoueix, favoriser la réalisation du geste juste.
Pour combler ces ambitions, s’appuyer sur un collectif solide et des joueurs qui se connaissent depuis longtemps est essentiel. L’équipe doit courir telle un seul homme, les trous laissés par les appels des latéraux doivent être couverts, les espaces investis. Ce jeu est éprouvant, peut être trop pour les joueurs de la Real qui manqueront d’énergie pour conclure parfaitement l’une des plus belles saisons de l’histoire du club.
À l’arrivée de Denoueix, la Real sort d’une saison difficile passée dans la deuxième partie de tableau, l’effectif est moyen et le budget faible. Il n’y a pas vraiment de star chez les Txuri-urdin et, de toute façon, il n’y en aura pas besoin. La Real peut compter sur un duo d’attaquant ultra complémentaire avec le serbe Dragor Kovacevic et le turque Nihat Kahveci inscrivant à eux deux 43 buts en championnat durant la saison 2002-2003 (20 pour Kovacevic et 23 pour Nihat).
On retrouve aussi des joueurs de clubs comme Mikel Aranburu, Aitor Lopez Rekarte, Javi De Pedro ou Augustin Aranzabal qui joueront tous plus de 300 matchs pour le club. On note également la présence de joueurs étrangers expérimentés comme le norvégien Bjorn Tore Kvarme, le gardien néerlandais Sander Westerveld passés par Liverpool ou le Russe Valery Karpin. Mais la Real Sociedad abrite surtout l’un des plus grands talents de sa génération, le jeune Xabi Alonso. Assurément l’un des plus grands joueurs à son poste, le numéro 6 par excellence, Xabi Alonso est déjà capitaine de la Real mais cette saison sera celle de l’explosion, celle qui lui ouvrira les portes de la Roja et des joutes européennes.
Football moderne
Cette saison, la première de Raynald Denoueix en Espagne, commence parfaitement avec une victoire dans le derby basque, une victoire sur le rival de toujours, l’Athletic Club de Jupp Heynckes. 4 buts à 2, le score reflète assez bien ce à quoi ressemblera la saison, une attaque de feu mais aussi une certaine légèreté défensive. La paire d’attaquant est, comme dit précédemment, extraordinairement complémentaire. Kovacevic peut servir de point de fixation, il remplit parfaitement un rôle de pivot et décroche un peu plus bas pour remiser, participer à la construction du jeu et faire remonter le bloc basque.
En plus d’une mobilité insoupçonnée, Kovacevic est un redoutable finisseur et une menace aérienne de tous les instants. Nihat, quant à lui, apporte beaucoup de profondeur au jeu de la Real Sociedad, plus à l’aise techniquement que son homologue serbe, il n’hésite pas à décrocher afin d’être trouvé entre les lignes et ensuite orienter. Mais comme Kovacevic, Nihat est létale, sa vélocité, la rapidité de ses enchaînements et son jeu dos au but en font un joueur imprévisible. Pour preuve, il finira la saison avec 23 buts inscrits soit autant que Ronaldo.
Il serait cependant ingrat de rendre hommage à cette paire hors norme sans mettre en lumière toute l’animation nécessaire pour faire briller ces deux protagonistes. Il faut souligner le rôle des latéraux Aranzabal et Rekarte qui montent énormément autant pour déborder, coller la ligne, centrer et libérer de la place pour les ailiers que pour rentrer à l’intérieur du jeu et être directement décisifs. À cet égard, la montée d’Aranzabal menant au but de Kovacevic à Anoeta contre le Real Madrid illustre parfaitement cette variété. Les ailiers, De Pedro et Karpin, utilisent ce travail afin de s’engouffrer dans l’axe ou lancer des appels croisés si chers au jeu de Raynald Denoueix. Même si la charnière centrale Schürrer-Jauregi est plus faible que le reste de l’équipe, Denoueix réussit à composer une équipe complémentaire en stimulant leur créativité.
Enfin, le milieu de terrain Aranburu – Xabi Alonso fait des merveilles. Le futur champion du monde réalise une saison de grande classe alors qu’il n’a que 21 ans. Xabi Alonso, Basque de naissance, capitaine, représente parfaitement cette équipe. Mais surtout, sa vision du jeu et son talent fluidifient le jeu de la Real. Il incarne la vision de Raynald Denoueix et ce dernier lui fera savoir à travers un bel hommage dans France Football lorsque Xabi prendra sa retraite en 2017 :
“Les premières fois que je t’ai vu jouer, c’était sur cassette et en tribunes, alors que je préparais mon arrivée à la Real Sociedad. Tu m’avais vite tapé dans l’œil, parce que pour moi, comme je l’ai lu récemment, le foot, c’est le ballon dans les pieds et le jeu dans la tête. Tu en es l’exemple parfait. Pour moi le foot, c’est toi.”
Xabi Alonso décroche entre les lignes pour proposer des solutions à ses défenseurs dans la relance, il est la rampe de lancement de l’équipe et presque toutes les actions partent de lui. Grâce à son intelligence, tant dans le placement que dans la vision de l’espace, la Real pratique un jeu fluide, imprévisible, varié, le tout grâce à une qualité de passe phénoménale. En plus de ça, Xabi Alonso n’hésite pas à accompagner les attaques pour proposer une solution supplémentaire ou armer une frappe aux 25 mètres, il inscrit trois buts en championnat dont une frappe superbe contre le Real Madrid. Denoueix ne s’en cache pas, rien n’aurait été possible sans Xabi, tout simplement car il incarne un football moderne et réfléchi.
Une saison dantesque
Cette équipe, cohérente donc mais en rien exceptionnelle commence pourtant la saison de manière surprenante. Les joueurs de Denoueix semblent marcher sur l’eau et sont champions d’automne sans avoir concédé la moindre défaite et en comptant cinq points d’avance sur le Real Madrid et huit points sur Valence. La première partie de saison frôle la perfection, la Real est deuxième meilleure attaque du championnat avec 36 buts, s’offre une victoire de prestige contre le FC Barcelone de Patrick Kluivert, tient tête aux ogres madrilènes et valenciens et surtout occupe la première place pendant 19 journées consécutives de la 4ème journée à la 23ème journée !
La saison 2002-2003 est particulièrement relevée et la Real Sociedad ne fait pas figure de favori. Le Real est galactique et champion d’Europe, le FC Valence de Pablo Aimar, champion en titre, vendra chèrement sa peau, le Barça se reconstruit avec les Xavi, Valdes, Puyol et les débuts d’Andrés Iniesta. On identifie rapidement les potentielles surpises de la saison. Le Super Depor persiste et, cette saison là, Roy Makaay est plus prolifique que jamais (29 buts). Le Celta Vigo de Mido, Mostovoi ou Sylvinho, s’est qualifié pour la Coupe de l’UEFA l’année dernière et compte bien jouer les troubles fêtes. Le RCD Majorque du jeune Samuel Eto’o est également coriace. Le club des Baléares corrige en effet le Real Madrid 5-1 au Santiago Bernabeu avant de remporter en fin d’année la Coupe du Roi.
Le championnat est donc extrêmement compétitif et l’équipe de l’ancien coach nantais ne fait pas vraiment figure d’outsider. Et pourtant, les Txuri-urdin vont éblouir l’Espagne par un style de jeu flamboyant, une attaque prolifique et une abnégation presque suffisante. Car en perdant la tête du championnat (défaite 3-0 contre Valladolid, 24ème journée) au profit du Real Madrid de Raúl, Ronaldo, Zidane, Figo… on se dit que rien ne peut empêcher les Merengues de s’emparer du titre et encore moins la Real Sociedad qui peut déjà être fière de sa saison. En plus, Valence et le Deportivo La Corogne restent en embuscade. Les quatre premières équipes se tiennent en trois points et face aux trois derniers champions d’Espagne, la Real Sociedad fait figure d’intrus.
À la 28ème journée, la Real tombe même à la 3ème place avec six points de retard. Pourtant, lors du match suivant, les coéquipiers de Xabi Alonso trouvent un second souffle, ils corrigent le Real Madrid 4 à 2 dans un match complètement fou et enchaînent avec une victoire 5-0 contre le Rayo Vallecano. Une victoire 3-1 contre Majorque à la 33ème journée permet aux hommes de Denoueix d’occuper avec la Corogne, le sommet du classement avec un point d’avance sur le Real Madrid. Le sprint final s’annonce épique. La Real Sociedad s’empare ensuite seule de la tête et conserve un maigre point d’avance jusqu’à la 36ème journée et un match nul contre le FC Valence. La Real Sociedad laisse finalement s’échapper le titre à la 37ème après une défaite 3-2 à Vigo.
Lors de l’ultime match, les bleus et blancs peuvent encore être champions s’ils l’emportent et que le Real Madrid perd. La Real Sociedad fait le boulot et bat l’Atlético de Madrid 3-0, mais le Real l’emporte 3-1 face à… l’Athletic Club. Pas de titre donc mais les fans font tout de même la fête. Les supporters d’Anoeta, où la Real est invaincue cette saison, chantent « Champions, Champions, Champions » et pendant un court instant Denoueix croit au titre. Les supporters célèbrent la qualification en Champions League, la Real Sociedad n’est pas championne d’Espagne mais les supporters s’en fichent, Denoueix les a fait rêver en réalisant l’une des plus grandes saisons de l’histoire du club et ils le remercient pour cela.
La saison 2002-2003 restera à part, meilleure saison depuis la période faste du début des années 1980. Les résultats ont non seulement dépassé toutes les attentes, mais surtout, Raynald Denoueix, à travers son authenticité et son humilité, a conquis le Pays Basque. Même si son équipe n’a pas remporté le championnat, même si la saison 2003-2004 sera compliquée, Raynald Denoueix a assurément laissé une trace à San Sebastian. La Real Sociedad n’hésitera pas à s’appuyer de nouveau sur un entraîneur français et un joueur français quelques années plus tard. Denoueix termine sa carrière d’entraîneur après cet exode basque, l’une des plus belles performances d’un coach français à l’étranger.
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